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— Faut vraiment que j'aye l'esprit d'équipe pour êt' v'nu, déclare ce prince de l'amitié. Figure-toi qu'avait chez mon beauf' une p'tite voisine salingue comme un' gu'non à qui je commençais à faire un doigt de cour…

Il joint en bourgeon les cinq doigts de sa main droite et se met à les humer avec l'air captivé d'un chien policier auquel on fait renifler le slip d'une jeune fille disparue.

— Charogne, c'tait bien parti, moi et cette bourrique. Son vieux est voiliageur d'commerce. Y fait les Pyrénées, c'est t'dire qu'elle a des loisirs, la Zézette.

— Tu la récupéreras en rentrant, fais-je miroiter.

Il opine.

— Certes. S'l'ment, les gonzesses, tu sais comment t'elles sont ? Un jour é t'sautent au paf, et la fois d'après, comme ell' sont en main av'c un croquant nouveau, ell' t'envoyent aux pelosses. Y'a rien de plus azalée-à-toir.

Il continue de promener ses doigts chargés de souvenirs sous ses narines palpitantes.

— Faut dire qu'l' beauf' a été d'première à mon égard pou' c'qu'est de me faciliter la tâche. Toi, av'c ta chopine d'cheval, y n'f'sait qu'm' dire. Tu penses que ça n'tombait pas dans l'oreille d'une sourde ! E m'filait des coups de périscope su' les bas morcifs, la môme Zézette. E me supputait, quoi. Et moi, quand j'me sens supputé par un' frangine, ça m'fout de l'enthousiasse dans le kangourou ; rien qu'l'idée…

On écluse.

Une première bouteille, puis une seconde. Ensuite de quoi, on se fait des petits flacons de scotch, ensuite de gin. On s'arrondit gentil, en causant cul.

Deux hommes, à cette heure, tu voudrais qu'ils causent de quoi ? C'est l'instant où t'as que deux solutions : tu parles de Dieu ou bien des fesses. Nous, Dieu, c'est l'affaire de chacun. On ne peut pas se raconter Dieu. Tandis que des dargifs de petites salopes, ça pullule dans notre mémoire. Un cul chasse l'autre.

Le Béru beurré finit par se rendormir dans son fauteuil. Moi-même je tombe de sommeil et de biture en demi-teinte. Pinuche n'est toujours pas rentré. La fille au manteau d'Oslo (Vive la Norvège !) a dû l'entraîner à dache. Bon, comme dit le Gros : il rentrera quand lui !

Je vais me pager.

* * *

Il est des lieux où, lorsque tu t'y éveilles, tu sais immédiatement où tu te trouves. Marseille est de ceux-là. Ouvrir les yeux à proximité de la Canebière ne laisse place à aucune incertitude. De même que lorsqu'on se réveille à Venise. Poum, les bruits t'envahissent bien avant que tu aies repris conscience. Ton sub' fait le boulot et quand t'open tes vasistas, te v'là aussitôt renseigné.

Un léger mal de caillou, consécutif aux mélanges, me file des lancées dans la calandre. Je m'empresse d'aller prendre une douche froide. Après quoi je commande six cafés simples, car il va me falloir cette charge d'explosif pour assurer ma mise à feu de la journée.

En attendant que le room-service s'occupe de moi, je pousse la porte de communication pour demander à Pinuche où il en est de ses filoches.

Un coup de cymbale sur mon occiput !

Le Débris n'est pas là. Et son plume n'a pas été défait. Alors là, je trouve le matin saumâtre. Pinaud, ma vieille Pine ! Il a dû suivre l'osleuse comme un branque et se faire repérer.

En trombe, je vais réveiller Bérurier. Je le trouve assis sur la lunette de ses chiottes, la tête dans les épaules, plutôt sublime dans son maillot de corps à grille plus troué que des filets de basket-ball. Il somnole en déféquant, le chéri, ne suspendant ses rêves que pour fournir des contractions libératrices.

— Pinaud n'est pas rentré de la nuit ! lui lancé-je.

Il mélode un long pet langoureux et balbutie, ayant repris souffle :

— Il a dû faire un coucher. J'ai jamais v'nu à Marseille av'c Pinaud sans qu'y fasse un coucher. Ça lu vient d'son voiliage d'noces qu'y l'a fait à Marseille. La mère Pinuche voulait pas s'laisser déberlinguer, tu la connais, c'te vieille galoche av'c sa frime de chaisière ? Alors César, pendant qu'é f'sait ses balblutions, y disait qu'y l'allait ach'ter l'journal et y grimpait une pute en vitesse. D'puis, il a le culte ds putes marseillaises et c'est fou l'nomb' de chaudelances qu'il a ram'nées d'ici, la Pine, comm' d'aut' ramènent des coquillages. Son vice c'est un coucher, pour s'rattraper du va-vite qu'il était obligé lors d'son voiliage d'noces, l'pauvre, pas inquiéter sa mégère. J'te parille qu'il s'sera payé son coucher, l'César. Tu vas l'voir rentrer, av'c sa chaude-pisse en brandoulière, comme d'ordinaire. Enfin, maint'nant qu'a des suflamides, c'est moins contraignant qu'à son époque qu'y d'vait se macérer l'panoche dans c'te saloperie violette qu'j'me rappelle plus l'nom.

Ayant dit, il achève de larguer sa cargaison et se met à dérouler un fort kilométrage de faf à train. Je le laisse effectuer son ultime manœuvre et vais me raser.

* * *

Le commissaire Poilala me reçoit avec des cris de liesse. Il est le neveu du brigadier Poilala qui est chef planton à la Grande Taule de Pantruche. C'est un Corse athlétique et beau garçon, avec des grains de beauté plein la devanture et une raie impec comme sur la publicité de Silvikrine.

Il porte un costar de flic élégant, retapissable sans jumelles depuis Notre Dame de la Garde, bleu clair, à rayures noires et blanches, une chemise bleu marine et une cravate blanche servant d écrin à une perlouze véritable de la grosseur d'un petit pois britannique.

Je l'ai déjà vu la veille, puisqu'il est chargé officiellement de l'affaire du Pompon Rouge, mais il y avait trop de trèpe et de cadavres autour de nous pour que nous puissions donner libre cours à notre amitié.

— Eh ben dis donc, tu fais causer, me lance-t-il de toute la puissance de son accent méridional. Ah, ça, pour faire causer, tu fais causer ! Oh, fend de Diou ! T'as vu les journaux ?

— Je les ai survolés, oui, fais-je sans joie.

Il brandit le Provençal dont la manchette m'est consacrée sur toute la largeur.

— Dis, s'ils avaient pu agrandir le format, ils l'auraient fait ! plaisante mon ami.

— Et que pense-t-on de notre exploit chez nos collègues d'ici ?

Gabriel Poilala repose le journal et m'adresse un clin d'œil.

— Pour une fois que ce sont nos confrères parisiens qui viennent foutre la merde, on n'est pas mécontents. Mais alors, pas mécontents du tout. Ça soulage, comprends-tu ? C'est comme si tu avais apporté un peu d'oxygène. Du temps qu'on va crier haro sur vous, on nous foutra la paix à nous autres et on pourra se permettre quelques opérations tapageuses sans qu'elles fassent trop de tapage, justement !

Je prends place sur le siège qu'il pilote vers moi.

— Tant mieux que ça serve au moins à quelque chose, soupiré-je.

Poilala tire une bouteille et deux verres d'un placard.

— Allons, ne pousse pas cette gueule, Antoine. Ça s'oubliera très vite. Tout s'oublie très vite, tu as dû le remarquer ? L'actualité, c'est comme les allumettes : tu la frottes, elle s'enflamme, puis elle s'éteint et t'as plus qu'à jeter ce qui reste. Tiens, bois, c'est un petit marc de chez nous : y'a mieux, mais y'a pire.

Je trinque. Pas mal : fruité.

L'alcool me met un léger feu sous la langue et réveille mon mal de tronche qui venait de s'assoupir.

— Je suis en pleine chiasse, avoué-je d'entrée : Pinaud a disparu.

Et je lui raconte l'histoire de la filante avec la môme à la veste d'ocelot.

Il cesse de sourire.

— Dis voir, j'ai l'impression que vous avez déclenché un truc pas piqué des vers, les deux ! Cette affaire du Pompon doit avoir de sacrées ramifications.

— Je le crois aussi.

Poilala décroche le bigophone et réclame un rapport concernant toutes les urgences de la nuit dans les hôpitaux et les commissariats marseillais.