La discussion fut animée, mais finalement le conseil permit à cinq martiens d’accompagner les terrestres. Ils devaient être revenue dans un délai de un an martien, soit à peu près deux ans terrestres. Le conseil choisit Loi, Kni, Anaena, Afri, un jeune physicien et astronome, et sur la demande de Bernard, Mauno. Il tint à le lui annoncer lui-même. Elle le regarda, incrédule.
— Ils ont permis ?
— Oui, tu viens avec quatre autres, dont Anaena et son frère. Tu pourras étudier la métallurgie terrestre… et te baigner dans un océan, acheva-t-il en souriant.
Un soir vint, qui allait être leur dernier soit sur Mars. Dans la journée, sur le Wells, ils avaient survolé les lieux où étaient morts Arthur, Hélène et Louis. Sans rien dire à personne, Ingrid et Bernard étaient allé se promener dans les vergers. Ils étaient tous réunis dans la salle commune de leur appartement d’Anak, avec les martiens qui devaient les accompagner, Tser l’historien et sa petite fille Ania, qui aurait bien voulu être du voyage. Sauf Mauno, qui rayonnait de joie, ils étaient tous mélancoliques. Les jaunes parce qu’ils allaient quitter leur planète natale, les terrestres pensant à leurs compagnons disparus, qui ne retourneraient jamais sur Terre.
Le grand conseil leur avait fait une réception d’adieu inoubliable.
— Grâce à vous, avait dit le vieux physicien Aner, nous pouvons vivre aujourd’hui sans penser que nous sommes une race irrémédiablement isolée. Vous avez combattu à nos côtés, vous nous avez apporté plus que la victoire, l’espérance. Vous êtes des nôtres. Puissent vos voyages être toujours heureux.
Puis le conseil leur avait fait cadeau d’une splendide collection de diamants et de gemmes destinée à financer leurs recherches futures. Tser rêvait tout haut :
— J’ai vécu assez vieux pour voir se réaliser l’union de deux planètes, et pouvoir espérer que notre race, désormais à l’abri des noirs, pourra repartir vers un avenir plus riant. Nous vous devons de vivre à nouveau au lieu de végéter. Et vous repartez, et c’est presque un adieu.
Bernard protesta qu’ils reviendraient.
— Je sais. Vous nous ramènerez les nôtres, mais combien de temps resterez-vous ici ? Tant de planètes vous attendant. Vénus, et Mercure brûlant, et Neptune glacé !
— Nous pourrons faire des expéditions mixtes, dit Paul.
— J’en suis, clamèrent à la fois Anaena et Mauno.
— Évidemment…
Paul préparait son réveil légendaire.
— As-tu peur de ne pas te réveiller ? Plaisanta Bernard. J’en connais une – il désignait Mauno – qui de toute façon se réveillera à l’heure.
— Superstition si tu veux. Mais j’aime mieux que ce soit lui qui nous réveille. Tu te souviens comme Louis se moquait de lui ?
— Oui. Pauvre cher Louis.
La conversation tomba. Tous ressassaient leurs pensées. Pour les martiens, c’était la curiosité d’un monde nouveau. Bernard, Paul et Sig songeaient aux communications qu’ils feraient aux académies. Ray supputait les tirages fantastiques qu’atteindraient les journaux auxquels il donnerait ses articles. Tser et Ania ressentaient la mélancolie de ceux qui restent. Ingrid pensait à la belle vie de conquérants du ciel qui les attendaient, Bernard, elle et leurs futurs enfants.
— Somme toute, dit Sig, nous avons vécu la plus belle aventure qu’un homme puisse vivre. Nous avons perdu des compagnons chers, sans doute mais cela a toujours été le sort des grandes entreprises humaines. Nous avons franchi les bornes que la nature semblait avoir imposées aux hommes, et nous avons été les premiers à voir se lever le soleil sur un autre monde. Et ce n’est qu’un début. D’autres nous suivront, qui iront plus loin, que nous. Nous-mêmes…
— Oui, répliqua Bernard. Mais sommes-nous moins mortels ?
Ania chantait à mi-voix un chant d’adieu d’avant le désastre planétaire, un air très doux, triste et las, et qui semblait usé par les millénaires…