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— Regardez ! Là-bas, les pylônes de la zone de protection ! C’est là que nous allons passer la nuit.

Ils regardèrent et ne virent rien que l’horizon et le sable nu.

— Je sais, vous ne voyez rien. Vous n’êtes pas habitués encore au désert de surface. Dans un moment vous allez voir.

Petit à petit surgit de l’immensité morne une bâtisse trapue, surmontée d’un grand pylône de métal à jour. Quand ils furent plus qu’à 2 kilomètres environ, le télégraphe enregistreur fit entendre son léger bruit, et sur la bandelette de papier des caractères martiens s’imprimèrent.

— Ils nous souhaitent la bienvenue, traduisit Anaena.

Ils dormirent dans le poste de garde. C’était un bâtiment écrasé au sol, en métal, avec des dépendances souterraines, qui faisait partie de la ceinture de protection du territoire des martiens jaunes. Il était occupé par une quinzaine d’hommes et de femmes, relevés tous les deux mois. Il servait aussi de base de départ pour les expéditions analogues à la leur. Kni et Elior avaient déjà séjourné dans d’autres « pylônes ».

Ils repartirent dès l’aube, et filèrent droit pendant une heure. Alors Anaena se retourna vers ses compagnons et leur dit :

— À partir de maintenant, nous ne sommes plus sur notre territoire, mais sur la terre de personne. Des patrouilles de noirs y rôdent sans cesse. Veillez bien. Leurs engins sont moins rapides que les nôtres, leurs armes moins puissantes, mais elles ont une portée un peu supérieure. Ingrid, tu vas conduire un peu pour t’habituer à la manœuvre, puis ce sera au tour de Bernard.

Ainsi occupées, les heures leurs semblèrent moins longues que la veille. La conversation fut plus animée. Anaena était déjà passée à cet endroit, mais ce furent surtout Kni et Elior, rôdeurs de planète, comme tous les géologues, qui fournirent les renseignements. Ils conversaient d’appareil à appareil, par radiophonie.

— Eh bien, Ray, dit Bernard, comment cela va-t-il ?

— Mal, my God. Sale pays. On ne photographie pas le néant !

— Garde de la pellicule, intervient Sig. Si j’en crois ce que me dit Loi, tu auras bientôt des prises de vue à faire. Où sommes-nous, Bernard ?

— Dans l’Ogygis regio.

Là-bas, dans le numéro 3, Sig comparait les cartes martiennes et terrestres.

— C’est bien ça. Les martiens l’appellent Bil-Hior. D’après Loi, il n’y a pas d’exemples qu’un raid l’ait traversée sans avoir à combattre.

Trois brefs coups de sirène interrompirent net la conversation. Ils partaient du 2, à un kilomètre sur la gauche.

— Formation de combat, traduisit Anaena. Bernard, à ton poste. Ingrid, tiens-toi prête à me remplacer si je suis touchée.

Par radio Kni les informa qu’un nuage de poussière se déplaçait au ras du sol, à quelques distances.

— Jamais les kryoxi de surveillance ne s’éloignent tant des pylônes, ni de Llo sans avertir. Ce sont les noirs !

Les trois kryoxi piquèrent vers l’ennemi présumé. En vain Bernard et Sig firent-ils valoir qu’on pouvait les éviter grâce à la vitesse supérieure de leurs engins. Toute considération de prudence était abolie chez les martiens jaunes par une haine trente mille fois millénaire. Ingrid aurait donné sa vie pour voir un combat entre martiens. Pour Ray, c’était un grand reportage à ne pas manquer. Rapidement la distance décrût. Peu à peu les formes se précisèrent dans la poussière. C’étaient bien des crabes, au nombre d’une dizaine, plus grands que ceux que les terrestres connaissaient déjà. Eux aussi fonçaient droit. Les kryoxi manœuvrèrent de façon à coiffer la tête de la ligne ennemie. Ils ne furent plus qu’à trois kilomètres, à deux, à un.

— Tire, Bernard, tire, cria Anaena.

Il hésita, en proie à cette horreur de tuer sans nécessité qui le caractérisait. On aurait pu éviter ce combat. Il crispa ses mains sur les commandes, visa, posa le doigt sur la touche rouge, balançant entre le désir de voir fonctionner les armes du kryox et sa répulsion pour le meurtre, même des ennemies impitoyables. Il eût préféré que ce fussent les autres qui commencent. Les 2 et 3 attendaient le signal du 1 placé au centre, pour ouvrir le feu.

À l’avant d’un des crabes une lueur sauta. Bernard entendit soudain un craquement sec, puis derrière lui, une explosion. Il se sentit enveloppé d’un souffle chaud, des éclats sifflèrent, ricochant dans le poste de commande, lui fauchant le bout de l’auriculaire gauche. Anaena s’écroula sur son clavier. Il y eut un instant de peur, l’appréhension de la coque crevée, puis, comme la pression ne semblait pas baisser, un flot de haine le souleva, balayant ses sentiments humanitaires. Saine et sauve, Ingrid avait pris les commandes. À peine avait-elle rentré la tête dans les épaules lors de l’explosion. Alors il appuya à fond sur la touche rouge. Un jet de flamme sembla jaillir du toit du numéro 1. Puis, des 2 et 3, deux autres comètes flamboyantes s’envolèrent. Elles planèrent un instant, puis s’abattirent parmi les noirs. Il y eut comme l’embrasement de trois étoiles vertes. Le soleil sembla pâlir et bien qu’ils fussent au moins à 800 mètres de ces foyers ardents, Bernard vit son ombre portée sur la cloison du fond, et tout l’intérieur du kryox se colora en vert.

— Arrête l’appareil, dit une voix familière. Ingrid obéit. Le numéro un stoppa, imité par les autres. Anaena se souleva, secouant la tête. Un mince filet de sang coulait sur sa nuque, parmi les cheveux blond pâle, noir dans la lumière verte.

— Ce n’est rien, dit-elle. Mais eux ont leur compte ! Tu vise bien, Bernard.

Bernard reporta ses yeux vers le brasier. Celui-ci baissait peu à peu et finit par s’éteindre. Il ne restait plus trace des machines noires. Dans un rayon de 300 mètres le sable était vitrifié. Bernard s’aperçut qu’il ruisselait de sueur. La paroi avant était brûlante.

Sig ayant exprimé le désir d’examiner à pied les points de chute, il fallut attendre que le sol fut refroidi. Pendant ce temps, Ingrid soigna Anaena et Bernard. L’éclat qui avait blessé la martienne avait ricoché sur le plafond et s’était heurté à un ornement d’iridium qu’elle portait dans les cheveux. Cet ornement avait pénétré un peu dans les chairs d’où un choc et une légère coupure.

Au bout d’une heure, ils purent pénétrer dans la zone vitrifiée. À l’endroit où avaient été les machines ennemies, ils ne virent que quelques parcelles de métal fondu. Dans leurs engins respectifs, Loi, Kni et Elior éclatèrent de rire. Anaena sourit en regardant ces débris. Puis, rencontrant le regard désapprobateur de Bernard :

— Nous devons te sembler bien cruels et insensibles. Mais tu l’as vu toi-même, si nous n’avions pas été vainqueurs, c’est nous qui serions morts. Seulement au lieu d’être volatilisés, nous serions déchiquetés. Et nous avons eu de la chance. S’ils avaient tiré avant d’être à notre portée… Nous sommes peut-être mauvais, mais ils sont pires que nous !

Au soir, ils firent halte dans les ruines d’une cité de surface, datant de la dernière « renaissance », qui possédait quelques chambres étanches soigneusement entretenues comme relais. Kni et Loi réparèrent le numéro un. Les dégâts étaient minimes. Le trou à l’avant, de faible diamètre s’était colmaté tout seul. La paroi transparente qui séparait le poste de commande du sas, brisée, fut rapidement remplacée. Les martiens tirèrent des soutes des tubes pleins d’un liquide épais, qu’ils versèrent dans des moules. Cette substance prit en peu de temps la dureté de l’acier. Puis la nouvelle cloison fut montée.