— On dirait deux sœurs, pensa-t-il.
Les trois martiens étaient un peu plus loin. La fièvre des blessés était tombée. C’étaient de beaux hommes, eux aussi, bien bâtis ; mais on sentait que leurs muscles, bien dessinés, n’avaient pas la densité de ceux de Sig ou de Bernard.
Ray se réveilla à son tour, et comprit à la direction du regard les pensées de son ami.
— Dommage qu’on ne puisse pas les ramener sur Terre ! Ils feraient sensation à Hollywood.
— Je ne pense pas qu’ils s’y plairaient beaucoup, cinéaste de malheur ! Je les verrai bien plutôt à une séance de l’Académie des Sciences. Du reste, rien ne dit qu’ils n’y viendront pas. Rappelle-toi que leurs ancêtres ont déjà fait le voyage, et qu’ils avaient trouvé le séjour sur la Terre pénible, mais supportable. Je crois qu’ils s’y habitueraient assez vite. Leurs os sont solides et leurs muscles aussi. Ça m’amuserait de présenter Anaena à mon bon maître Saguin ! Je me vois déjà la baladant à Paris, en Dordogne…
— Hum… Il y a quelqu’un à qui cela ne plairait peut-être pas beaucoup, et d’un mouvement de tête il désigna Ingrid.
— Ingrid ? Je ne pense pas qu’elle serait jalouse ! Elle serait avec nous, bien sûr.
Comme il achevait, elle se réveilla, se frotta les yeux, très petite fille.
— Vous parliez de moi, je crois. Que disiez-vous ?
— Nous parlions surtout d’eux, d’amener les martiens sur la Terre, et de les présenter aux Académies. Ray veut même les faire tourner à Hollywood, le « Don Juan de la planète Mars » ou quelque chose de ce genre, n’est-ce pas Old Nut !
Ils se mirent à rire, ce qui réveilla tout le monde. Après un frugal repas, Sig demanda aux martiens s’ils se sentaient assez reposés pour aller jusqu’à Tacoma.
— Quelle distance y a-t-il ?
— J’ai marché six heures à l’aller, mais je n’étais pas brillant, et un peu moins de cinq heures au retour. Fatigué comme je l’étais, je n’ai guère dépassé le trois à l’heure.
— Comptons donc de 15 à 20 kilomètres.
— Nous pouvons le faire, je crois, dit Kni après avoir consulté ses camarades.
— Alors, partons !
Le trajet se fit sans incident. Quelques heures plus tard ils étaient dans la caverne lumineuse, étendus sur une plage de sable fin, à un coude de la rivière. La caverne était beaucoup plus longue que large, et de forme assez tortueuse. La vue ne portait pas loin. Après que tous, sauf Kni, se furent baignés avec délices, ils prirent un peu de repos. Les blessures de Loi cicatrisaient. Kni allait bien mieux. Les éraflures des autres n’étaient plus que des souvenirs.
Chapitre VII
Les martiens rouges
Ils rêvassaient, étendus sur le sable fin, quand tout à coup Bernard eut un cri.
— Écoutez !
Ils entendirent un faible vrombissement qui grossit de seconde en seconde. Avant qu’ils aient eu le temps de bouger, quelque chose qui ressemblait à une énorme guêpe déboucha de derrière le détour de la paroi rocheuse. D’un saut ils bondirent sur leurs armes. L’engin décrivit une courbe gracieuse et vint se poser à quelques mètres d’eux. Le tourbillonnement des ailes cessa, une porte s’ouvrit dans son flanc, et un martien rouge parut, sans armes apparentes, qui sauta sur le sable.
Loi s’avança, fit deux gestes compliqués. L’autre comprit, répliqua de même, ajoutant une stridulation aiguë. Loi dit :
— Je lui ai demandé : ami ou ennemi ? Il m’a répondu : cela dépend de vous. En tout cas, leur langage ne s’est pas trop modifié depuis les antiques temps de notre alliance. Combien je me réjouis d’avoir appris cette langue, si l’on peut dire, que nous croyions morte à jamais !
Il reprit cette étrange conversation. Anaena sembla y prendre part.
— Votre aspect, dit-elle aux terrestres, l’étonne et l’inquiète un peu. Il m’a demandé qui vous étiez. J’ai dit que vous étiez nos alliés contre les noirs, et que vous veniez de la Terre.
Notes de Bernard
Le 6 – 9 heures. Nous voici dans la cité des rouges. Étrange ville ! Nous y sommes arrivés hier dans trois guêpes qui sont venues nous chercher. Du haut la cité est invisible, souterraine au deuxième degré. Seul de petits édifices apparaissent sur le sol de la caverne : les abris qui recouvrent les entrées. Nos guêpes se sont posées sur des balcons placés devant des niches à mi-hauteur de la falaise. Ce sont de bien curieuses machines, très précises et assez rapides, 3 ou 400 km/h, ce qui est largement suffisant en souterrain. Je n’ai pas pu suivre leur manœuvre, car le poste de pilotage est clos, et on ne nous a pas laissé pénétrer.
Pour le moment nous sommes tous dans une chambre absolument nue, sauf un tapis de laine métallique, de rares étagères où sont posées des appareils dont j’ignore l’usage, quelques livres imprimés sur métal, et de quoi écrire : feuilles de métal léger, voisin du dural, très minces et un stylo à encre spéciale. J’ai pu visiter les pièces à côté, elles sont identiques. Ce doit être une sorte d’hôtel. Toutes sont occupées par deux à six martiens rouges, qui dorment à même le sol sur le tapis métallique. Ils dorment du reste très peu, 2 ou 3 heures.
J’enrage de ne pas comprendre leur langage par gestes et stridulations. Anaena et Loi sont partis avec l’un d’eux.
11 heures. Je vais aller faire un tour. Je verrai bien si nous sommes libres ou prisonniers. J’ai décidé Ray, Sig et Ingrid à venir. Les autres veulent rester dormir. Ils s’installent sur le tapis.
13 heures. Nous voilà de retour. Que cette cité est monotone. Toujours ces cellules nues, ces mêmes appareils. Où sont leurs usines, leurs labos ? Nous avons vu peu de rouges. Ils nous ont regardés curieusement, si toutefois il peut y avoir une expression sur leurs visages. J’ai l’impression d’être l’hôte d’une fourmilière. Au fond, physiquement, ce sont de gigantesques fourmis. Je les classerais même plutôt parmi les Dorylinae…
Anaena et Loi ne sont pas rentrés. Que deviennent-ils ? Nous avons nos armes. Seraient-elles efficaces ? Le fulgurant sûrement, mais il n’est pas aisé de s’en servir, dans ces souterrains. Et ses munitions sont rares. Sur la proposition de Ray, nous mangeons. Ingrid vient de me dire qu’elle a peur. Moi aussi.
22 heures 30. C’est bien plus étrange que je ne pensais. Mais prenons les choses en ordre, et ne charrions pas l’antécambrien sur le quaternaire. Après avoir mangé, j’ai voulu ressortir. J’ai franchi la porte et demandé à Ingrid et Sig s’ils venaient. Comme ils s’avançaient pour me rejoindre, la porte a jailli du sol et les a enfermés. Heureusement que j’ai mes armes, deux revolvers, trois grenades. J’ai essayé de rouvrir. Va te faire fiche ! J’ai alors tapé en morse, vous en faites pas, je reviens. Sig a répondu : bon. Je suis parti dans la direction opposée, à celle que j’avais prise ce matin. Au bout d’un long couloir, j’ai rencontré une grande salle où passaient des wagons chargés de minerais de fer. Assez imprudemment, j’ai sauté sur un et je me suis laissé conduire. Au bout de 2 ou 3 minutes, j’ai entendu un bruit grandissant ; après un passage sous un court tunnel, ma voiture particulière est arrivée dans une autre salle, immense et emplie du vacarme des machines. Là de gigantesques concasseurs broyaient le minerai qui filait ensuite par des tapis roulants vers un autre tunnel, à gauche de celui d’où je venais. De nombreux ouvriers travaillaient autour de ces mécanismes compliqués. Mais ce n’était pas des martiens rouges ! C’étaient bien des fourmis certes, mais de taille plus petite, brunâtres, avec de très courtes antennes. Je sautai de mon wagon avant qu’il ne déverse son contenu dans le concasseur, et circulai parmi eux. Aucun ne semblait faire attention à moi. Je parlai, criai, gesticulai, les touchai, étrange contact, rien n’y fait. Ils ne s’occupent que de leur travail. Certains vont et viennent pour des nécessités de travail que je ne comprends pas. Je fais une expérience, me mets sur leur chemin. Le premier bute sur moi, comme s’il ne m’avait pas vu, recule, recommence et recommence encore jusqu’à ce qu’il m’ait culbuté ! Je m’éloigne, à quatre pattes, puis me relève, stupéfait. Les ouvriers ont repris leur travail, comme si de rien n’était