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« Mes gardes m’entraînèrent vers le tapis roulant, s’y assirent et m’y firent asseoir. Ils agissaient avec une confiance surprenante. Il ne semble pas leur être venu à l’idée, jusqu’à mon évasion, que je puisse être dangereux. Après avoir glissé pendant 200 à 300 mètres dans la salle, entre deux rangs de crabes au repos, le tapis s’engouffra dans un tunnel, faiblement éclairé celui-là. Un autre tapis glissait à notre gauche, en sens contraire, transportant un grand nombre de pièces de métal, de moteurs et de martiens en toge. Petit à petit la chaleur s’accroissait, tant et si bien que je dévissais mon casque. En effet, ou bien l’atmosphère environnante était irrespirable pour moi et autant valait s’en rendre compte tout de suite et agir en conséquence, ou bien c’était le même air que le nôtre, et j’avais tout avantage à économiser celui de mes réservoirs pour une évasion future. Pour la pression, le manomètre du scaphandre indiquait une atmosphère et demie, supérieure donc à celle de la Terre, mais pas assez pour m’incommoder. Je dévissai donc prudemment, et m’aperçus avec joie que je respirais sans difficulté.

« Quelques centaines de mètres après que nous eûmes quitté la grande salle, le tapis roulant s’engagea sur une pente assez prononcée. Elle augmenta, jusqu’à devenir presque verticale. Au fur et à mesure le tapis se disjoignait en lames qui restaient horizontales. Nous arrivâmes ainsi à une profondeur que j’évalue à 180 ou 200 mètres. À ce moment, on me fit prendre un ascenseur qui descendit encore de 100 mètres, et déboucha par la voûte dans un immense monde souterrain.

« Imaginez une grotte de plusieurs kilomètres carrés, brillamment éclairée, plantée d’arbres, traversée de rivières, et semée d’habitations en forme de cylindre coiffé d’un cône très allongé. La voûte avait au moins 500 mètres de haut. Notre ascenseur descendait dans un tube de verre ou de matière transparente, et j’avais une forte impression d’insécurité. Il ne se composait en effet que d’une simple plate-forme sans garde-fou, et il y avait entre son bord et le tube un hiatus d’un bon mètre. Mes regards pouvaient plonger vers le bas. Vu sous un angle oblique, le tube n’était plus guère transparent, mais avait l’air brillant comme du mercure.

« Nous nous rapprochions du sol à une allure modérée. J’eus ainsi tout le temps d’observer la vallée. J’emploie ce terme, car plutôt que d’une grotte, l’impression était d’une vallée encaissée. La voûte disparaissait dans une irradiation violente, et les parois dans le lointain. À mesure que nous descendions, les détails se précisaient. J’aperçus des routes sur lesquelles circulaient des engins à pattes, analogues aux crabes, mais découverts, avec seulement quatre pattes, et de nombreuses tentacules souples. D’autres machines glissaient sur les rivières. Par places la végétation était dense, et semblait cultivée intensivement. Les arbres étaient les uns verts, les autres rougeâtres.

« À la fin, nous touchâmes le sol. Je fus conduit à pied jusqu’à une bâtisse, qui comme les autres était cylindro-conique, mais qui s’en différenciait par ses plus grandes dimensions. Une porte automatique s’ouvrit devant nous. Elle donnait sur une vaste salle cylindrique, aménagée comme une salle de conférences terrestre, ou un tribunal. Sauf toutefois que derrière la place réservée au conférencier ou au juge, était un large écran blanc. Sur l’estrade, douze martiens siégeaient, en toges blanches, et les bancs étaient garnis d’une foule dense, uniquement masculine. Je devais voir des femmes que bien plus tard. Cette foule était profondément silencieuse, et, ainsi que les douze de l’estrade, fixait l’écran, qui scintillait. Dans un coin, un martien surveillait et dirigeait une machine compliquée.

« Ils vont me faire voir leur cinéma, pensai-je.

« Ce en quoi je me trompais beaucoup. Le scintillement de l’écran cessa, et peu à peu des images apparurent, d’abord floues, puis nettes. Je vis alors le Rosny entouré de crabes, se défendant à coups de canon, et le Jules Verne qui fuyait sans tirer. »

— Nous n’avions plus de munitions, coupa Hélène.

— C’est ce que je pensai, et je fus inquiet. Tout à coup l’avion apparut et bombarda. Les images se brouillèrent, au grand désappointement de l’assistance, qui se mit à s’agiter, sans parler toutefois. Alors un de mes gardiens s’avança et, respectueusement me sembla-t-il, s’adressa aux 12. Il s’exprimait dans une langue gutturale, où le vocable eckli revenait fréquemment ; sa voix était faible. Son discours dura bien une demi-heure. Les 12 se concertèrent assez longuement ; la foule, avec une absence de curiosité qui me parut étrange – je pense à la sensation que ferait un martien à New York ou à Paris – sortit. Peut-être était-ce par discipline, pensai-je. La suite des événements me prouva que cette hypothèse était bonne. Enfin, celui qui avait l’air le plus âgé répondit à mon garde, qui approcha alors un micro, ou quelque chose du même genre de sa bouche et dit quelques mots. Une vingtaine de martiens surgirent d’une porte, tandis que les douze sortaient de l’autre côté. Les survenants se jetèrent littéralement sur moi. J’essayai de tirer mon revolver, ne le pus, en assommai 5 ou 6 à coup de poing. Je fus frappé, pincé, serré, je reçus un choc au crâne et m’évanouis.

« Je repris connaissance dans une salle circulaire, à plafond bas, sans aucune ouverture visible. Les murs étaient ornés de bas-reliefs où gambadaient des crabes stylisés. J’ai eu tout le temps de les étudier et de les photographier, car je suis resté dans cette salle près de deux mois. Il y régnait une vive lumière, continue, ce qui me gêna d’abord beaucoup pour dormir ; puis, je m’y suis habitué. Les deux premiers jours, j’y suis resté absolument seul. Puis on me fit sortir, étroitement surveillé, une fois par 24 heures. On me faisait parvenir pendant mon sommeil une nourriture abondante et excellente, mais fort peu nourrissante, du moins pour moi. Il y entrait surtout des gélatines et des fruits. J’étais inquiet et assez déprimé. Je savais d’après ce qui s’était passé dans la salle du conseil que vous aviez été vainqueurs, mais ils pouvaient vous avoir attaqués de nouveau. Il est vrai que maintenant que vous étiez avertis du péril, vous feriez bonne garde. Autant que j’avais pu le voir, leurs armes étaient insignifiantes comparées aux nôtres. Je ne savais pas alors qu’ils sont au contraire, assez puissamment armés, et que s’ils ne se servaient pas de ces armes, c’était par suite d’une prohibition rituelle liée à leur religion. Mais cette période va bientôt prendre fin.