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Je commence à glaglater vilain malgré la chaleur.

L’air est maintenant absolument irrespirable. La jeep s’arrête enfin. Elle est en équilibre discutable, inclinée vers la vallée.

Tout le monde descend.

On est au bord du cratère. Des sortes de flammèches tourbillonnent autour de nous. Deux des hommes dégagent un drôle d’engin qu’ils déploient comme un immense parapluie qui serait carré. C’est un bouclier pour se protéger des projections. Il est beaucoup utilisé dans la région de l’Etna par certains mycologues téméraires qui s’aventurent jusque sur les lèvres du cratère pour y cueillir une variété de champignons appelés fleur de lave, lesquels se consomment à la vinaigrette. Mais outrons, passons et outrepassons.

Si tu le veux bien.

Ce qui va suivre, je te préviens, illico presto, vaut mieux que tu le sautes si t’as le guignol en dérapage incontrôlé. Ames sensibles s’abstenir.

Le vieux chef arrache le bâillon de Lila d’un geste brutal. La môme prend une grande goulée d’air dont elle conserve l’oxygène pour son usage personnel et profite de ce qu’elle rejette le gaz carbonique pour hurler.

Le vieux la gifle. Elle se tait.

Il dit alors, le Vénérable, les paroles que je te traduis pieusement ci-dessous :

— Lila Convolvolo, tu as trahi la cause en donnant à cet homme le nom du baron. C’est pourquoi nous t’avons condamnée à périr par le feu jailli de notre sol natal.

Elle incrédulise, la môme. Non, non, qu’elle fait de la tête. La v’là qui castagne des croqueuses. À gla gla…

Moi, chevalier courageux, je m’hâte d’intervenir.

— Je vous en prie, tout est de ma faute. Je lui ai fait croire que je lui avais inoculé le choléra et je l’ai menacée de ne pas lui donner l’antidote si elle ne me révélait pas le nom de l’homme que je cherchais…

Le Sicilien aux gros sourcils oppose une main ferme et verticale à ma plaidoirie.

— Allez ! ordonne-t-il.

Me reste plus qu’à te raconter la suite. Voilà, ça s’opère de la façon suivante : deux types s’emparent d’une longue corde qu’ils nouent à la taille de Lila en prenant soin de laisser dépasser un bon mètre cinquante de part et d’autre de la jeune fille. Ils en bichent une deuxième et procèdent identiquement, mais cette fois, au niveau des genoux. Ensuite de quoi, chacun saisit deux extrémités de corde et soulève la malheureuse du sol. Les porteurs de bouclier s’avancent vers le cratère, protégeant leurs camarades. Les cris de Lila sont monstrueux. Elle est authentiquement folle de terreur, la pauvre gosse.

Le cortège s’arrête. Les types qui tiennent les cordons impriment un balancement à leur charge humaine.

Le vieux joue les barreurs.

— Un… Deux… TROIS !

Les préposés aux basses œuvres lâchent tout. La silhouette de Lila tournoie mollement sur un fond d’Apocalypse. Son dernier cri s’engloutit dans l’enfer. Elle va disparaître, elle disparaît, elle a disparu.

Plus un poil de sec, le San-A. mon fieux. Ma raie culière fait un travail de chéneau. Bien sûr, y’a la chaleur, mais surtout la perspective d’aller valdinguer à mon tour dans l’Etna. Wagnérien, comme mort, non ? Tu parles d’un final !

Les quatre gars reviennent abrités sous leur péproque anti-lave.

— Il fallait que vous sachiez comment meurent ceux qui nous trahissent, me dit le vieux. À présent, rentrons et causons.

Ouf ! Paroles suaves à entendre. Musique divine. Luth ineffable (de Florian). Je vais pouvoir verser un pleur sur l’horrible trépas de Lila, morte par ma faute.

* * *

Jeep, jeep, jeep : hurrah !

Camionnette. Route en épingle à cheveux…

Bord de mer. La lune brille à l’infini sur les flots argentés.

Il a dit : « Rentrons et causons. »

Quand tu vois la mort des autres de si tellement près, t’as fortement envie de causer, crois-moi. À perte de vue. De dire n’importe quoi à n’importe qui. Parler de la pilule et du Bottin.

Il a dit « Rentrons ».

Mais « rentrer » où ?

Si j’en crois mon vieux sens de l’orientation, nous fonçons sur Messine. « Allons à Messine, pêcher la sardine », dit une chanson.

Je cesse de visionner la mer par une déchirure de la bâche. C’est à présent une étendue d’oliviers… Çà et là des maisons aux fenêtres décorées de ferrures. Les lueurs de l’Etna continuent d’illuminer les nues.

On parvient enfin à destination. Une odeur de bois frais et de peinture me chatouille les trous de nez. Ces messieurs me débarquent dans une cour encombrée de véhicules automobiles, de planches entassées, de seaux de peinture vides. À droite, un vaste atelier. À gauche, une maison d’habitation de fortes dimensions. C’est là qu’on me dirige.

Nous pénétrons dans une vaste salle commune, voûtée. Les murs sont aussi épais que la platée de spaghetti que Bérurier est en train de bouffer. Un vrai numéro de music-hall, le Mastar, aux prises avec ses pâtes. On a dû lui en faire cuire deux kilos. Ça forme montagne devant lui. Haut comme l’Etna, et aussi rouge vu la sauce tomate qu’on a déversée au sommet. Il batifole là-dedans comme un hareng dans de la saumure. Il ne bouffe pas par fourchettées successives. Non, son repas est continu. Il briffe son tas de nouilles sans interruption. Une tréfilerie vivante, le Gros. Il absorbe sa quenouillée de spaghetti avec la puissante ingestion d’un boa, à grandes coulées du gosier, inexorables. Le débobinage s’opère en douceur. La montagne se fait colline. Les yeux mi-clos, il avale, respirant du nez seulement, le faciès barbouillé de sauce tomate jusqu’aux oreilles, son chapeau en avant, les épaules rouleuses, le ventre accompagnant d’un formidable mouvement d’entrailles. Il mange tout juste. Au vrai : il absorbe. C’est du stockage plus que du bouffement. Il fait passer les pâtes du plat dans sa personne par ce conduit fabuleux qu’est son tube digestif, accessoire sublime qui lui tient lieu d’idéal.

Il m’a vu entrer. Il a grogné « Haon haon ». Ce qui, traduit de la nouille-gaveuse, signifie : « Tiens, te voilà. » Et puis, sans le moindre ralentissement, il a continué de happer les interminables fils blonds dégoulinant de sang de tomate.

Deux dames aux bras croisés le regardent boulimer, debout devant la table, immobiles, fascinées, presque incrédules. La mère et la fille. Belles et brunes, chacune dans son genre. Regards de braise, taille souple, profil grec, cheveux mousseux sur les tempes et séparés par une raie que je vais qualifier de médiane sans que ça fasse un pli. Habillées de noir, l’une et l’autre, comme les dames de l’Île de Sein. Avec des seins comme des îles. Et des lèvres brillantes comme l’huile de ricin. Et des culs si perfectionnés que tu voudrais t’y faire naturaliser Sicilien ! Et des jambes que c’est dommage qu’elles portent des jupes si longues tellement on les devine bien complètement parfaites, de bas en haut. Et des bouches qui te font penser à des colliers à zob. Et des dents si blanches que tu comprends la fraîcheur consécutive de leur haleine. Et des oreilles que n’importe quel connard à petit tirage d’écrivaillon prétendrait finement ourlées, parfaitement, ma chère. Et aussi des épaules douces et rondes que leurs bras s’y accrochent à la perfection. Et des nuques pour le baiser. Et puis putain d’Adèle, des ventres plats, fermes et souples à la fois, pour te servir d’oreiller avant et après l’amour. Et puis encore, des mains de madone, kif-kif sur les tableaux de Fra Machin et de Michel-Ange. La mère, la fille. Superbement identiques. Se donnant la réplique du miroir à dix-huit ans d’intervalle. Bellissimales, les deux. À croquer. Que dis-je : à bouffer ! Et comme il faut, espère. Sans rien en laisser, feuilles et poils, pis qu’artichaut. À lécher comme les belles gelatti aux couleurs de pastel. Maman, fifille, l’une après l’autre ou ensemble. En quitter une pour gagner l’autre à la godille. Gondolier fouilleur de lagune. Au revoir, madame, bonjour, mademoiselle. Tel quel. En laisser une à marée basse, et vite foutre l’autre à marée haute. Flux, reflux, refoule-me, refous-me-le. À t’t’à l’heure, damoiselle, pronto, signora ! Me revoilà, m’y revoici. Ah ! ce qu’on est bien, ce qu’on est bien tous les trois. Toi et moelle. Attends que je continue un doigt de cour. Bouillaver surréaliste, mon frère. Se regarder émettre dans les yeux du portrait. Panard pour tous. Maman, fifille. Miss et Mistress. À toi, à vous, à moi Auvergne ! Jouez, hautbois ; résonnez musettes ! Tiens, smock ! Attention les yeux ! C’est bon pour la conjonctivite, conjonctivite et bien. Je te conjonctionne. En dos majeur, en pubis mineur, à hue et à quatre pattes. Elles m’époustouflent, que je te dis. Sont admirables. Je donnerais ta vie pour une heure avec elle ; la mienne, pour une journée. Un grand plumard pour y forger la séance du siècle. Je le construis dans ma pensarde. Très bas pour qu’on en puisse tomber, et rouler l’amour sur de l’épaisse moquette veloutée. Et tu sais pas quoi ? Une dame vient d’entrer : la mère de la mère. Belle encore, belle toujours. À caramboler d’office, sans chichi, pour le sport, la performance. Dévaler les générations en engouffrant son frifri grisonnant. Un pied majestueux. Le calçage sexagénaire. Bioutifoul en plein. Sobre, net, précis. Respect pour les poils occultes blanchissants. Cérémoniard, tu mets. Permettâtes-vous, Maâme, que je pénétrasse céans votre séant, océan de délices ? Mémé, maman, fifille. La trilogie, la trique au logie. Vrzoum ! En brochette. Tu les concélèbres. Lagardère ira tatouer ! Et chlafff chlaff, dans l’ovale. L’échanson de Roland qui a épousseté la belle Aude. Aude-toi de là que j’humecte. Pan dans la lune à mémère, à mère, à fille. On m’appelle Trinitate. Tâte, c’est du Belgium ! Laquelle servir en first ? La vioque, question urgence ? Pour des raisons de conservation ? La petite-fille pas déberlinguée total, qui s’entreprend au médius pour joindre le nubile à l’agréable ? Ou alors, la celle du milieu ? Plonger en son milieu à elle. À cheval sur deux générations.