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Bernard, comme frappé par une idée subite, demanda :

— Quelle est la date du sacrifice du crabe ?

— Demain, commença Ray. Puis il pâlit. Non. Je me trompe : c’est aujourd’hui, ce soir, My God ! C’est terrible.

— Quand amènent-ils les victimes au temple ?

— Elles doivent y être.

— Et où est-il ?

Ray tira de sa poche un papier froissé.

— D’après le plan de Niup, là-bas, et il montra l’est.

— Pas un moment à perdre. À quelle distance d’ici ?

— Je ne sais pas. C’est au bout de la caverne, dans une grotte qui communique avec le long souterrain où vivent les crabes-dieux. Il y a une rivière à traverser. Ce peut être à des kilomètres !

Ils partirent, marchant d’un pas pressé, surveillant anxieusement la vallée où rien ne bougeait.

— Évidemment. Si le sacrifice a lieu aujourd’hui, tous ceux qui sont valides y assistent ! Quant aux autres, il leur est interdit de sortir.

Au bout d’une heure, ils entendirent un bruit d’eau qui alla grandissant. Le terrain montait. Subitement, au détour d’un rocher, ils virent la rivière. Elle jaillissait d’une grotte, à un endroit où la colossale muraille changeait de direction. Elle dévalait une pente abrupte, mi chute, mi rapide. À son entrée dans la plaine, des constructions évidemment destinées à capter son énergie, l’entouraient. Par la fenêtre de l’une d’elles on voyait un martien noir aller et venir. Les compagnons se blottirent entre deux rocs. Bernard se demandait quel était le processus qui régissait la circulation souterraine de l’eau sur Mars. Presqu’en face d’eux, une passerelle légère traversait la rivière, la surplombant de plus de 10 mètres.

— Ray, Bernard ! Attention. Il s’agit de franchir vite ce pont. Il y a à peu près 100 m à découvert, donnez toute votre vitesse ! Vous y êtes ? Hop.

Ils coururent à toute allure. La passerelle sonna sous leurs bonds.

— C’est impossible, pensait Bernard, qu’ils ne nous entendent pas.

Mais rien ne bougeait. À part le martien entrevu dans l’usine, nul être vivant ne s’était montré. Sitôt la passerelle franchie, ils se retrouvèrent dans un chaos de roches éboulées, propice à l’avance cachée, propice aussi aux embuscades. Une chaleur lourde faisait ruisseler leur sueur sur leur visage. Revolver en main, ils se glissèrent de roches en roches, le cœur battant d’excitation et de la course. Ils firent encore un kilomètre. Puis ils arrivèrent devant un porche de grandes dimensions. Devant lui, le dos tourné, était un groupe de trois martiens. Il fallait, de toute évidence, les supprimer sans bruit. Sig rampait déjà. Ray le saisit par la jambe et le fit revenir.

— Laisse-moi faire.

Il fouilla dans sa musette, en tira une dizaine de tubes qu’il vissa bout à bout. Finalement le tube ainsi constitué avait 1 m de long. Il ouvrit alors une caissette et en sortit d’étranges petites flèches de quelques centimètres. La pointe, très aiguë, était couverte d’un enduit brun. Il les leur montra en souriant.

— Poison, souffla-t-il. Mes expéditions d’Amérique du sud m’ont donné l’idée de cet engin.

Il se pencha, introduisit une flèche et souffla. Là-bas, à 30 mètres, un des martiens sursauta et porta la main à son cou. Le deuxième se retourna, juste à temps pour recevoir une flèche en plein visage. Le troisième, voyant ses compagnons frappés mystérieusement chercha quelque chose à sa ceinture, ne le trouva pas, courut vers un crabe dont deux pattes dépassaient de derrière un rocher, et reçut à son tour une flèche dans la nuque. Il fit quelques pas, battit l’air de ses bras, tomba. Les autres étaient déjà morts. Le tout avait duré 30 à 40 secondes.

— Ça fait la deuxième fois que je m’en sers, dit Ray. La première fois, c’était contre Big Johnson, le gangster !

Ils enjambèrent les cadavres et pénétrèrent sous le porche. Le sol était magnifiquement dallé de métaux précieux, qui dessinaient des formes géométriques complexes. Le couloir était assez étroit. Ils marchèrent sans rencontrer d’autre résistance. La loi d’airain qui pesait sur les martiens noirs était si vieille et avait été si durement sanctionnée, que les moyens de contrainte et de défense étaient devenus inutiles. À mesure qu’ils avançaient, un chant lointain leur parvenait, ample et mélancolique. Il montait et descendait comme le chant du vent dans les arbres, était coupé de silences, et s’enflait parfois en un formidable unisson. À n’en pas douter, c’était tout un peuple qui chantait ainsi. La voie, sacrée continua entre deux rangées de statues très réalistes. Sig les examina de près, et dit :

— Mais ce sont des hommes métallisés !

— Antinea, souffla Bernard. Mais ni Ray ni Sig ne comprirent cette allusion à un roman français du début du siècle.

Brutalement, comme le chant se taisait, la voie tourna, et ils furent en vue du temple. Ils avaient débouché dans une caverne, éclairée par de grands projecteurs qui lançaient une lumière pourpre, fatigante pour la vue. Le temple, construction baroque de pierre et de métal, presque cubique, orné de nombreuses sculptures, se dressait au milieu d’un grand parvis de métal qui paraissait noir sous la lumière rouge. Un côté donnait sur une piscine de très grande taille, qu’entourait un immense amphithéâtre grouillant d’une foule confuse. Sur le parvis, près de la piscine, se tenait le collège des prêtres, en robe pourpre, et les soldats qui gardaient les victimes, nues. Il y en avait 100, hommes et femmes tous martiens jaunes. Soudain au milieu d’eux, ils aperçurent la haute taille de Louis, et le corps trapu d’Arthur.

Le chant reprit sur un mode lugubre. Trois prêtres saisirent une jeune martienne jaune, et, malgré ses cris, la précipitèrent dans la piscine. Il y eut un soudain bouillonnement, une grosse pince surgit, happa le corps. D’autres pinces apparurent, bataillèrent avec la première, et finalement plongèrent toutes avec un fragment de proie. Le sacrifice était commencé ! Rapidement, ils se concertèrent. Que faire contre cette foule immense ?

— Voilà, dit Sig. Sur Terre, je lance la grenade à 70 mètres. Ici j’en ferai bien le double ! Or, nous sommes à 100 mètres environ. Je propose donc un arrosage de grenades, afin de semer la panique…

Un cri de Bernard l’interrompit.

— Regarde !

Deux prêtres avaient saisi Arthur qui gesticulait. Louis faisait des efforts terribles pour rompre ses liens. Arthur se débattit, glissa, fut poussé et tomba dans la piscine. Mais auparavant, il avait saisi une main d’un prêtre entre ses dents, et l’avait entraîné dans la mort. Ils ne regardèrent pas, toute leur haine et leur fureur concentrée dans le jet des grenades. Elles planèrent un instant, s’enfoncèrent dans la foule, dilacérant les membres et les torses. La deuxième grenade de Bernard, trop courte, écorna le temple. Il y renonça alors, saisit sa carabine et se mit à écheniller le collège des prêtres. Louis avait réussi à rompre ses liens, et se battait sauvagement avec l’épée arrachée à un garde.

— Tiens bon, Louis, nous voilà ! hurla Bernard.

Jusqu’alors les martiens, sidérés par la pluie de projectiles, n’avait pas connu leur provenance. Le cri de Bernard les renseigna. La foule hurlait, pris de fureur et de panique.

Ils foncèrent sur le temple, à grands pas, géants animés d’une folie de carnage. Sans arrêt, ils tiraient avec leurs revolvers. Les martiens affolés, couraient en tous sens. Louis avait coupé les liens de quelques martiens jaunes, et les avait armés avec les épées des gardes morts. Mais il était évident qu’ils finiraient par succomber sous le nombre. C’est alors que les trois arrivèrent.

La ligne des gardes plia sous le choc. Sur Terre, les trois camarades totalisaient 285 kilos Chacun dans son genre, c’étaient de puissantes machines de guerre, faites pour le combat corps à corps, possédant la masse, la vélocité et l’intelligence. Sig et Bernard brandissaient leurs carabines par le canon, faisant éclater les crânes, brisant les membres. Un peu à l’écart, Ray déchargeait sans cesse son revolver, et le rechargeait avec une dextérité de cow-boy de film. Petit à petit, ils approchèrent de Louis et de sa troupe de martiens jaunes. Ceux-ci se battaient bien, il y eut une longue oscillation, puis la trouée fut faite, et ils se rejoignirent.