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— Zina ! Zina ! Où es-tu ? J’ai des nouvelles de Nicolas !

— Ne lui réponds pas, maman, dit Tania. Reste encore un peu avec moi. Reste jusqu’à ce qu’il fasse tout à fait sombre, jusqu’à ce que je ne voie plus ton visage…

CHAPITRE III

Volodia tournait dans la chambre à grands pas furieux. Michel, assis devant la table, le menton sur les poings et les sourcils noués, suivait du regard la démarche de son camarade. Il se retenait de parler pour ne pas l’indisposer davantage. Enfin, il murmura :

— Ton histoire me dépasse. Refuser de t’épouser, toi ? Cette fille est folle au sens médical du mot. Et puis, elle t’aime, c’est indéniable ! Non, je renonce à comprendre !

Volodia eut un rire mauvais qui lui retroussa les coins de la bouche :

— Il n’y a rien à comprendre, mon cher ! La petite idiote cherche à se rendre intéressante. Elle veut jouer les grandes indécises. Elle oublie qu’elle n’en a pas les moyens. La fille d’un médicaillon de province devrait pourtant savoir ce que c’est que la modestie. Non. Elle est bête, mal élevée et hystérique par-dessus le marché. Je suis heureux de son refus.

Il se tut et commença de bourrer sa pipe. Michel était surpris par cette riposte outrancière. Au lieu de la colère noble qu’il attendait, il découvrait chez Volodia une méchanceté mesquine, une hargne de provincial fortuné. C’était dommage.

— Le père est un fêtard sans envergure, reprit Volodia. La mère est une douce imbécile. Le fils aîné est un nihiliste. La fille aînée est une putain. Et Tania est un gibier de clinique ! Charmante famille !

Ces attaques étaient dépourvues d’élégance et de précision. Pour Michel, si l’on était offensé, il ne fallait pas salir l’adversaire en paroles, mais se venger ouvertement, à la circassienne. Une vieille règle tcherkess interdisait de tirer son poignard pour une simple menace. « Un poignard tiré de son fourreau ne doit y rentrer que trempé de sang. » Volodia tirait son poignard du fourreau avec une ostentation comique et redoutait de s’en servir. Toute sa rancœur se traduisait en éclats de voix. « Comme il est différent de moi ! Il a de l’amour-propre et manque totalement de dignité. »

— Quand je pense, hurlait Volodia, à toutes les mômeries de cette péronnelle ! « Mon petit Volodia, par-ci ! Mon petit Volodia, par-là ! » Et « Quand revenez-vous ? » Et « Je m’ennuie tant sans vous ! » Ah ! Vipère.

— Calme-toi, Volodia.

— Facile à dire. Si tu étais à ma place…

Michel tenta d’imaginer les réactions qu’il aurait eues s’il s’était trouvé dans la situation de Volodia. Sans doute aurait-il exigé une réparation par les armes. Le père ou le frère de Tania auraient répondu devant lui de l’offense faite en son nom à toute la tribu des Danoff. Un champ clos. Deux silhouettes noires. Le coup de feu. Michel secoua la tête. Cette conclusion portait le signe des âges héroïques. Elle était enfantine et parfaitement démodée. « C’est Volodia qui a raison, comme toujours. Et moi, je suis en retard sur mon siècle. »

— Volodia, il faut une solution, dit-il.

— Et pourquoi ? s’écria Volodia. Elle a refusé. Tant pis pour elle, tant mieux pour moi.

— Mais l’offense ? L’offense rejaillit sur ton nom, sur ta famille…

— Eh bien, qu’elle rejaillisse, dit Volodia. Je ne vais tout de même pas assassiner Tania au coin d’un bois parce qu’elle a refusé d’être ma femme. Mais elle regrettera sa décision, et avant peu, je te l’affirme !

— Que vas-tu faire ?

— Personnellement, rien. Mais j’ai parlé de mon projet à droite, à gauche. Quand mes amis sauront le sort que cette gamine a réservé à ma demande, ils prendront fait et cause pour moi…

— Et alors ?

Volodia se frotta les mains :

— Tous ces gens sont des obligés de ma mère… Ils tiendront à manifester leur gratitude par mille moyens… Ils empoisonneront l’existence de cette petite tourte au point qu’elle en pleurera des larmes de sang…

— Mais comment ?

— Tu es bien naïf, mon cher. La médisance provinciale est terrible. Il y a des lettres anonymes, la mise en quarantaine de la famille, les invitations décommandées, les ragots, les menaces, les inscriptions sur les murs, que sais-je ?

— Ce n’est pas très joli, soupira Michel.

— Et ce qu’elle m’a fait, c’est joli peut-être ? dit Volodia.

Michel considérait Volodia avec tristesse. Comme la haine défigurait ce beau visage !

— Tu n’es pas fait pour les coups durs, Volodia.

— Qu’est-ce qu’il te faut !

— Lorsque tu perds une partie, tu trépignes de rage.

— Et toi ?

— Je considère l’offense qu’on t’a faite comme une offense personnelle. Je serais capable de tuer quelqu’un pour te venger, mais je répugne à la calomnie.

— Le chevalier Michel ! ricana Volodia. Tu m’amuses, mon pauvre ami. On te croirait sorti d’une chanson de geste. Calme tes ardeurs guerrières et tâche de m’écouter plutôt. J’ai besoin de toi.

— Je crains bien que non.

— Si, si. Après ce qui s’est passé, je veux retrouver les lettres que j’ai sottement adressées à cette pécore. Je te charge donc de lui fixer un rendez-vous et de me rapporter ma précieuse correspondance en échange des poulets aimables que voici.

Il prit sur la table une liasse de lettres nouées d’une faveur bleue et la fit sauter dans ses mains.

— Je veux bien, dit Michel. Mais…

— Écris-lui un mot « Volodia, tenant essentiellement à rentrer en possession des billets qu’il a eu l’imprudence de vous envoyer, je vous prie de vouloir bien venir tel jour, à telle heure, au parc municipal d’Ekaterinodar où je vous attendrai, pour un échange de vos lettres contre les siennes. Signé : Michel Danoff. » Elle viendra.

Michel se grattait la nuque du bout des doigts :

— Je n’aime pas beaucoup ce genre de mission, Volodia. Je ne suis pas un diplomate.

— Il n’y a pas à être diplomate. Donnant, donnant, c’est simple. En cinq minutes, le tour est joué. Et je n’aurai plus à craindre quelque manœuvre de chantage…

— Du chantage ? Tu l’en crois donc capable ?

— Je la crois capable de tout, à présent. Un dernier détail. Compte bien les lettres. Il doit y en avoir soixante-sept.

— D’où le sais-tu ?

— J’ai gardé les brouillons, dit Volodia avec mauvaise humeur.

La nouvelle de l’affront infligé à la famille Bourine se répandit rapidement dans les salons d’Ekaterinodar. Olga Lvovna, qui s’était opposée au mariage de son fils, considérait le refus de Tania comme une victoire personnelle :

— Je t’avais toujours dit que cette fille sans dot n’était pas une femme pour toi. Un homme n’est heureux qu’avec une épouse de son milieu. Or, Tania n’est pas de ton milieu. Elle n’est d’aucun milieu ! Elle est sans dot et sans milieu !

Bien qu’elle éprouvât une secrète gratitude envers cette Tania dont la décision insensée lui rendait son « chenapan de fils », Olga Lvovna mesurait l’offense que venait d’essuyer Volodia et affectait d’en être révoltée. Devant les vieilles dames en deuil qu’elle recevait tous les dimanches matin après la messe, devant ses débiteurs obséquieux, devant ses proches, qui estimaient qu’une visite à la « mère Bourine » était un placement d’avenir, Olga Lvovna reprenait sans se lasser la comédie de la stupeur et de l’indignation « Lorsqu’il me l’a dit, je n’ai pas voulu le croire ! Mais pour qui se prend-elle donc, cette petite oie ? Son père doit être joliment furieux !… »