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Il hoche sa hure.

— J’ai eu des mots avec un type jaloux…

— Un type jaloux ?

— T’t’ à l’heure. Il m’est rentré dans le lard, rapport que je fleurtais avec mademoiselle…

Il flatte le cul parfaitement rond de sa truie.

— Comment tu la trouves ? demande-t-il.

— Appétissante, conviens-je.

— Elle a quelque chose, hein ? Et puis j’adore les blondes…

Complètement cinoqué, l’Enflure. Ses cellules grises doivent ressembler à du raisin muscat séché.

— Dis donc, Gros, le « type » dont tu parles, c’était un cochon ?

— Un dégueulasse, tu veux dire. Je te lui ai filé une de ces roustes ! Avec les dents, gars, et pourtant j’ai un flipper amovible comme tu sais. J’y ai mangé l’oreille, qu’après y ressemblait à Van Gode. On me l’aurait pas sorti des pattes, je le transformais en saucisse, ce sale bonhomme…

Ecoeuré par son démembrement mental, je réagis :

— C’est pas le tout, arrive…

— Où ?

— Ben, on va essayer quelque chose pour s’en sortir, non ?

Et tu sais ce qu’il me répond ?

— On est bien, ici.

Tu juges l’étendue du désastre, dis, Pinemolle ?

On est bien ici ! Dans une cage, sur un lit de fumier !

Je me remets de mon abasourdissage du mieux possible, et puis je sors mes crocs.

— Écoute, bougre de vieille tartine, si tu continues à crétiner, moi je vais faire un malheur. Je sens que j’ai besoin de m’offrir une crise de nerfs pour me remettre le compteur à zéro. J’en ai ma claque d’être ballotté de maffiosi en agents secrets et de gardes-chiourme en gorets.

Là-dessus, perdant toute retenue, je lui shoote un coup franc direct dans les meules.

Mister Porcinet se lève en rouscaillant.

— En tout cas, je l’emmène, dit-il.

Sa truie réveillée se met à le cajoler avec des grâces lascives de fille enamourée.

— Un amour comme le nôtre, il n’en existe pas deux, assure Bérurier qui n’est pas à une réminiscence près. Pas question qu’on se quitte, Mathilde et moi. J’ai ma vie à refaire, comprends-tu ? Des années je m’ai fait suer la bite avec une espèce de truie qui s’appelle Berthe. Des années qu’elle me rebuffe après, m’hurle des embrocations, me gâche le tempérament de ses caprices. Alors, moi, je décide qu’on va jouer « Stop ». Un changement de programme s’impose. J’arrive un âge que l’homme a besoin de savoir où qu’il en est, tu comprends ? Faut que je m’affirmasse, Mec. Que j’accomplissasse mon destin, comme on dit vulgairement. Le type qu’a pas le courage de ses sentiments, il est bon à nibe, repassé en plein. C’est un fœtus de paille dans le vent de la vie, comme j’ai lu dans un article bien torché. Pas la peine de prendre tes grands airs ni de serrer les poings, j’ai une décision arrêtée, Gars. Ce sera le départ avec Mathilde ou je reste.

Un type « qui ne s’appartient plus », tu peux quoi, contre ? Si tu détiens la recette, aboule, j’achète. Je balance dans les colères calmées par les impuissances. Ce type est une falaise, un roc, un pic, une mirandole. Et soudain, je cède. Non à son caprice, mais à la volonté du hasard. J’ai si souventes fois remarqué que le farfelu est payant. Ah oui, si souvent, subissant un sort absurde, il me fut donné (ou du moins cédé à un prix concurrentiel) de constater qu’il était le chemin le plus court pour m’échapper d’un labyrinthe.

— Venez, les amoureux ! cédé-je. Venez, le futur vous tend les bras.

On quitte la porcherie (ou la bérurerie, au choix, puisque les deux termes sont en passe — tu parles ! — de devenir aussi synonymes que con et toi).

Les couloirs.

On avance dans la formation comme ça : moi, suivi de Béru, suivi de sa truie.

Béru nu, toujours. Où veux-tu que j’aille chercher des frusques pour lui ?

On rencontre un type coiffé d’une casquette de toile blanche. Il marque une certaine surprise. Me lance une question dans cette langue inconnue de mes oreilles mais que j’ai déjà ouïe. Sans m’arrêter, je hausse les épaules, et je lui grogne un truc qui fait à peu près : « Brechemele chlong. »

Et le gars s’en satisfait.

Tu vois pas que, mine de rien, et miracle aidant, j’aie réinventé le dialecte des gens d’ici ? Et pourquoi not, camarade ? Parce que tu te figures qu’il n’y a que Lourdes, toi ? Lourdes où des milliers d’estropiats se précipitent par trains entiers, à longueur d’année, et où de temps en temps, le Seigneur guérit un paralysé, manière de faire chier les autres qui s’en retournent pleins de rancœur. Car y’a gourance à propos des miracles, mon Zami. Dieu ne les a pas inventés pour assurer sa gloire, mais pour tester la foi des hommes. Un qui guérit, ça lui fait une belle jambe, côté publique relation, à Dieu ; il a illico des milliers de malcontents, de bilieux, d’humiliés, de cocus, furax de n’avoir pas été choisis et qui se rentournent avec leurs malfaçons et leurs véroles, plus biscornus ou purulents que jamais, enrhumés à force de grottes, de bains glacés et autres bénédictions en plein air.

Donc, troublé par la manière que le croisé s’est satisfait de mon bredouillis, je poursuis ma marche en avant.

Où vais-je ?

Si tu pouvais me le dire, je t’offrirais un abonnement d’un an au « Chasseur Français ».

Mais tu n’ignores pas que, lorsque on ne sait pas où aller, le meilleur moyen d’y arriver, c’est de suivre son pif.

Alors je marche derrière mon nez, et devant le couple d’amoureux.

Le chouette, dans ce blaud, c’est que les portes s’ouvrent devant moi comme celles d’un aéroport.

Tomatiquement. Y’a qu’à passer. Et elles se referment sans se presser, avec une courtoisie extrême.

Bravissimo, San-Antonio.

Santonio-ci, Santonio-là. Passe par li, passe par là ! Bravo Sana, bravo sana !

— Qu’est-ce tu dis ? demande le Maflu ?

— Rien, je chante.

— Tu t’es dégauchi une nana, toi aussi ? en déduit-il.

— Oui, Gros. Une biche de toute beauté, avec des yeux aussi humides que le frifri.

Un cri de triomphe, je pousse. T’as jamais entendu pousser des cris de triomphe ? C’est toujours à base de voyelles. Si t’analyses, tu constates qu’elles y sont toutes incorporées. « Ahohihue. » Avec des « h » pour la ponctuation. Comatiques légers. Je connais la langue humaine. La seule vraie : le cri. Tous pareils : les Lapons, les Pygmées, les Parisiens, les Japonais… Ils se font mal ? C’est « houille » (y’en a qui l’écrivent avec des « y » et des trémas, mais ça reste « houille » phonétiquement). Ils prennent leur pied ? C’est « Aheheeeeeee ». Ils triomphent ? Tout de suite, d’un angle à l’autre de la planète (comme dit Béru) t’entends « Ahohihue ». Les dialectes ? Des simagrées. Une illusion. Du snobisme. Dans une caserne, tiens, les ordres qui retentissent sont rigoureusement semblables : italiens, anglais, allemands, françouses, boliviens, papous… Un bruit de machine qui largue sa vapeur. À nous, Denis Papin. Denis Pimpon ! Écoute : « Hayiiin… hiyn ! Rrrhiyn heyn ! » T’es d’accord ?

Une espèce de maladie de gorge. Moi je me fais fort, tu me mets devant une troupe de soldats, d’où qu’ils fussent, de te les faire manœuvrer impec, rien qu’en me raclant fort le corgnolon. D’ailleurs, t’as qu’à voir : les meilleurs adjudants sont catarrheux.

Et puis me v’là reparti en dérapage incontrôlé. J’écris sur du verglas, que veux-tu. Un jour je mettrai des semelles crêpes à ma machine ; surtout que les crêpes, hein ? Depuis qu’on se fréquente…

La motivation de ce cri de triomphe ?