— Mauvaises. Tu vas avoir du travail dans les souterrains. Eyl est pratiquement encerclée dans les fonds, si nous tenons encore la surface autour, trois nouveaux pylônes sont tombés, le 1, le 44 et le 77. Nous avons détruits aujourd’hui 214 crabes, mais nous avons perdu 61 kryoxi. C’est terrible, cette guerre de surface. Il y a peu de blessés…
— De combien de kryoxi disposons-nous ?
— Environ 2 600. Il en sort dix par jour. Les noirs ont des crabes innombrables. On en a dénombré plus de 12 000 dans le secteur nord ! Il y a cependant quelques bonnes nouvelles. Les rouges sont entrés en action, et ont envahi la cité noire de Kabaneb. Six de leurs ingénieurs sont arrivés ici en mission d’étude. Les premiers lance-fusées sortiront dans quelques jours. 42 avions du type Wells sont mis en chantier. Le Wells lui-même est réparé. 12 mécaniciens y ont travaillé onze heures. Nous avons encore 32 bombes de 100 kg. Et les premières bombes martiennes seront prêtes après-demain à midi. Mais sauf cas désespéré, il servira surtout pour l’instruction des pilotes.
— Bon. Je vais passer prendre les mitrailleuses. Combien de coups ?
— 10 000 par arme.
— C’est maigre ! À bientôt.
Chapitre III
La bataille souterraine
À l’arsenal Bernard trouva les trois martiens, chefs des brigades souterraines. Il leur expliqua le fonctionnement des mitrailleuses et se fit montrer sur le plan l’emplacement de la bataille. Le secteur le plus menacé était celui de Eyl. Les martiens jaunes ne tenaient plus que le grand tunnel aérien. Toutes les autres voies qui conduisaient à Eyl depuis Anak étaient aux mains des noirs, qui avaient réussi à s’infiltrer dans les usines de chrome de Bils, à proximité du grand tunnel. Le tunnel ordinaire était coupé entre Eyl et la petite ville de Abil, centre métallurgique. La perte de Bils et Abil aurait signifié une diminution de 30 % dans la production du chrome, et elle ne saurait tarder si Eyl tombait. Le pylône 34, tout proche, et qui défendait la région à la surface venait d’être pris.
Bernard décida de se porter sur les lieux. Ils devaient aller en avion jusqu’au croisement de Floo, puis prendre le glisseur, jusqu’à proximité de la bataille. Il fit charger les mitrailleuses sur l’avion qui fonça à pleine allure vers Floo, distant de 250 km. Puis, ils prirent un glisseur. Bernard plaça les deux mitrailleuses à l’avant, et s’assit à côté d’elles, prêt à tirer. La route était cependant sûre. Les martiens jaunes étaient armés de légers fulgurants et d’une sorte de lance-grenades pneumatique.
Alors commença pour Bernard une période épuisante de quinze jours. Dès le début des sous-ordres s’opposèrent formellement à ce qu’il s’exposât personnellement. Il alla cependant aux avant-postes installer lui-même les mitrailleuses. Son plan consistait à dégager Bils où l’ennemi tenait âprement les galeries de mine, et attaquant de l’autre côté, à reprendre la maîtrise des tunnels. Ainsi la menace d’encerclement serait-elle conjurée. La deuxième partie du plan fut aisée, et deux jours après son arrivée, les tunnels étaient libres, ce qui simplifia la question des approvisionnements. Mais à Bils l’ennemi fit encore des progrès, et malgré les protestations de son état-major, Bernard résolut de prendre lui-même le commandement aux mines. À mesure que son glisseur se rapprochait, le vacarme du combat devenait de plus en plus fort. Les noirs utilisaient une sorte de mitrailleuse pneumatique dont le bruit rappelait le roulement des marteaux-piqueurs. La température était élevée, ce qui était dû à la chaleur dégagée par les fulgurants. Abandonnant son glisseur, Bernard pénétra dans les galeries. La bataille était confuse, sans gloire et féroce. Dans les tunnels étroits, elle avait la sauvagerie des guerres primitives, homme contre homme, presque main contre main. À cause des nombreux détours, l’usage des armes perfectionnées était quasi impossible. À peine les noirs pouvaient-ils se servir de leurs fusils pneumatiques, les jaunes de leur lance-grenades. Le plus souvent c’était le combat corps à corps, à l’arme blanche. La vigueur et l’adresse des jaunes étaient supérieures, les noirs l’emportaient par le nombre.
Au moment où Bernard parvint aux avant-postes, ils avaient l’offensive. L’enjeu de la bataille était un important carrefour qui commandait dix galeries. Il était brillamment illuminé, les adversaires, d’un accord tacite, n’ayant pas coupé l’éclairage. Les noirs arrivaient par six galeries, mais les Anakiens tenaient la place centrale. Derrière un rempart de wagonnets renversés, s’abritait une des mitrailleuses avec ses servants. Bernard arrivait au moment d’une accalmie. Utilisant les remblais des voies ferrées, il rampa jusqu’à la mitrailleuse. Elle était servie par deux hommes, un jeune garçon et une jeune fille, très belle. Six hommes armés de lance-grenades les défendaient.
La position des noirs était très forte. Ils avaient établi à l’entrée des galeries des barricades de moellons, de wagons renversés, et de minérales de chrome brut.
— Il faudrait un vrai canon, pensa-t-il. On ne peut employer le fulgurant ?
— Trop près, répondit la jeune fille.
Il réfléchissait à la manière de forcer ces abris. Soudain il se frappa le front :
— Suis-je bête ? Il faudrait un lance-flammes, pour cette guerre-là ! Essayez de tenir, dit-il en partant.
Rentré à son quartier général, il appela Sig au radiophone.
— D’urgence, débrouille-toi, fais-moi construire des lance-flammes. Trouve de l’essence. Il me les faudrait après-demain. Est-ce possible ?
— Difficile. On essayera. Ça va, là-bas ?
— Ça ira jusqu’après-demain. Puis, je ne garantis rien. Et à Anak ?
— Assez bien. Le premier lance-fusées est aux essais. Les métallurgistes font des miracles, les chimistes aussi. Il est vrai qu’ils ont des installations merveilleuses.
— Et la situation générale ?
— Les kryoxi tiennent à la surface. Le Wells piloté par Ray a démoli quelques crabes. Les bombes seront prêtes bientôt. La construction des avions marche, mais il faudra bien 25 à 30 jours avant que le premier soit prêt, et c’est un minimum.
— Les pylônes ?
— Le 44 a été repris, mais le 28 est menacé. Trente-deux kryoxi partent le dégager.
— Comment vont les copains ?
— Paul travaille jour et nuit. Ray forme des pilotes. Louis…
— Eh bien ?
— Ça ne va pas. Il est atone, amorphe. Il fait son travail comme dans un rêve. Ça a été un coup très dur pour lui.
— Je sais. J’ai eu le même autrefois… Et Ingrid ?
— Elle va bien. Un peu fatiguée, je crois, mais elle ne l’avouera jamais. Inquiète pour toi aussi, bien sûr.
— Je ne cours guère de danger. Dès que je fais un tour en première ligne, mes officiers gueulent comme des veaux !
— C’est dur, les combats ?
— Très dur. Dépêche-toi pour les lance-flammes.
— OK. Au revoir. Ah, j’oubliais. Anaena a été blessée dans un combat de surface. Trois éclats dans la jambe droite. Ce n’est pas grave.
— Les pertes ?
— Lourdes, hélas. Mais moins que celles des noirs. D’après les rapports au Conseil, 321 kryoxi depuis le début. Environ 950 crabes. Sans compter ceux que le Wells a détruits. Le vieux H.G. n’avait pas prévu cette guerre des mondes. Et chez toi ?
— 265 tués, à peu près autant de blessés graves, le double de blessés légers.
— Chiffres officiels ?
— Oui. Tu peux les transmettre au conseil. N’oublie pas les lance-flammes.