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— Ce qu’elle dit a-t-il davantage de valeur que ce je dis, moi ?

— La page 606, n’est-ce pas ? rêvasse Piotr.

— Six, zéro, six, répété-je en toutes lettres pour faire plus d’effet.

— Il n’y a pas de 606, assure Couillapine, tu dois te tromper, Antoine. Et si tu ne te trompes pas, c’est moi que tu trompes !

Je me mets à traiter mon subconscient de tous les noms. Dire que je lui faisais confiance !

CHAPITRE XIII

A s’emberlificoter dans les menteries, on finit vite par se demander qui touche le plus d’allocations familiales, d’un père de famille ou d’une paire de chaussettes.

Vouloir bluffer à tâtons est en vain, vingt et vin (ce qui au total devrait faire soixante).

Bon, quand tu vends des salades défrisées à Mme Lelombec, passe encore ; mais risquant la chose avec un zig de la trempe de Couillapine, alors là, mon chérubin, cours t’acheter un fer au B.H.V. et tu repasseras !

Il a la victoire très sobre, comme on le lui a enseigné à ses cours du soir d’espionnage supérieur, Piotrounet. Il ne pavane pas pour une infante défunte, lui. S’abstient de sourire, reste dans un état torpide devant son second ballon d’alsace presque vide.

Alors j’envoie chier mon subconscient, comme quoi la paresse n’est jamais payante et qu’il est inutile de vouloir faire remplir ta déclaration d’un pot par la bonne quand ton expert-comptable se goure de colonne. Sana prend les choses en main.

— Piotr, mon grand blondinet, attaqué-je, es-tu d’accord avec moi pour convenir que ce qui est blanc n’est pas noir, et lycée de Versailles ?

— Parbleu ! rétorque-t-il non sans humour, n’est-il pas vrai ?

— Bien, le remercié-je-de-m’avoir-dit-parbleu ; alors je te pose une question, une seule, tu réponds oui, tu réponds non, tu réponds même merde, le cas déchéant.

Son beau regard exprime un vif intérêt ; je vois bien que mon nouveau langage le captive.

— Ecoute, Piotr, est-ce que tu admets que j’avais cette foutue cassette en ma possession et que, sans subir la moindre pression, je vous l’ai fait porter ?

— Oui, me dit-il.

— Merci, voilà, c’est tout. J’avais cette cassette et à présent, grâce à moi, c’est vous qui l’avez. Alors, de grâce, sois gentil et ne me fais plus chier la bibite avec un interrogatoire pour garçon coiffeur dévoyé. Merde ! On est encore en France. Je suis flic et tu viens m’asticoter comme si nous nous trouvions en plein Kremlin et que j’aie tenté de fracturer le coffre où vous planquez les préservatifs secrets du guêpe-et-houx ! Marre, à la fin. Ça commence par des serments de reconnaissance infinie et en moins de dix minutes vous mettez des tenailles au feu pour m’arracher les burnes. J’en ai ma claque de ce pandémonium !

Je virgule un bifton sur le guéridon et me casse en renversant ma chaise tant tellement que ma précipitance est vive.

A grandes foulées, je retourne chercher ma pompe. Cette trajectoire me donne à passer devant le pavillon du pauvre Alex Libris, mort au champ d’honneur de sa curiosité. Ça me rappelle un proverbe sicilien qui dit « Sais-tu pourquoi mon grand-père est devenu centenaire ? C’est parce qu’il ne s’occupait pas des affaires des autres ». Le professeur, il n’aurait pas été si foncièrement haineux, collecteur acharné de fiel, de merde et de sanie, et il aurait regardé la télé au lieu de ses voisins, il vivrait encore et pour un bon bout de moment.

Je marque un temps devant la bicoque grisâtre, terriblement utrillienne sous le ciel plombé. Drôle de poste d’observation. Des gens simples y seraient heureux. Ils feraient repeindre la casa et entretiendraient le jardinet. Ce serait bien que des moutards s’y ébattent. J’ai des goûts très pompelards dans le fond. Je m’en vante.

Il n’y a pas trente-six chemins pour vous conduire à la sérénité. Le bien a des goûts simples.

Libris, ça lui était venu comment, cette haine chevillée ? A la suite de quelle désilluse profonde ? Un méfait de non-bandance ? De vieux chagrins mal encaissés ? Un pauvre valétudinaire de l’esprit, en somme.

Et en contemplant son pavillon, voilà qu’une aurore se met à boréaler dans ma somptueuse coiffe à impériale. Le jour se lève enfin dans mon cœur, comme disait l’autre tu sais, çui qu’a une montre et des varices.

Je viens de m’expliquer des choses plongées dans le schwartz. Par exemple, les motifs de la visite des Jaunes chez ma pomme. Faut te dire ? Souate.

A l’origine, Alex Libris.

Ce cher vieux fumier, Achtung ! Il n’était pas rien que gentil avec moi, le foutraque. Méchant tout azimut, il en déversait aussi sur ma pomme de reinette et pomme d’api. Ce que j’entrevoye ? Ecoute. Il n’a pas perdu une miette de ce qui s’est passé chez le toubib la nuit dernière, à preuve, il est intervenu. Donc il m’a vu balancer la cassette sur le gazon, puis la récupérer.

Tu me suis-t-il ? Je te parie une place de cinéma contre une passe avec ta femme que les Japs ont envoyé quelqu’un dans les parages, plus tard, pour tenter de retrouver cette cassette manquante. Ils semblaient tenir à la collection complète, les bougres. Où peut-être ont-ils envoyé un guetteur pour observer ce qu’il allait advenir du cadavre de leur gros piquouzeur, peu importe. Œil-de-lynx-Libris les a retapissés, lui qui voyait tout. Alors, il se la radine et me cafte. Gnagnagna, c’est le commissaire qui a embarqué la cassette ! Nananèère ! Les autres, ravis de l’aubaine, se mettent en quête de ma pomme, ce qui leur est fastoche puisqu’ils ont eu ma brème à dispose. Ils vont chez moi, décidés à récupérer l’objet.

C’est pendant qu’ils fouillassent que je me pointe pour chercher la lettre de ma vieille. Ils m’endorment, lisent le message, apprennent de ce fait où Félicie m’attend. Quelle monnaie d’échange ! Ils s’empressent d’aller la chercher. Ils avaient certes la possibilité de me « questionner » sur place, mais je suis un coriace qui ne doit pas s’affaler à la demande.

— Tu fais de la délectation morose, Antoine ? questionne Piotr qui m’a rejoint.

Le glandu me fait dégoder. Ma mousse de pensée se dissipe comme celle du bain au bout d’un moment. Je ne sais de nouveau plus où j’en suis. Je pense à Katerina décapitée. Ce crime atroce a été commis bien avant la visite des Jaunes. Ils seraient allés deux fois chez moi ? Ils y seraient retournés après y avoir accompli un tel forfait ? Non, tu te goures, l’Antoine ; c’est pas ton jour. Aujourd’hui ça bande mou.

Couillapine ne se presse pas de rejoindre sa Porsche. Il a les deux mains dans sa veste de cuir et il fredonne du nez un air de son patelin ; mais ça manque de balalaïka pour accompagner.

— Allez, adieu, Antoine, murmure-t-il. Tu me fais un peu de peine.

— Je savais bien que tu es capable de compassion, Piotr.

Il me balaie d’un regard profond.

— Tu me permets de te quitter sur une petite pique, Antoine ?

— Une pique, ça va ; si c’est davantage qu’une pique, je te filerai mon poing dans la gueule, Piotr.

— Vous autres, Français, vous êtes et resterez toujours des amateurs, c’est ce qui fait votre charme.

Il attend pas que je décide si c’est une pique ou une vacherie et rejoint sa Porsche.

Décarrade impressionnante.

Je m’assois sur le muret de pierres blondes cernant la coquette propriété du docteur Fépaloff. L’air que chantonnait Piotr, voici un instant, continue de me musiquer l’âme, comme s’il m’était familier, et pourtant je ne l’avais jamais entendu. Je vois une grande plaine à blé, un ciel bas infini, des isbas, une fille d’un blond presque blanc sur une carriole déglinguée tirée par un cheval aussi pommelé que le ciel. On se fait des images, des idées. On se fait sa propre musique en s’appuyant sur n’importe quel air qui passe…