— Des circonstances indépendantes de notre volonté vont peut-être vous obliger à abréger votre séjour parmi nous. L’ennemi attaque, qui nous est 20 ou 30 fois supérieur en nombre, si nous le dominons par nos armes. Mais cet avantage est fragile. Nos réserves de munitions s’épuisent, et leur remplacement nécessite une dépense d’énergie effrayante, que notre planète ne nous donne qu’avec parcimonie. Il est possible que nous soyons vaincus. Nous allons vous souhaiter un heureux voyage de retour, dès que vous aurez retrouvé votre compagne, qui, je l’espère, est vivante. Une puissante force de kryoxi a réussi à se frayer un passage dans la zone où le 367 a disparu. Elle n’a pas encore trouvé trace de combat.
Sig se leva pesamment.
— J’ai au nom de mes camarades, une contre-proposition à vous faire. Nous vous proposons une alliance totale, toutes nos forces mises en commun. En deux mots, vos usines pourraient construire une vingtaine d’avions semblables au nôtre, des bombes en quantité et une arme dont j’ai déjà parlé à Anaena et à Loi. Nous demandons seulement la libre disposition pour Paul des laboratoires de physique, pour moi de ceux de chimie, et le droit de consulter vos archives. Paul me disait tout à l’heure qu’il se faisait fort, dans un délai assez bref, s’il en a les moyens matériels, de dissocier un ou deux éléments comme nous dissocions cet uranium qui est malheureusement si rare sur Mars.
Il y eut sur l’assemblée une onde d’espoir. Mais la voix du président s’élevai :
— Deux mois, dites-vous ? Mais dans quinze jours au plus les munitions manqueront pour les fulgurants.
— D’ici quinze jours, nous aurons fabriqué avec l’aide de vos chimistes et de vos métallurgistes des bombes suffisantes. Dans quinze jours, les premiers lance-fusées peuvent aussi être fabriqués. En attendant, nous allons miner les environs de vos villes, disputer le terrain pied à pied. Nous avons encore pas mal de munitions pour nos mitrailleuses, et notre canon, dans nos soutes.
— Le conseil décidera s’il peut accepter, dit Bilior.
Les terrestres se retirèrent.
Chapitre II
Hélène
Louis repartit sur le Wells, qui marchait tant bien que mal. Les autres attendirent. À l’assemblée, la discussion se prolongeait. Bernard pensait à Hélène. Il la revoyait, les attendant Sig et lui, devant la mairie des Eyzies, où à son chevet, pansant ses blessures. À l’idée qu’elle ait peut-être été broyée par la pince d’un crabe métallique, il grinça des dents, l’attente lui fut insupportable. Il partit par avion souterrain pour le pylône 98, se fit donner un kryox, et fonça dans la direction où le 367 avait disparu.
Au même moment, le conseil fit savoir à Sig que ses propositions étaient acceptées. Paul aurait la haute main sur les laboratoires qui lui seraient nécessaires. 300 chimistes étaient placé sous les ordres de Sig assisté de sa sœur. Louis surveillerait la construction des avions. Bernard et Ray étaient chargés de la défense des villes. Tous ne dépendaient que du Grand Conseil, où ils étaient admis, non à titre d’alliés, mais à titre de citoyens d’Anak. Sig accepta pour tous les terrestres. Par radio, l’ordre fut lancé à Louis et à Bernard de revenir immédiatement. Vers le soir, Louis rentra, sans avoir rien trouvé.
Le 502, que pilotait Bernard, fonçait à travers un voile de sable qui tournoyait au vent. La visibilité était très faible. Deux heures avant, il avait rencontré la forte patrouille dont avait parlé Bilior, qui revenait sans résultats. Ils n’avaient pas vu de crabes. Le 502 donnait sa vitesse maximum. D’un modèle perfectionné, il dépassait la vitesse normale des kryoxi et atteignait le 110 à l’heure. Bernard lui faisait décrire des spirales, au hasard de l’étendue. Dans quelques instants le soir tomberait. Il ne s’en souciait pas, tendu vers ce but : retrouver Hélène. Il lui semblait peu probable de la retrouver vivante, mais au fond de lui-même l’espoir habitait, violent et chaud.
Une embardée brusque du 502 faillit le faire choir de son siège. Les pattes du kryox ne mordaient plus le sol, mais ses griffes glissaient avec un crissement énervant. Il stoppa, regarda par le hublot inférieur : le sol était vitrifié.
— Les effets du fulgurant, pensa-t-il. Il y a eu combat !
Il reprit sa marche, à faible allure. Cinq cent mètres plus loin, il tomba sur un crabe « ramolli ». Trop loin du centre de rayonnement du fulgurant, il n’avait fondu qu’à moitié. Puis ce fut une zone extraordinaire, couverte de carapaces à demi écroulées, semée de cercles vitrifiés, sur lesquels les pattes du kryox patinaient, ou qu’elles crevaient avec un bruit rappelant celui de la neige tôlée.
Brusquement, à peu de distance de là, il trouva le 367. Il gisait étendu sur le côté droit, une vaste déchirure dans sa coque jaunâtre. Avec un cri de rage, Bernard amena le 502 à proximité, puis descendit à terre et pénétra dans le kryox détruit. De près, la coque se révéla labourée de projectiles. À l’intérieur, parmi la machinerie fracassée, deux corps gisaient, mutilés, deux martiens jaunes en scaphandres. Sous la vitre du casque les visages exprimaient plus d’étonnement que de souffrance. La main du plus grand était serrée sur le levier du fulgurant. Il n’y avait pas trace d’Hélène.
Il redescendit, chercha à pied, par cercles concentriques. Enfin il la trouva. Elle s’était défendue jusqu’au bout, à coup de grenades. Six crabes écrasés, déchiquetés, par les explosions, l’entouraient. Son casque avait été broyé par une pince, mais la tête était intacte. Du sang avait jailli des oreilles et du nez. Il se pencha, l’enleva dans ses bras, et chargé de son fardeau funèbre, revint au 502. Successivement, il y rapporta les deux martiens. Puis, la rage au cœur et les yeux secs, il fonça à pleine vitesse, dans la direction des pylônes.
Il rentra à Anak tard dans la nuit. Prévenus de son retour, Anaena et Loi l’attendaient.
— Alors ? interrogea ce dernier.
— Regarde !
Des aviateurs étaient en train de sortir les cadavres de l’avion souterrain.
— Pauvre Louis, dit Anaena. Doit-on le prévenir ?
— Je m’en charge, dit Bernard.
Ils le mirent au courant des décisions du Conseil.
— Soit, j’accepte le commandement des brigades souterraines, mais je veux être libre d’agir.
— Tu as toute liberté, dit Loi doucement.
Bernard prit l’ascenseur, et pénétra dans la salle commune. À la lueur d’une veilleuse, Sig travaillait. Paul était absent, au labo. Ray et Louis dormaient. Louis avait un vague sourire sur les lèvres. Bernard le regarda avec pitié. Puis il toucha l’épaule de Sig, qui ne l’avait pas entendu entrer.
— J’ai retrouvé Hélène, morte. Mais elle s’est bien défendue. Elle et ses compagnons sont à la gare aérienne n° 2. Avertis les autres.
— Et toi ?
— Je gagne immédiatement mon poste de combat.
— J’ai fait démonter trois mitrailleuses du Jules Verne. Elles t’attendent, avec des affûts mobiles, à l’arsenal, avec trois de tes officiers.
— J’y vais.
— Tu ne veux pas voir Ingrid ? Elle était très inquiète de ne pas te voir revenir.
— Pas maintenant. Je n’aurais pas le courage de la laisser. À mon premier moment de repos. Je crois que la lutte va être dure. Quelles sont les nouvelles ?