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Ne saisit pas. S’alarme, malgré sa cupidité.

— Eh bien quoi ? Eh bien, quoi ? clapote-t-elle.

— De la part de Donato, il m’a chargé de vous remettre ça.

— Je ne comprends pas…

— Un sale truc leur est arrivé, à lui et à sa sœur.

Elle pare au plus pressé, et se signe énergiquement.

— Mais quoi ? Mais quoi ?

— Vous savez, dom Cesarini ?

— Et alors ?

— Vous connaissez la nouvelle ?

Elle acquiesce.

— Oui, il est mort.

Je baisse le ton.

— C’est Donato qui lui a fait son affaire.

Elle ne se résigne pas, mais se re-signe.

— Ne dites pas de folie, c’est impossible.

— Si.

Alors, tu sais quoi ? Elle s’écarte de la table, tombe à genoux sur le plancher infâme. La v’là qui ressemble à un énorme sac d’anthracite. Elle joint ses mains boudinées.

— Notre père qu’êtes soucieux, attaque-t-elle…

Puis, s’interrompant.

— Mais pourquoi il aurait fait une chose pareille ?

— Le dom a manqué de respect à sa sœur.

J’ai virgulé ça en l’air. Un peu chétif, l’argument, eu égard à la profession de la pseudo-victime.

— Manqué de respect ! Mais ma fille n’a pas besoin de respect puisqu’elle est pute, signore ! Elle suce des messieurs encore plus vieux que le dom qui était bel homme. Elle a, dans sa clientèle, un eczémateux de septante ans passés auquel elle met le doigt dans l’oignon tout en lui chatouillant le dessous des testicules avec une queue d’écureuil ; elle se fait aussi le papa du notaire qui est paralysé ; et puis le capitaine des carabiniers qui fait de l’anémie graisseuse…

Je taris ce flot objecteur.

— Le dom a giflé Lila, Donato a vu rouge. Bref, il a eu un geste malheureux. Alors nous les avons aidés à fuir à l’étranger.

Mme Convolvolo secoue sa chevelure à l’huile d’olive, agrémentée de peignes en plastique.

— Le monde ne sera pas assez grand pour qu’ils échappent à la maffia.

— Soyez sans crainte, madame, je leur ai trouvé une cachette sûre, seulement ils ne pourront vous donner de leurs nouvelles avant longtemps, par précaution, vous le comprenez ?

Elle acquiesce, vaguement rassurée.

À cause du fric étalé sur la table, elle me croit ; ne pouvant imaginer qu’un étranger lui donnerait une aussi forte somme sans contrepartie.

— Merci de ce que vous avez fait pour mes petits, amis. Merci, la Madone vous en sera reconnaissante, et un jour vous vous retrouverez assis à la droite de Dieu.

Y’a des moments, je me demande qui il peut bien avoir à sa gauche, Dieu ?

Fortifié par mon pieux mensonge qui, tout en créant des alarmes dans ce cœur de mère, lui épargne le plus ignominieux des chagrins, je passe à la partie de l’opération qui m’intéresse.

— Donato m’a, avant de me quitter, fait prêter serment, madame Convolvolo, pour que je m’engage à vous protéger…

— Me protéger ?

— Ces gens qui vous harcèlent veulent les papiers que Donato vous a confiés. Ils constituent un grave danger. Mais mon ami Alexandre-Benoît et moi-même allons nous installer ici et veiller au grain.

J’attends sa réaction.

Elle tarde.

Mais vient.

— Je ne comprends pas, pour les papiers… Donato ne m’a rien confié du tout.

Je lui souris avec incrédulité ; regarde, comme ça. Tu vois ? En dégageant ma fossette gauche et en riant de l’œil droit.

— Mais je vous le jure sur la mémoire de mon cher défunt qui est mort et aussi sur celle de ma chère mère, sur la tête de mon pauvre papa ici présent, sur la vie de mes enfants, sur la Madone que vous voyez en photographie, là, contre ce mur, sur la sainte croix, sur la tiare pontificale du Saint-Père, sur tous les saints du paradis, les anges, archanges et autres, sur le drapeau italien, sur la Sicile ma terre natale, sur le souvenir du grand Mussolini, sur ma vertu de veuve sans pension, sur…

Je l’arrête.

— Je crois que cela ira comme ça, pour la caution, madame. Je vous crois.

Car, oui, je la crois.

Et la bannière.

Mais je suis surpris. Pour moi, le suicide de Donato, c’était un acte d’amour filial. Je pensais qu’il s’était tranché les veines pour éviter de compromettre sa mère vénérée, la tenir à l’abri de ce sac d’embrouilles. Eh ben, tu vois, je me suis carré le finger in the hole. Bon, soit, mais en ce cas, c’est quoi la fameuse planque à ce fripon ?

T’as une idée, toi ?

Moi, je sèche comme un os de seiche au soleil d’Afrique.

Enfin, installons-nous toujours céans, nous verrons bien.

— C’est de la ratatouille que vous préparez ? demande Béru, lequel a passé la scène ci-dessus à rassembler les éléments de cette phrase à l’aide de son petit dictionnaire français-italien.

— Si, signore.

— Et elle accompagne quoi t’est-ce, comme viande ?

— Pas de viande, signore.

Bouille béruréenne…

Le Gros déclare :

— J’ sais pas si que le mouton a fait son apparition en Sicile, je vas me renseigner à la boucherie de la place.

Il va et revient portant un gigot gros comme un jambon.

* * *

Bon, alors là, du temps passe.

Vingt-quatre plombes.

On les utilise à récupérer. Nous bénéficions d’une paix royale. Onc ne vient porter la guerre dans ce modeste foyer. Le grand-père chique et picole sans moufter. La Grosse au contraire, prolixe, nous bonnit la vie complète de toute sa dynastie et celles de ses voisins immédiats. Le gars Béru fait la tambouille avec elle. Il a oublié complètement Mathilde et se remet à manger du cochon. Moi, tu l’as compris, petit déluré, je mets à profit notre présence chez la mère Convolvolo pour explorer minutieusement sa cahute. Tout y passe, avec minutie. Tu me connais ? Je suis un fouilleur farfouilleur diabolique. J’ai le sens des planques. Pas de cachette qui puisse échapper à ma sagacité. Un vrai compteur Geiger, Sana. Et Dieu sait que ça n’est pas fastoche, dans le capharnaüm qu’est la resserre à receler.

J’usine pendant les siestes de la grosse.

Pendant ses sorties, ses bavassages dans la cour avec les autres commères du quartier. La noye aussi.

Mais rien n’y fait.

Faut-il en conclure que Donato aurait planqué les fameux papiers ailleurs que dans son antre ? Un coffre bancaire ? Une consigne ? Chez un pote ? Hum, douteux. C’était un gars assez fruste, qui ne devait avoir confiance qu’en son petit monde à lui. Pas du tout le genre banque. Un voleur professionnel, voyons !

Alors ?

Alors rien…

Je me gratte la cervelle sans en faire jaillir d’étincelle. C’est la grève du génie, mon pauvre vieux, que veux-tu. On ne peut pas être éblouissant vingt-cinq heures sur vingt-quatre, si ?

Le plus emmerdant, à vrai dire, ce sont les puces.

Un vrai élevage, chez les Convolvolo. Les bathouses, bien dodues, d’un brun riche. Elles t’arpentent de jour, de nuit, te pompent à mort. Que t’as des cloques grosses commak. Irrassasiables, ces chiottes !

Et la seconde nuit vient.

Elle ensevelit Catane dans ses gnagnas de velours chplok qui dans la douceur de l’été chose truquemuchent j’ sais pas quoi d’estrêmement poétal et fuligineux, enfin, quoi, finis de mouiller, j’arrive.

Que j’éprouve toujours des scrupules littéraires d’y aller à la tartine lénifiante.

Bref, tout de même, la nuit enchanteresse, tu vois le topo ? Comme toutes les nuits méditerranéennes. Et, pour couronner le côté film hollywoodien d’avant-guerre, avec Dorothy Lamour, une voix s’élève dans le silence, qui pour le coup cesse. Pure, cristalline, accompagnée à la mandoline. C’est si tellement féerique que je me lève de mon grabat pour visionner la source de ces angéliques modulations. Et qu’est-ce j’aperçois, au clair de lune, devant la lourde des Convolvolo ? Un énorme mec, d’au moins trois cents livres (et ces livres-là, espère, ne sont ni des sterlinges ni des Sanantonio) donnant la sérénade. Il est petit, avec des jambes arquées, une tripotée de mentons et des bras de pingouin, si courts que je me demande, quand il va licebroquer, s’il n’actionne pas la fermeture de sa braguette avec une tirette à rideaux. Les gars de la base le verraient, ils le kidnapperaient dare-dare pour en faire un éléphant. La merveilleuse voix céleste sort de ce tas de sanie. On dirait le soliste des Petits Brameurs à la Croix de Bois. Il joue de la mandoline, mais il est si gros, si gros, ce mec, que sur sa monstrueuse bedaine, l’instrument disparaît et qu’il a l’air de jouer de la cuillère à café.