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Chez nous, d'ailleurs, il suffit d'un peu d'esprit pour gouverner. La bonne humeur tient lieu de génie, un bon mot sacre un homme et le fait grand pour la postérité. Tout le reste importe peu. Le peuple aime ceux qui l'amusent et pardonne à ceux qui le font rire.

Un seul coup d'oeil jeté sur le passé de notre patrie nous fera comprendre que la renommée de nos grands hommes n'a jamais été faite que par des mots heureux. Les plus détestables princes sont devenus populaires par des plaisanteries agréables, répétées et retenues de siècle en siècle.

Le trône de France est soutenu par des devises de mirliton.

Des mots, des mots, rien que des mots, ironiques ou héroïques, plaisants ou polissons, les mots surnagent sur notre histoire et la font paraître comparable à un recueil de calembours.

Clovis, le roi chrétien, s'écria, en entendant lire la Passion : « Que n'étais-je là avec mes Francs ! »

Ce prince, pour régner seul, massacra ses alliés et ses parents, commit tous les crimes imaginables. On le regarde cependant comme un monarque civilisateur et pieux.

« Que n'étais-je là avec mes Francs ! »

Nous ne saurions rien du bon roi Dagobert, si la chanson ne nous avait appris quelques particularités, sans doute erronées, de son existence.

Pépin, voulant déposséder du trône le roi Childéric, posa au pape Zacharie l'insidieuse question que voici : « Lequel des deux est le plus digne de régner, celui qui remplit dignement toutes les fonctions de roi, sans en avoir le titre, ou celui qui porte ce titre sans savoir gouverner ? »

Que savons-nous de Louis VI ? Rien. Pardon. Au combat de Brenneville, comrne un Anglais posait la main sur lui en s'écriant : « Le roi est pris ! », ce prince, vraiment français, répondit : « Ne sais-tu pas qu'on ne prend jamais un roi même aux échecs ! »

Louis IX, bien que saint, ne nous laisse pas un seul mot à retenir. Aussi son règne nous apparaît-il comme horriblement ennuyeux, plein d'oraisons et de pénitences.

Philippe VI, ce niais, battu et blessé à Crécy, alla frapper à la porte du château de l'Arbroie, en criant : « Ouvrez, c'est la fortune de la France ! » Nous lui savons encore gré de cette parole de mélodrame.

Jean II, prisonnier du prince de Galles, lui dit, avec une bonne grâce chevaleresque et une galanterie de troubadour français : « Je comptais vous donner à souper aujourd'hui ; mais la fortune en dispose autrement et veut que je soupe chez vous. »

On n'est pas plus gracieux dans l'adversité.

« Ce n'est pas au roi de France à venger les querelles du duc d'Orléans », déclara Louis XII avec générosité. Et c'est là, vraiment, un grand mot de roi, un mot digne d'être retenu par tous les princes.

François Ier, ce grand nigaud, coureur de filles et général malheureux, a sauvé sa mémoire en entourant son nom d'une auréole impérissable, en écrivant à sa mère ces quelques mots superbes, après la défaite de Pavie : Tout est perdu, Madame, fors l'honneur.

Est-ce que cette parole, aujourd'hui, ne nous semble pas aussi belle qu'une victoire ? N'a-t-elle pas illustré le prince plus que la conquête d'un royaume ? Nous avons oublié les noms de la plupart des grandes batailles livrées à cette époque lointaine ; oubliera-t-on jamais : « Tout est perdu, fors l'honneur... » ?

Henri IV ! Saluez, Messieurs, c'est le maître ! Sournois, sceptique, malin, faux bonhomme, rusé comme pas un, plus trompeur qu'on ne saurait croire, débauché, ivrogne, et sans croyance à rien, il a su, par quelques mots heureux, se faire dans l'histoire une admirable réputation de roi chevaleresque, généreux, brave homme, loyal et probe.

Oh ! le fourbe, comme il savait jouer, celui-là, avec la bêtise humaine.

« Pends-toi, brave Crillon, nous avons vaincu sans toi ! »

Après une parole semblable un général est toujours prêt à se faire pendre ou tuer pour son maître.

Au moment de livrer la fameuse bataille d'Ivry : « Enfants, si les cornettes vous manquent, ralliez-vous à mon panache blanc ; vous le trouverez toujours au chemin de l'honneur et de la victoire ! »

Pouvait-il n'être pas toujours victorieux, celui qui savait parler ainsi à ses capitaines et à ses troupes.

Il veut Paris, le roi sceptique ; il le veut mais il faut choisir entre sa foi et la belle ville : « Baste ! murmura-t-il, Paris vaut bien une messe ! » Et il changea de religion comme il aurait changé d'habit. N'est-il pas vrai cependant, que le mot fit accepter la chose ? « Paris vaut bien une messe ! » fit rire les gens d'esprit, et l'on ne se fâcha pas trop. N'est-il pas devenu le patron des pères de famille en demandant à l'ambassadeur d'Espagne, qui le trouva jouant au cheval avec le dauphin : « Monsieur l'ambassadeur, êtes-vous père ? »

L'Espagnol répondit :

« Oui, sire. »

« En ce cas, dit le roi, je continue. »

Mais il a conquis pour l'éternité le coeur français, le coeur des bourgeois et le cœur du peuple par le plus beau mot qu'ait jamais prononcé un prince, un met de génie, plein de profondeur, de bonhomie, de malice et de sens.

« Si Dieu m'accorde vie, je veux qu'il n'y ait si pauvre paysan en mon royaume qui ne puisse mettre la poule au pot le dimanche. »

C'est avec ces paroles-là qu'on prend, qu'on gouverne, qu'on domine les foules enthousiastes et niaises. Par deux paroles, Henri IV a dessiné sa physionomie pour la postérité. On ne peut prononcer son nom sans avoir aussitôt une vision de panache blanc, et une saveur de poule au pot.

Louis XIII ne fit pas de mots. Ce triste roi eut un triste règne.

Louis XIV donna la formule du pouvoir personnel absolu. « L'Etat, c'est moi ! »

Il donna la mesure de l'orgueil royal dans son complet épanouissement : « J'ai failli attendre. »

Il donna l'exemple des ronflantes paroles politiques qui font les alliances entre deux peuples. « Il n'y a plus de Pyrénées. »

Tout son règne est dans ces quelques mots.

Louis XV, le roi corrompu, élégant et spirituel, nous a laissé la note charmante de sa souveraine insouciance : « Après moi, le déluge ! »

Si Louis XVI avait eu l'esprit de faire un mot, il aurait peut-être sauvé la monarchie. Avec une saillie, n'aurait-il pas évité la guillotine ?

Napoléon Ier jeta à poignées les mots qu'il fallait aux coeurs de ses soldats.

Napoléon III éteignit avec une courte phrase toutes les colères futures de la nation en promettant : « L'Empire, c'est la paix ! » L'Empire, c'est la paix ! Affirmation superbe, mensonge admirable ! Après avoir dit cela, il pouvait déclarer la guerre à toute l'Europe sans rien craindre de son peuple. Il avait trouvé une formule simple, nette, saisissante, capable de frapper les esprits, et contre laquelle les faits ne pouvaient plus prévaloir.

Il a fait la guerre à la Chine, au Mexique, à la Russie, à l'Autriche, à tout le monde. Qu'importe ? Certaines gens parlent encore avec conviction des dix-huit ans de tranquillité qu'il nous donna. « L'Empire, c'est la paix. »

Mais c'est aussi avec des mots, des mots plus mortels que des balles, que M. Rochefort abattit l'Empire, le crevant de ses traits, le déchiquetant et l'émiettant.