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Le maréchal de Mac-Mahon lui-même nous a laissé un souvenir de son passage au pouvoir : « J'y suis, j'y reste ! » Et c'est par un mot de Gambetta qu'il fut à son tour culbuté : « Se soumettre ou se démettre. »

Avec ces deux verbes, plus puissants qu'une révolution, plus formidables que des barricades, plus invincibles qu'une armée, plus redoutables que tous les votes, le tribun renversa le soldat, écrasa sa gloire, anéantit sa force et son prestige.

Quant à ceux qui nous gouvernent aujourd'hui, ils tomberont, car ils n'ont pas d'esprit ; ils tomberont, car au jour du danger, au jour de l'émeute, au jour de la bascule inévitable, ils ne sauront pas faire rire la France et la désarmer.

De toutes ces paroles historiques, il n'en est pas dix qui soient authentiques. Qu'importe pourvu qu'on les croie prononcées par ceux à qui on les prête :

Dans le pays des bossus Il faut l'être Ou le paraître.

dit la chanson populaire.

Cependant les commis voyageurs parlaient maintenant de l'émancipation des femmes, de leurs droits et de la place nouvelle qu'elles voulaient prendre dans la société.

Les uns approuvaient, d'autres se fichaient ; le petit gros plaisantait sans repos, et termina en même temps ce déjeuner et la discussion par cette anecdote assez plaisante :

« Dernièrement, disait-il, un grand meeting avait eu lieu en Angleterre, où cette question avait été traitée.

Comme un orateur venait de développer de nombreux arguments en faveur des femmes et terminait par cette phrase : “En résumé, Messieurs, elle est bien petite la différence qui distingue l'homme de la femme.”

Une voix forte, enthousiaste, convaincue, s'éleva dans la foule et cria :

“Hurrah pour la petite différence !” »

VII.

Saint-Tropez, 13 avril

Comme il faisait fort beau ce matin, je partis pour la chartreuse de la Verne.

Deux souvenirs m'entraînaient vers cette ruine : celui de la sensation de solitude infinie et de tristesse inoubliable ressentie dans le cloître perdu, et puis celui d'un vieux couple de paysans chez qui m'avait conduit, l'année d'avant, un ami qui me guidait à travers le pays des Maures.

Assis dans un char à bancs, car la route deviendra bientôt impraticable pour une voiture suspendue, je suivis d'abord le golfe jusqu'au fond. J'apercevais sur l'autre rive en face, les bois de pins où la Société essaie encore une station. La place, d'ailleurs, est admirable et le pays entier magnifique. La route ensuite s'enfonce dans les montagnes et bientôt traverse le bourg de Cogolin. Un peu plus loin, je la quitte pour prendre un chemin défoncé qui ressemble à une longue ornière. Une rivière, ou plutôt un grand ruisseau coule à côté, et tous les cent mètres coupe cette ravine, l'inonde, s'éloigne un peu, revient, se trompe encore, quitte son lit et noie la route, puis tombe dans un fossé, s'égare dans un champ de pierres, parait soudain devenu sage et suit son cours quelque temps ; mais, saisi tout à coup par une brusque fantaisie, il se précipite de nouveau dans le chemin qu'il change en mare, où le cheval enfonce jusqu'au poitrail et la haute voiture jusqu'au coffre.

Plus de maisons ; de place en place une hutte de charbonniers. Les plus pauvres demeurent en des trous. Se figure-t-on que des hommes habitent en des trous, qu'ils vivent là toute l'année, cassant du bois et le brûlant pour en extraire du charbon, mangeant du pain et des oignons, buvant de l'eau et couchant comme les lapins en leurs terriers, au fond d'une étroite caverne creusée dans le granit. On vient d'ailleurs de découvrir, au milieu de ces vallons inexplorés, un solitaire, un vrai solitaire, caché là depuis trente ans, ignoré de tous, même des gardes forestiers.

L'existence de ce sauvage, révélée je ne sais par qui, fut signalée sans doute au conducteur de la diligence, qui en parla au maître de poste, qui en causa avec le directeur ou la directrice du télégraphe, qui s'étonna devant le rédacteur d'un Petit Midi quelconque, qui en fit une chronique à sensation reproduire par toutes les feuilles de Provence.

La gendarmerie se mit en marche et découvrit le solitaire, sans l'inquiéter d'ailleurs, ce qui prouve qu'il devait avoir gardé ses papiers. Mais un photographe, excité par cette nouvelle, se mit en route à son tour, erra trois jours et trois nuits à travers les montagnes, et finit par photographier quelqu'un, le vrai solitaire, disent les uns, un faux, affirment les autres.

Or l'an dernier, l'ami qui me révéla ce bizarre pays me fit voir deux êtres plus curieux assurément que le pauvre diable qui vint cacher dans ces bois impénétrables un chagrin, un remords, un désespoir inguérissable, ou peut-être le simple ennui de vivre.

Voici comment il les avait trouvés. Errant à cheval à travers ces vallons, il rencontra une sorte d'exploitation prospère, des vignes, des champs et une ferme humble mais habitable.

Il entra. Une femme le reçut, âgée de soixante-dix ans environ, une paysanne. Son homme, assis sous un arbre, se leva et vint saluer.

— Il est sourd, dit-elle.

C'était un grand vieillard de quatre-vingts ans étonnamment fort, droit et beau.

Ils avaient à leur service un valet et une servante. Mon ami, un peu surpris de rencontrer dans ce désert ces êtres singuliers, s'informa d'eux. Ils étaient là depuis fort longtemps : on les respectait beaucoup, et ils passaient pour avoir de l'aisance, une aisance de paysans.

Il revint les voir plusieurs fois et devint peu à peu le confident de la femme. Il lui apportait des journaux, des livres, s'étonnant de trouver en elle des idées, ou plutôt des restes d'idées qui ne semblaient point de sa caste. Elle n'était d'ailleurs ni lettrée, ni intelligente, ni spirituelle, mais semblait avoir, au fond de sa mémoire, des traces de pensées oubliées, le souvenir endormi d'une éducation ancienne.

Un jour, elle lui demanda son nom.

— Je m'appelle le comte de X..., dit-il.

Elle reprit, mue par une de ces obscures vanités gîtées au fond de toutes les âmes :

— Moi aussi, je suis noble !

Puis elle continua, parlant pour la première fois assurément de cette chose si vieille, inconnue de tous.

— Je suis la fille d'un colonel. Mon mari était sous-officier dans le régiment que commandait papa. Je suis devenue amoureuse de lui, et nous nous sommes sauvés ensemble.

— Et vous êtes venus ici ?

— Oui, nous nous cachions.

— Et vous n'avez jamais revu votre famille ?

— Oh ! Non : songez que mon mari était déserteur.

— Vous n'avez jamais écrit à personne ?

— Oh non !

— Et vous n'avez jamais entendu parler de personne de votre famille, ni de votre père, ni de votre mère ?

— Oh non ! Maman était morte.

Cette femme avait gardé quelque chose d'enfantin, l'air naïf de celles qui se jettent dans l'amour comme dans un précipice.

Il demanda encore :

— Vous n'avez jamais raconté cela à personne.

— Oh non ! Je le dis maintenant parce que Maurice est sourd. Tant qu'il entendait, je n'aurais pas osé en parler. Et puis, je n'ai jamais vu que des paysans depuis que je me suis sauvée.