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Les deux jeunes Cosaques se firent promptement aimer de leurs camarades. Souvent, avec d'autres membre du même kourèn, ou avec le kourèn tout entier, ou même avec les kouréni voisins, ils s'en allaient dans la steppe à la chasse des innombrables oiseaux sauvages, des cerfs, des chevreuils; ou bien ils se rendaient sur les bords des lacs et des cours d'eau attribués par le sort à leur kourèn, pour jeter leurs filets et ramasser de nombreuses provisions. Quoique ce ne fût pas précisément la vraie science du Cosaque, ils se distinguaient parmi les autres par leur courage et leur adresse. Ils tiraient bien au blanc, ils traversaient le Dniepr à la nage, exploit pour lequel un jeune apprenti était solennellement reçu dans le cercle des Cosaques. Mais le vieux Tarass leur préparait une autre sphère d'activité. Une vie si oisive ne lui plaisait pas; il voulait arriver à la véritable affaire. Il ne cessait de réfléchir sur la manière dont on pourrait décider la setch à quelque hardie entreprise, où un chevalier pût se montrer ce qu'il est. Un jour, enfin, il alla trouver le kochévoï, et lui dit sans préambule:

– Eh bien, kochévoï, il serait temps que les Zaporogues allassent un peu se promener.

– Il n'y a pas où se promener, répondit le kochévoï en ôtant de sa bouche une petite pipe, et en crachant de côté.

– Comment, il n'y a pas où? On peut aller du côté des Turcs, ou du côté des Tatars.

– On ne peut ni du côté des Turcs, ni du côté des Tatars, répondit le kochévoï en remettant, d'un grand sang-froid, sa pipe entre ses dents.

– Mais pourquoi ne peut-on pas?

– Parce que… nous avons promis la paix au sultan.

– Mais c'est un païen, dit Boulba; Dieu et la sainte Écriture ordonnent de battre les païens.

– Nous n'en avons pas le droit. Si nous n'avions pas juré sur notre religion, peut-être serait-ce possible. Mais maintenant, non, c'est impossible.

– Comment, impossible! Voilà que tu dis que nous n'avons pas le droit; et moi j'ai deux fils, jeunes tous les deux, qui n'ont encore été ni l'un ni l'autre à la guerre. Et voilà que tu dis que nous n'avons pas le droit, et voilà que tu dis qu'il ne faut pas que les Zaporogues aillent à la guerre!

– Non, ça ne convient pas.

– Il faut donc que la force cosaque se perde inutilement; il faut donc qu'un homme périsse comme un chien sans avoir fait une bonne œuvre, sans s'être rendu utile à son pays et à la chrétienté? Pourquoi donc vivons-nous? Pourquoi diable vivons-nous? Voyons, explique-moi cela. Tu es un homme sensé, ce n’est pas pour rien qu'on t'a fait kochévoï. Dis-moi, pourquoi, pourquoi vivons-nous?

Le kochévoï fit attendre sa réponse. C'était un Cosaque obstiné. Après s'être tu longtemps, il finit par dire:

– Et cependant, il n'y aura pas de guerre.

– Il n'y aura pas de guerre? demanda de nouveau Tarass.

– Non.

– Il ne faut plus y penser?

– Il ne faut plus y penser.

– Attends, se dit Boulba, attends, tête du diable, tu auras de mes nouvelles.

Et il le quitta, bien décidé à se venger.

Après s'être concerté avec quelques-uns de ses amis, il invita tout le monde à boire. Les Cosaques, un peu ivres, s'en allèrent tous sur la place, où se trouvaient, attachées à des poteaux, les timbales qu'on frappait pour réunir le conseil. N'ayant pas trouvé les baguettes que gardait chez lui le timbalier, ils saisirent chacun un bâton, et se mirent à frapper sur les timbales. L'homme aux baguettes arriva le premier; c'était un gaillard de haute taille, qui n'avait plus qu'un œil, et non fort éveillé.

– Qui ose battre l'appel? décria-t-il.

– Tais-toi, prends tes baguettes, et frappe quand on te l'ordonne, répondirent les Cosaques avinés.

Le timbalier tira de sa poche ses baguettes qu'il avait prises avec lui, sachant bien comment finissaient d'habitude de pareilles aventures. Les timbales résonnèrent, et bientôt des masses noires de Cosaques se précipitèrent sur la place, pressés comme des frelons dans une ruche. Tous se mirent en rond, et après le troisième roulement des timbales, se montrèrent enfin les chefs, à savoir le kochévoï avec la massue, signe de sa dignité, le juge avec le sceau de l'armée, le greffier avec son écritoire et l'ïésaoul avec son long bâton. Le kockévoï et les autres chefs ôtèrent leurs bonnets pour saluer humblement les Cosaques qui se tenaient fièrement les mains sur les hanches.

– Que signifie cette réunion, et que désirez-vous, seigneurs? demanda le kochévoï.

Les cris et les imprécations l'empêchèrent de continuer.