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Il fit un signe, et sur l’écran les images défilèrent. Ils virent de grandes villes, populeuses et animées, des campagnes cultivées, survolées par des avions légers à grande surface portante. La population, paisible avait la peau blanche. Comme technique, c’était très supérieur à tout ce qu’avait encore produit le cinéma en couleur terrestre. Puis ce furent des vues aériennes prises au-dessus du territoire des rouges, montrant le bombardement des orifices de leurs cités souterraines. Sur l’écran apparut un être rappelant une fourmi. Il en avait le corps divisé en trois, les six pattes, la grosse tête et les antennes. Mais quatre pattes seulement étaient ambulatoires. Les deux pattes antérieures étaient nettement adaptées à la préhension, trifides au bout, et terminées par des griffes aiguës, opposables. Les mandibules existaient, réduites. Deux grands yeux sombres et fixes, situés sur le côté de la tête, encadraient trois ocelles.

La projection cessa et Tser reprit :

— La guerre fut dure. Au début, nous eûmes la maîtrise absolue de l’air. Plusieurs fois nous chassâmes les rouges de la surface. Ils se retiraient alors dans leurs cités souterraines et y préparaient de nouvelles armées. Jamais nos ancêtres ne purent y pénétrer. Puis la lutte changea de face. Ce fut d’abord l’apparition de machines volantes chez les rouges. Bâties sur des principes différents des nôtres, elles s’avérèrent égales à nos meilleurs types. Quelles étaient au juste les armes de bord, tant des nôtres que des leurs, nous ne le savons pas. La guerre fut longtemps indécise. Puis nous perdîmes du terrain. Nous évacuâmes à nouveau les 11 et 12es états. Le 10 et le 9es suivirent entraînant la perte de la majorité de nos mines de chrome. Alors fut conclue une trêve, sans contredit à l’avantage des rouges. Ils gardaient les états conquis, plusieurs de nos villes étaient détruites, alors que les leurs, souterraines, avaient très peu souffert. La trêve fut conclue par un de nos présidents, homme de génie, nommé Biler. Il voulait surtout gagner du temps. Il pensait que puisqu’on ne pouvait pas vaincre les rouges en les attaquant par la surface, il fallait porter la guerre dans leurs cités en les attaquant par le sous-sol. Nos ancêtres se mirent à construire des perforatrices monstrueuses, et étaient prêts à reprendre la guerre quand la mutation brusque se produisit.

Depuis une vingtaine d’années, on avait constaté ce fait curieux qu’il naissait beaucoup d’enfants profondément différents de leurs parents. Il n’y avait eu depuis la préhistoire, qu’une seule race humaine sur Mars, la race blanche. Or, il semblait bien que cet état de chose était en train de changer. Le premier enfant « muté » qui naquit fut Anax ; il appartenait à la race jaune, la nôtre, et son cas fut examiné à l’époque avec curiosité. Comme à part ses particularités, il était normal, la curiosité se détourna vite de lui. Mais il avait été filmé, et le film nous est parvenu par hasard. Le voici.

Sur l’écran parut un jeune enfant semblable à ceux que les terrestres avaient vu dans les écoles. Peut-être était-il un peu moins blond. Il jouait dans un parc magnifiquement fleuri. À un moment, il tourna la tête vers l’objectif et sourit. Ce sourire vieux de trente millions d’années émut étrangement Bernard.

— Les naissances extraordinaires s’étaient rapidement multipliées. Mais, dans la fureur de la guerre, qui durait depuis 30 ans déjà, personne n’y porta grande attention, à part quelques biologistes. Deux races seulement ont survécu, la nôtre et les noirs. Mais il s’en forma bien une douzaine dont une géante, qui atteignait trois mètres de haut. Pour des raisons mal élucidées, elles dégénérèrent rapidement. Au moment où le président Biler pensait reprendre les hostilités, la proportion d’enfants anormaux qui naissaient atteignit 70 %, dont 30 % de jaunes et 25 % de noirs. La vérité apparut aux plus fermés à l’évidence : l’espèce se transformait. Vraisemblablement, les rouges avaient dû se transformer également, ce qui expliquait leur subit changement de comportement. Seulement chez eux le physique n’avait pas changé, et la mutation avait été psychique. Quelles sont les causes de ces mutations ? Certains pensèrent qu’elles étaient dues à un surcroît de rayonnements à la suite de la grande catastrophe solaire qui avait eu lieu peu de temps avant, et qui avait englouti une planète intérieure à Mercure, heurtée et déviée par un colossal bolide. Mais cette théorie s’accorde mal avec le fait que de pareilles mutations ont dû se produire dans le règne animal au cours des périodes géologiques. Nos biologistes modernes pensent avoir résolu le problème, et vous pourrez vous en entretenir avec eux. Quatre-vingt ans après la mort du président Biler, la population de Mars ne comprenait plus que des jaunes, des noirs et quelques autres. Le dernier blanc, un chimiste, mourut tragiquement dans un accident. Nous avions, jaunes et noirs, hérité de leur science, de leur langue, et de leur inimitié avec les rouges.

La trêve continua encore quelques années. Il y eut de grands remaniements de population. D’un commun accord, jaunes et noirs se partagèrent le territoire. Il y eut en effet dès le début une profonde antipathie entre les races. Mutuellement, nous nous trouvions hideux et insupportables. Ils étaient surtout portés aux études psychologiques et physico-chimiques considérées d’un point de vue pratique. Nous faisions nos délices des grandes théories explicatives, sans guère chercher d’applications. Pour la construction de machines, ils nous étaient alors nettement supérieurs, et sans l’aide des rouges nous aurions été détruits. Mais j’anticipe. La trêve fut rompue. Une nuit, les rouges incendièrent et détruisirent Kopak, capitale des noirs et centre métallurgique important. Le lendemain, ce fut Talle, notre capitale, qui flamba. Les perforatrices Biler se trouvaient inemployées dans nos arsenaux ; immédiatement elles se mirent à l’ouvrage. Trente jours après la destruction de Talle, elles firent irruption dans la capitale rouge du onzième état. Ce fut une surprise complète. Nous la noyâmes sous d’énormes quantités de gaz toxiques, à base d’acide cyanhydrique. Puis eut lieu la phase décisive de la guerre. Un chef influent des rouges fut fait prisonnier. Par lui nous apprîmes de façon indiscutable que ce n’étaient pas les rouges qui avait rompu la trêve, mais les noirs. Nous décidâmes alors de faire notre possible pour arrêter la guerre. Un conseil de paix eut lieu un mois après. Nous reconnûmes aux rouges la possession du dixième, onzième et douzième états. Ils nous restituèrent le neuvième, et s’engagèrent à nous fournir à titre d’échange tout le chrome qui nous était nécessaire. Tout semblait heureusement terminé.

Nous avions compté sans les noirs ! Huit jours après ceux qui écoutaient leur radio entendirent une véhémente accusation de trahison de la cause humaine portée contre nous. Vingt-quatre heures après c’était la guerre. Nous avons conservé les films de l’attaque de nos villes par les noirs. En voici un exemple :

L’écran montra une petite cité, à la nuit, brillamment illuminée en l’honneur de la paix. Dans les rues une foule visiblement heureuse. Puis soudain les faisceaux des projecteurs saisissant des avions dans leurs doigts mobiles, les explosions, la chute des maisons, soufflées par quartiers entiers, et pour finir une véritable pluie de feu en nappes, consumant tout ce qui était resté debout.

— La ville de Ble comptait 55 000 habitants. Pas un ne survécut. Ce document fut trouvé dans les débris d’un avion abattu. Cette nuit-là nous eûmes 600 000 morts ! Ce fut le premier emploi par les noirs du « feu liquide » qui devait nous faire tant de mal. Malgré tous leurs efforts, nos chimistes ne sont jamais arrivés à en déterminer la formule. Ce corps se détruisait en produisant son effet.