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Ultime cérémonie devant la tombe. Un curé de secours récite encore des trucs, les chantonne, ensuite de quoi, il cramponne le goupillon que lui tend un de ses péones et asperge le cousin. Au tour de la famille ensuite. Chacun y va de son signe de croix externe (en général on l’exécute contre soi), marmonnant à toute pompe un truc qui fait à peu près commak, si je me le rappelle bien : « Nom d’z pèr, d’z fils é d’ zintesp’rit. » Mais ça se prononce avec l’accent mouche « tzzz tzz ».

Le barone virgule son taf d’eau bénite, machinalement me tend le goupillon. Re-machinalement j’y vais itou de ma seringuée ; tchlic tchlic tchlic tchlic. Le pare-brise du cercueil ruisselle. Même qu’à cet instant s’opère un miracle et que l’essuie-glace se met en branle. Je décris un quart de tour pour refiler le relais à mon suivant immédiat, un type massif, large d’épaules, lequel arbore une impressionnante moustache un peu rousse.

L’homme biche le goupillon. Et c’est à cet instant que se place l’événement annoncé quelques paragraphes avant : son signe de croix, le type à moustache le trace pas dans les airs, comme ça, à vide, mais sur ma tronche. J’ai juste le temps de percevoir son « nom d’z pèr, d’z fils… ». Quand il arrive au Saint-Esprit, le Saint-Esprit c’est moi.

Tu comprends ?

Et alors, bien sûr je reprends conscience, sinon comment saurais-tu la suite, faut être logique, et, en toute chose considérer la fin ; surtout celle d’un polar !

Je me trouve dans un endroit humide, sombre, avec pourtant une tache de lumière rouge en forme de rosace. Je suis allongé sur une surface marbreuse. En me forçant un peu les gobilles, je parviens à lire : « Famille Grimaldoni. »

Très bien : j’occupe un caveau. On m’a saucissonné avec du fil de fer très fin qui me rentre dans la chair. Bâillonné au moyen d’albuplast, et sans pleurer la marchandise.

Je récapitule les événements. Le goupillon. Bling ! Ce choc ! Inattendu. Ça me résonne encore dans la cabèche. Comme si ma hure était une cloche de bronze. Le gars à moustache, bien placide. Il m’empare le goupillon. Et vlan, passe-lui l’éponge ! Le tout avec une totale décontraction. Un bon regard tranquille… Sa chevelure luisante à laquelle il prodigue des shampooings à l’huile d’olive… Je crois bien qu’il portait un complet de velours dans les tons marron foncé. Oui, il me semble.

J’entends pépier des zoziaux dans les cyprès du cimetière. Les locataires du sépulcre sont silencieux. Combien de temps va-t-on me poireauter de la sorte ?

Je voudrais dormir, manière de passer le temps. La ronflette, c’est la meilleure des abstractions. Celui qui dort s’économise, corps et âme. Il se disponibilise. Seulement le coup effacé à ma tempe me souffre terrible. Il s’y opère de profondes lancées qui me cravachent le bulbe. Quand je ferme les yeux, la douleur s’accroît. Alors je les rouvre. Et du temps que je suis lucide, j’en profite pour gamberger. Je conclus que je vais devoir jouer serré, mais que tout va bien pour nos affaires. Le Vieux sera joyce. Il se frottera les paluchettes quand il saura.

Du temps ruisselle. La rosace se fait moins vive. Son rouge-sang-frais se change en rouge-sang-séché. Le soir descend. Mes lancées s’espacent et diminuent d’intensité. J’éternue à cause du froid marmoréen.

Éternuer avec une plaque de sparadrap sur le clapoir, je te recommande. Soudain, un sifflet retentit. Mélodieux en diantre. Une mélodie interprétée par un artiste au souffle généreux. Cela s’approche. La porte du tombeau s’ouvre. Je reconnais le moustachu. Il continue de siffler, tout en faisant son signe de croix. C’est pas incompatible. Il me chope une cheville et m’arrache de la guitoune. Je cascade sur des surfaces méchantes, me pète la gogne de-ci et là. L’homme qui goupillonne comme un équarisseur me charge sur une brouette à la roue caoutchoutée. Tiens, y’a longtemps que je n’avais pas voyagé en benoîte. Le gus s’attelle dans les brancards et nous v’là partis à travers les mignonnes ruelles fleuries du cimetière ; parvenu à l’entrée, il s’arrête brutalement, siffle dans ses doigts et licebroque dans la nature. Quelle pression ! On dirait le jet d’eau de Genève, lequel est, comme nul n’en ignore, le plus haut édifice de Suisse Romande.

Une camionnette se pointe. On me charge sur le plateau arrière.

Ça démarre.

Le voyage dure une bonne heure. On grimpe par une route aux lacets tellement serrés que le véhicule, par instants, est obligé d’opérer une manœuvre pour négocier son virage.

Tu parles d’une galère. Je golgothase péniblement, la viande cisaillée par le fil de fer. De grandes lueurs embrasent le ciel. On dirait qu’on tire un feu d’artifice silencieux. Y’a des embrasements brusques, des pétées de lumière majestueuse, et puis la noye retombe mollement, comme un parachutiste. Elle rouvre son grand pébroque de velours noir.

La teuf-teuf stoppe. Un vrai bourrin épuisé. Arrêtée, elle continue d’avoir des soubresauts, la guinde. Elle frissonne, fume, hoquette. On sent que des séances pareilles ne valent rien pour sa santé. Qu’on l’abrège vachetement en l’obligeant de gravir des escarpements de ce tonneau.

Deux messieurs obligeants me ramassent. Dès que sorti de la camionnette, je pige la source des grandes lueurs brasillantes : l’Etna. Nous sommes sur ses pentes et nous nous trouvons à faible distance de son cratère. Ça bouillonne dans la marmite. Y’a d’immenses souffles colorés, indigo, pourpres, violacés. On se trouve dans un univers de lave noire, de rocailles lunaires. Très impressionnant.

Je retapisse des ombres d’hommes assis en rond près d’une jeep. Ils sont quatre. Par instants un flamboiement du volcan illumine leurs visages. On dirait des diables. Pas de bons diables, plutôt des démons, nuance !

On me file sur le sol, trop rudement au gré de mes côtelettes.

Je constate alors que quelqu’un se trouve déjà étendu sur un lit de lave, dans la même posture que moi. Au bout de quelques éruptions de gaz embrasé, j’ai la stupeur de reconnaître Lila.

Un homme au nez aquilin, aux sourcils épais, à la chevelure blanche, frisée, se penche sur moi et arrache mon bâillon.

— Merci, murmuré-je. Je commençais à fatiguer des narines.

L’homme demande de but en blanc (ou en noir) :

— C’est Lila qui vous a donné le nom du baron Populi ?

— J’ai fait ce qu’il fallait pour ça, vous auriez tort de lui en tenir rigueur.

Il ne répond rien, mais donne un ordre en dialecte sicilien. Tous se lèvent. On me charge ainsi que Lila dans la jeep. Le vieux aux gros sourcils prend place devant, près du chauffeur. Les autres se juchent sur les marchepieds du véhicule et nous v’là partis vers le tout sommet de l’Etna. Surtout n’espère pas de moi quelque calembour style « L’Etna c’est moi », la situation est tellement tendue que si elle se baissait, son slip éclaterait. J’ai pas le cœur à déconner.

À mesure du fur qu’on approche, la chaleur devient insoutenable. On se croirait au Creusot, mon pote. On a une préfiguration de l’enfer.

Caïn, Abel, et caha, on monte dans les plis stratifiés de la lave refroidie. L’air pue le cramé, le soufre, le minerai en fusion. C’est apocalyptique comme sensation. Je visionne les visages de ces messieurs. Tu verrais leurs frimes, plus jamais tu n’aurais le hoquet. Dis, ça rime à quoi t’est-ce ce cinoche ? On a rendez-vous avec Haroun Tazieff ou quoi ? T’as pas l’impression que je danse sur un volcan, mine de rien ?