— Regarde là, le géologue ? Au fond de ce ruisseau.
Bernard regarda sans conviction, fit un saut. Au fond de la rigole la roche nue apparaissait. Fébrilement il déboucla son marteau, fit sauter un éclat. C’était une matière roussâtre, brillante.
— Ça ressemble diablement à certains calcaires !
Vite, il fit l’essai à l’acide. Une violente effervescence se produisit. Bernard se tourna vers ses camarades, et dit, avec émotion :
— Dans l’état actuel de la science – il semble bien –… que le calcaire nécessite le concours de la vie pour se former…
Ce fut comme si le paysage désolé s’était effacé pour faire place à de vertes campagnes. Il y avait donc eu de la vie, sur cette infernale planète. Ils se sentirent l’esprit allégé de toute la morne lassitude qui pesait sur eux. Ils avaient trouvé quelque chose ! Et, dut-il se borner à cela, leur travail n’aurait pas été vain.
Une demi-heure plus tard, ils pensèrent à faire halte. Mais comme le sol montait, ils décidèrent de marcher encore jusqu’au faite. Et ils arrivèrent sur le bord d’une falaise. Une rivière des temps révolus avait creusé là un si fantastique canon que même les millénaires ne l’avaient pas effacé. La vallée était à moitié comblée par les sables, et la rive qui leur faisait face avait beaucoup plus souffert.
Ils descendirent par une vire étroite et difficile, et bivouaquèrent au pied, sous un surplomb. C’était le même calvaire roussâtre. Bernard se dirigea vers un éboulis récent et bientôt ses coups de marteau, atténués par la raréfaction de l’air, retentirent aux oreilles de ses compagnons. Soudain ceux-ci le virent faire une danse de peau-rouge, grotesquement déformée par le scaphandre, et amplifiée par la faible pesanteur. Il brandissait un morceau de roche, et poussait des beuglements inarticulés. En deux bonds Paul et Louis furent près de lui.
— Eh bien, vieux, qu’y a-t-il ? Parle ! Qu’as-tu trouvé ?
Un hurlement leur répondit :
— Une ammonite ! Oui, une ammonite. Et savez-vous ce que cela prouve ? C’est que la vie a, du moins jusqu’à un certain point, suivi la même évolution sur la Terre et sur Mars !
C’était une ammonite en effet, en très mauvais état du reste. Fébrilement tous se mirent à casser le calcaire avec leurs masses. Et, bientôt, ils eurent une récolte de différents fossiles se rapportant à des animaux assez voisins de ceux de la Terre, sauf toutefois une coquille en double spirale qui embarrassa Bernard. Saisi de frénésie, il se rua vers la falaise, et, armé de son marteau et d’un ciseau, grava :
Ici, le 12 octobre 1956, l’expédition Terre-Mars eut la première preuve que Mars n’a pas toujours été un monde Mort.
Mais ce fut Louis qui devait faire la découverte capitale. Ayant contourné un pan de falaise, il revint en courant, et entraîna ses compagnons sans mot dire. Et là, émergeant du sable, et formant les 7 points d’un heptagone régulier, ils virent 7 prismes de métal blanc.
Chapitre II
Ray disparaît
Le Rosny cahotait, roulant vers le camp de l’Heptagone et la vallée morte. Le chemin fut vite parcouru et bientôt tous les terrestres furent réunis devant les mystérieux prismes. Hélène ayant émis l’hypothèse d’une cristallisation fut vigoureusement attaquée par Bernard et Sig, qui n’eurent pas de peine à lui démontrer que étant eux-mêmes heptagonaux, les prismes ne pouvaient être naturels sans démolir toutes les lois de la cristallographie terrestre. Et du moment que la chimie terrestre s’applique aux étoiles, il n’y a aucune raison que la cristallographie terrestre ne s’applique pas à Mars. Non, ces prismes ne peuvent être qu’artificiels.
— Il y a donc eu une humanité sur Mars. Peut-être existe-t-elle encore, dit Bernard à Ingrid qui se tenait près de lui. Et pour lui-même il ajouta : Je suis sûr de ne pas avoir rêvé, l’autre nuit, maintenant.
Paul et Sig examinaient soigneusement les prismes. Ils étaient hauts d’environ trois mètres, et épais de 70 cm.
— À quoi diable cela a-t-il pu servir ? Et quel est ce métal ?
Sig s’approcha d’un des prismes, et à l’aide d’outils essaya d’en détacher une parcelle.
— En tout cas, c’est très dur.
Finalement, sous un violent coup de marteau, une partie de l’arête saute. Sig la saisit, appela Ingrid, et disparut dans le Rosny. Quand il revint, il déclara :
— Alliage de platine, en faible partie, et d’iridium. Chaque prisme représenterait une fortune sur la terre.
— En voilà qui avaient de l’argent à revendre, s’exclama Arthur. Mais cela ne nous dit pas à quoi cela servait !
— Peut-être était-ce un temple, suggéra Louis. Ce métal précieux…
Ray haussa les épaules :
— Ce n’était pas forcément un métal précieux, pour eux.
— Évidemment. Nous n’en savons rien !
— Le mieux qu’il y a à faire, dit Bernard, c’est de creuser à la base.
— Voilà bien le géologue. Creuse tant que tu voudras. Je vais faire quelques photos aux environs. Tu viens, Louis ? Il y a une carte à faire, ici.
— Non, je reste. Je veux savoir où ça s’enracine.
Ils commencèrent les travaux de déblaiement. Une légère excavatrice, sortie des soutes du Rosny, fut mise en action. Rapidement, sous la conduite experte d’Arthur, elle creusa un entonnoir dans le sable meuble. Ils parvinrent ainsi, vers deux mètres de profondeur, à une surface de métal lisse dans laquelle s’enfonçaient les prismes, sans qu’on puisse voir une solution de continuité. Paul et Sig descendirent dans la fosse.
— Étrange, commença ce dernier…
Venant de loin, on entendit un coup de feu, étouffé, un autre, isolé, deux encore. Puis le silence…
— Ray ! Ray !
L’appel, amplifié par les mégaphones qui faisaient partie du casque, résonnait lugubrement dans l’espace vice. Ils s’étaient répartis en trois groupes de recherches depuis le moment où à 1 km 800 du camp, hors de la vallée, ils avaient trouvé les douilles vides du fusil de Ray et l’arme elle-même, le canon tordu et à demi cisaillé comme par des pièces puissantes. Sur le sol les traces de pas finissaient brusquement et étaient remplacées par une piste étrange, une piste faite de trous espacés, dans le sable.
— Ray !
Cela sonnait comme un cri dérisoire, dans l’immensité plate. Le son planait longuement et retombait sans réponse.
— Ray ! Ray !
Paul pleurait de rage et de désespoir.
— C’est ma faute. J’aurais dû lui interdire de s’éloigner.
Un fusement puissant le fit se retourner. Sig et Bernard avaient sorti le H.G. Wells, et prenaient leur vol. L’avion monta, brillant dans le ciel noir, sous le pâle soleil, tournoya et fonça vers l’est, dans la direction où partait la piste. Sig était aux commandes, Bernard examinait le sol, cherchant le moindre indice. Tous deux, même l’impassible Suédois, bouillaient de fureur et de douleur contenues. Comme ils l’aimaient, au fond, leur compagnon perdu, le silencieux américain féru de photos et d’aventure ! Une colère terrible leur venait contre ces ennemis inconnus qui attaquaient sans provocations.
Ils survolèrent une assez haute colline, où se creusait un grand porche qui semblait naturel. La piste s’y engageait. L’avion piqua vers le sol et vint s’arrêter à 30 mètres de l’entrée. Ils bondirent au dehors, une musette pleine de grenades à la hanche. Après quelques mètres dans la caverne, ils s’arrêtèrent, prudents, examinant les lieux. C’était une large voûte, d’une vingtaine de mètres de haut, qui disparaissait peu à peu dans l’obscurité. Ils avancèrent aux aguets, une grenade à la main. Rien ne bougeait. Les empreintes avaient disparu sur le sol rocheux. Puis, dans un rayon de la lampe de Sig, ils virent un objet étrangement familier : l’étui de cuir du Leica de Ray. Bernard le ramassa. Il était vide et fermé. Il l’ouvrit, en retira un papier chiffonné. Quelques lignes au crayon y étaient tracées, presque illisibles.