— Nous venons, dirent Bernard, Sig et Ray.
— Je viens aussi, dit Ingrid. Partout où tu iras, j’irai.
Chapitre IV
Le fulgurant
Au jour dit, l’expédition était prête à partir. Elle comportait huit membres : Loi, Anaena, Kni, Elior, Bernard, Sig, Ingrid et Ray. Elle devait emprunter comme moyen de transport trois kryoxi jusqu’à la cité morte de Llo, après quoi elle s’engagerait à pied dans les vieux tunnels. À Llo, la garnison de martiens jaunes, forte de 200 hommes, garderait les machines. La veille, Bernard s’était fait montrer l’emplacement de Llo sur la carte. Ce n’était pas très loin du 70e degré de latitude sud, et exactement sur le 30e degré de longitude ouest dans la région du Mont Argenteus.
Loi était le chef. Armez-vous, recommanda-t-il aux terrestres. Il vaut mieux que vous utilisiez vos armes. Les nôtres sont difficiles à manier sans une grande habitude. Cependant, il est inutile d’emporter vos fusils qui vous gêneraient dans les galeries parfois très étroites. Ils prirent donc chacun deux revolvers, des munitions, quelques grenades. Ray y ajouta bien entendu son Leica muni de pellicules martiennes.
Par un chemin qui leur était inconnu, ils parvinrent, guidés par les jaunes, à un garage de kryoxi. Il y en avait là environ 200, les pattes repliées. Loi fit la répartition des membres de l’expédition.
— Anaena, Bernard et Ingrid dans le 1, Kni, Ray et Elior dans le 2, Sig et moi dans le 3.
Chaque kryox était quadriplace. Même si un des appareils était détruit, l’expédition ne serait pas compromise. Avec curiosité Bernard pénétra à la suite des deux jeunes filles, dans l’intérieur de l’engin. Jamais jusqu’à présent, il n’avait eu l’occasion d’en visiter. Il déboucha dans une vaste nef oblongue, longue de 10 mètres, mais dont toute la partie arrière était encombrée par des moteurs, ce qui réduisait considérablement la place disponible. Cette salle était coupée, par des cloisons étanches en matière transparente, en trois pièces : une pour les moteurs, une autre qui servait de sas et contenait les scaphandres, et le poste de direction. Toute la paroi avant de cette dernière pièce était également transparente. Quatre sièges y étaient disposés, trois sur la même ligne et un autre un peu en retrait. Devant chacun des trois premiers, trois claviers, semblables à celui d’un piano, mais bien plus petite, occupaient des sortes de petites tables. Ils étaient identiques, à un ou deux détails près. Chaque touche portait un caractère martien ; elles étaient toutes noires, sauf deux rouges sur le clavier central.
— La manœuvre n’est pas compliquée, dit Anaena en s’installant. Il aurait été vain de vouloir commander directement les mouvements très complexes des pattes. Aussi, est-ce un mécanisme particulier qui s’en charge. Notre seule tâche consiste, en appuyant sur ces touches, à en régler la vitesse. Selon vos mesures, nous avons, de gauche à droite : Départ, vitesse 5, 10, 30, 45, 60, 85 km/h, ce qui est le maximum. Les changements de direction sont commandés par ces pédales. Il y a en plus le saut et l’arrêt. Les deux touches rouges commandant le… disons, canon. Celle de droite le début du tir, celle de gauche l’arrêt. Le pointage en hauteur se fait en manœuvrant ce curseur le long de ce demi-cercle gradué, le pointage en direction au moyen de cette roue. La lecture de distance et la visée à l’aide de ce petit télémètre qui est devant le siège du milieu. Bernard, tu prends le siège du milieu, et tu seras chef de combat. Voici une notice rédigée en caractères terrestres qui te donnera de plus amples détails. Je dirigerai au clavier de gauche. Ingrid s’assiéra à droite. Ce petit bouton vert est la sirène d’appel. Je m’en charge.
— Mais, dit Ingrid, si une fois à la surface, la coque est crevée, l’air fuit et on est asphyxié ?
— Non, car la coque est double, et entre les deux tôles, il y a un composé qui a la faculté de boucher immédiatement les trous, s’ils ne sont pas trop grands, acheva-t-elle en souriant.
Par la paroi transparente Bernard vit le Kryox 3, qui contenait Loi se dresser sur ses pattes lentement. Par le petit écran du rétro-téléviseur, il vit également le 2 accomplir la même manœuvre.
— J’oubliais, reprit la martienne, le déploiement des pattes s’obtient en appuyant simultanément sur les touches arrêt et départ. C’est toi Ingrid, qui va faire dresser le kryox. Si ça ne marche pas bien, lève les mains, je réparerai.
Un peu d’angoisse à l’idée de faire un faux geste, Ingrid obéit. Ils sentirent l’engin se soulever avec douceur, sans à coups.
— Il y a longtemps, demanda Bernard, que vous possédez des kryoxi ? C’est vraiment remarquable comme mécanique.
— Ce n’est pas nous qui les avons inventés, ce sont les rouges. Nous les avons seulement perfectionnés. Mais nous avons participé à l’invention du fulgurant qui les arme, et qui est d’un effet terrible. Tü verras du reste, si nous trouvons des noirs, comme je l’espère.
Tout en parlant elle avait mis en marche, à vitesse très réduite. Ils s’engagèrent dans un tunnel, puis un monte-charge qui les amena à la surface. Bernard aperçut à gauche le vaste hangar édifié par les martiens autour du Rosny. Puis la vitesse augmenta, et les trois kryoxi s’organisèrent en triangle, le 1 en tête, le 2 à gauche et le 3 à droite, un peu en arrière. Bientôt ils filèrent à vitesse maximum, parmi les dunes plates, droit vers le sud-ouest. La machine roulait un peu, une sorte de balancement doux assez agréable.
— Si je calcule bien, dit Ingrid, il y a jusqu’à Llo 4500 km. À 80 de moyenne, ça fait 56 heures, soit 2 jours et 8 heures.
— Oh, nous mettrons plus que cela. Il faut compter trois bons jours. Nos kryoxi sont aménagés spécialement pour de longs trajets et comportent beaucoup plus de confort que tu ne pourrais le croire. À l’extrémité arrière, après la chambre des machines, il y a une pièce de repos avec quatre lits superposés, une soute à vivres-cuisine, etc. Nos kryoxi font 14 mètres de long, et les trois pièces avant n’occupent que 10 mètres.
Longtemps, Ingrid regarda défiler le paysage. Peu à peu la conversation était tombée. Bernard potassait son manuel de tir martien. Anaena conduisait, ce qui n’était pas très absorbant, le trajet se poursuivant en ligne droite. Vers la fin du jour, d’après une estimation de Bernard, on devait atteindre le Phrixi regio, peut-être Bosporos gemmatus. Le voyage était monotone. Ingrid regretta de ne pas avoir emporté de livres. Bientôt elle trouva une distraction dans la contemplation des autres kryoxi. Ils avançaient dans un tournoiement de pattes, soulevant la poussière rougeâtre du sol martien. Leur allure était souple et sûre. Ils lui firent involontairement penser à des fourmis. Puis elle fit la découverte qu’elle voyait le monde comme une vraie fourmi devait le voir, toutes proportions gardées, et cela la fit rire. Bernard leva la tête, lui sourit et se replongea dans son étude. À midi, ils s’arrêtèrent quelques instants pour prendre un bref repas. Vers 5 heures du soir, Anaena, qui avait semblé jusqu’alors somnoler sur ses commandes, se redressa soudain. Puis, touchant l’épaule de Bernard qui dormait tout à fait :