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Keith s’assura que les paramètres qui lui permettraient de revenir sur les lieux étaient bien entrés dans son enregistreur de vol. Apparemment, les instruments fonctionnaient sans problème. Malgré son instinct qui le poussait à découvrir cette nouvelle zone, il décida de poursuivre sa route : non seulement, l’autonomie des navettes ne permettait que de brefs voyages à travers les transchangeurs, mais surtout, il ne disposait plus que de… – il jeta un coup d’œil à sa montre-implant – quarante-cinq minutes avant le début de sa réunion. Il se pencha sur son tableau de bord, tapa ses instructions pour un nouveau passage, lut les paramètres qui l’avaient amené jusque-là… et se redressa, surpris. De toute évidence, il était sorti à l’angle exact pour Tau Ceti. Jusqu’alors, les transchangeurs s’étaient avérés fiables, il n’avait jamais entendu parler d’une entrée effectuée selon les bons paramètres qui aurait abouti à une mauvaise sortie. Et pourtant…

Lorsqu’il leva les yeux, le vaisseau était là.

Tel un dragon céleste, il étendait ses larges ailes autour de sa coque longue et sinueuse. Aucun hublot, tuyau, soudure ou même moteur apparent ne brisait l’uniformité bleutée de sa surface tout en courbes et en arrondis. La lumière qui en émanait devait provenir du métal lui-même, car aucune étoile n’était assez proche pour l’éclairer. Keith le contempla, émerveillé. Il avait toujours trouvé Starplex magnifique, mais le vaisseau du Commonwealth n’en restait pas moins un objet manufacturé et fonctionnel. Alors que ce vaisseau inconnu était une véritable œuvre d’art.

Le vaisseau dragon se dirigeait droit sur sa navette. D’après les indications du tableau de bord, il mesurait près d’un kilomètre de long. Keith s’apprêtait à manœuvrer pour sortir de sa route quand, soudain, il vit le grand dragon bleu s’arrêter à cinquante mètres de lui.

Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Dès qu’un nouveau transchangeur était découvert, Starplex avait pour consigne de chercher des signes révélateurs de la forme d’intelligence qui l’avait activé en le traversant pour la première fois. Mais dans le cas présent, il n’avait dans sa navette ni le matériel de signalement ni les ordinateurs indispensables à la moindre tentative de communication.

En outre, il n’y avait aucune trace de vaisseau lorsqu’il avait scruté le ciel quelques minutes plus tôt. Que le dragon soit apparu aussi rapidement et se soit arrêté net dans l’espace en dépit de sa vitesse signifiait qu’il était le produit d’une technologie très avancée. De toute évidence, Keith n’était pas à la hauteur. Pour s’en sortir, il aurait eu besoin sinon de la totalité de Starplex, au moins d’un de ses engins diplomatiques. Il appuya sur la touche commandant le retour de son vaisseau vers le transchangeur.

Rien ne se passa. Ou plutôt si, mais pas de la manière attendue. Il tendit le cou pour voir les réacteurs sur le bord du boudin qui entourait l’habitacle. Ils fonctionnaient parfaitement. Pourtant, la navette ne bougeait pas d’un pouce ; les étoiles dans le ciel restaient désespérément immobiles. De toute évidence, quelque chose la retenait sur place. S’il s’agissait d’un faisceau tracteur, il devait être d’une conception particulière, car n’importe quel faisceau conventionnel aurait provoqué des craquements dans la coque fragile de la navette.

Soudain Keith vit apparaître sous l’une des ailes incurvées du vaisseau dragon ce qui lui sembla être une baie d’arrimage. Aucune porte ne s’était ouverte. Simplement, là où l’instant d’avant, il n’y avait rien, s’ouvrait à présent un creux en forme de cube. Sa navette se mit à bouger, se dirigeant vers le vaisseau étranger… exactement à l’opposé de la direction qu’il venait de programmer.

Malgré lui, il commença à paniquer. Il avait beau être un ardent partisan des premiers contacts, il préférait que ceux-ci s’établissent sur un pied d’égalité… Surtout lorsqu’il songeait à sa femme qui l’attendait, à son fils à l’université, et à ces milliers de projets d’avenir qui – il en prenait brutalement conscience – lui tenaient tant à cœur.

La navette pénétra dans la baie d’arrimage. Dans son dos, Keith vit se matérialiser un mur à la place de l’ouverture du cube, dans lequel il se trouva bientôt enfermé. Des six parois qui l’entouraient émanait une lumière diffuse. Dieu merci, le faisceau tracteur devait toujours maintenir sa navette qui, entraînée par son élan, n’aurait pas manqué de s’écraser contre le mur dans le cas contraire. Pourtant, il ne décela aucun émetteur autour de lui.

Tandis que sa navette poursuivait sa route, il s’efforça de remettre ses idées en ordre. Il était entré dans le transchangeur selon l’angle correspondant à la sortie vers Tau Ceti ; il n’avait commis aucune erreur. Et pourtant, d’une façon ou d’une autre, il avait été… dévié jusqu’ici.

Ce qui signifiait que ce qui contrôlait ce dragon interstellaire en savait plus sur les transchangeurs que les races du Commonwealth.

Et soudain, tout devint clair.

La révélation.

L’horrible révélation.

Le temps d’acquitter le péage était venu.

I

C’était arrivé comme un don des dieux. Soudain, ils avaient découvert qu’un vaste réseau de raccourcis artificiels trouait la Voie lactée et permettait de voyager instantanément d’un système stellaire à un autre. Personne ne savait qui avait construit des passages ni quel était leur but précis. Quelle que soit la race extrêmement avancée qui en était à l’origine, elle n’avait laissé aucune autre trace derrière elle.

D’après les explorations réalisées aux télescopes hyperspatiaux, il existait quatre milliards de sorties distinctes de transchangeurs dans notre galaxie, soit une pour chaque centaine d’étoiles. Entourés d’un halo de tachyons en orbite, les transchangeurs se repéraient facilement dans l’hyperespace. Mais, parmi eux, seulement deux douzaines semblaient en activité ; les autres, en dépit de tous les moyens employés pour les activer, restaient désespérément fermés.

Le transchangeur le plus proche de la Terre se trouvait dans le nuage de Oort de Tau Ceti. Les vaisseaux qui le traversaient pouvaient se retrouver soixante-dix mille années-lumière plus loin, sur Rehbollo, le monde des Waldahuds, ou sur Flatland, le monde de l’étrange race ebi, à cinquante-trois mille années-lumière. En revanche, la sortie repérée près de Polaris, qui n’était qu’à huit mille années-lumière, restait, comme tant d’autres, endormie, et donc inaccessible.

Un transchangeur ne pouvait devenir une sortie pour des vaisseaux arrivant d’autres régions du réseau qu’après avoir servi au moins une fois d’entrée. C’est ainsi que les autres races avaient dû attendre que les Nations Unies envoient une première navette dans le transchangeur de Tau Ceti, dix-huit ans auparavant, en 2076, avant de pouvoir l’utiliser comme sortie. Trois semaines après cet événement, un vaisseau waldahud jaillissait du même orifice – et soudain, humains et dauphins n’étaient plus seuls dans l’univers.

Évidemment, les spéculations allèrent bon train, et nombreux furent ceux qui pensèrent que le réseau des transchangeurs avait été créé de façon à laisser en quarantaine les zones de la galaxie où aucune race n’avait atteint une maturité technologique suffisante. Étant donné la faible proportion de passages en activité, certains s’empressèrent même d’affirmer que les deux espèces dominantes de la Terre, Homo sapiens et Tursiops truncatus, faisaient partie des premières races de la galaxie ayant atteint ce niveau.