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Elle a failli me faire chialer ! Devant cet enfoiré de Montfourby, ça allait payer ! J’ai soupiré, comme n’importe qui :

— La vie est conne !

Parce qu’il faut que je te fasse une confidence, après on n’en reparlera jamais plus : la vie est très très conne !

2

Moi, les préoccupations fraternelles du bouffeur de chattes, très franchement j’en avais rien à secouer, et il est probable que ma déception sentimentale me les aurait fait remiser dans les limbes de mon esprit si, justement, Marie-Marie ne m’avait pas fait cette réflexion sarcastique « Et dire que tu vas probablement t’occuper de cette affaire ! ». Ça m’a stimulé, comprends-tu ? Fouetté la vanité. Et la vanité, souvent, est une source d’énergie.

Sur le brin de curriculum vitré (comme dit Béru) que m’avait griffonné Manolo, se trouvait mentionnée l’année de l’arrestation du frelot. Je me suis donc rendu aux sommiers pour prendre connaissance de l’affaire. Elle était simplette. Trois guignolos, dont Miguel de La Roca, avaient braqué une banque du seizième au moment où l’on s’apprêtait à charger les fonds dans un fourgon. Opération excellemment préparée grâce à la complicité d’un des employés de l’établissement. Malheureusement, le trio de malandrins était tombé sur un héros en la personne d’un des convoyeurs. Le gus, qui avait été mercenaire dans un Etat africain, connaissait tout de la guérilla. Il avait doucement levé les bras, comme ses potes, mais, brusquement, s’était jeté à terre et avait dégainé pour allumer les malfrats. L’un d’eux s’était dégusté une bastos dans la cuisse. Celui qui intimidait les populations avec sa mitraillette avait eu la main droite déchiquetée par une balle de 9 mm, quant au señor Miguel, sentant que le coup tournait au lait caillé, il s’était emmené promener, coudes au corps. Mais comme c’était la journée du courage, dans le seizième : un tomobiliste l’avait coincé avec sa tire contre un camion de déménagement à l’arrêt, lui défonçant trois côtes premières. La vraie scoumoune ! Une béchamel de cette ampleur, t’en rencontres pas deux dans la carrière d’un truand ! C’était la grande kermesse aux honnêtes gens !

Moi, routine routine, je prends note des identités des deux autres potes du commando.

L’inspecteur Larichesse, qui sait manipuler nos nouveaux ordinateurs, se met au charbon et, une demi-heure plus tard, m’apporte les résultats de ses recherches. Ainsi, apprends-je que Célestin Meunier, le zigus à la main nazée par le convoyeur, est mort pendant qu’il purgeait sa peine, non des suites de sa blessure, mais d’un cancer du poumon déjà bien avancé au moment des faits. Quant à Sauveur Kajapoul, le troisième larron, une fois libéré, il est retombé pour une histoire de trafic de bagnoles volées et s’est refait trois années de tirelire. Il se serait acheté une conduite en même temps qu’un bistrot dans le quartier Saint-Denis, l’âge, ses détentions répétées et ses tribulations marloupines l’ayant calmé.

Ce qu’il y a de mystérieux et de presque ineffable entre un bandit et un poulet, c’est la manière instantanée dont ils se « situent » au premier regard.

Quand je passe la lourde du Carré d’As, un troquet en longueur de la rue Couchetar, mon regard croise celui de Sauveur Kajapoul (d’origine turque) accoudé à son rade sur Paris-Turf largement déployé.

Ses yeux, pareils à deux trous de serrure dans la porte d’une cave, surmontés de sourcils d’astrakan, me fichent à la seconde. Il sait que ce nouvel arrivant dans son rade est signé « poultok », qu’il a une brème frappée de tricolore dans sa poche intérieure droite et un calibre de premier communiant sous son aisselle gauche. Sauveur, il a du carat, pas loin de la soixantaine. Du burlingue, des bajoues en peau grise hérissée de vilains poils anarchiques, un gros pif dégueulasse plein de trous et de verrues, les portugaises en chou-fleur et une profonde cicatrice à la pommette ; mais c’est pas pour autant qu’il ressemble à Robert Hossein dans « Angélique et sa ménopause ». Ses cheveux presque blancs sont coupés très court, ce qui accentue sa frite de vieux chourineur enlisé dans la vie peinarde.

A cette heure creuse, son rade est presque désert. T’as simplement trois mecs baptisés au sécateur dans le fond, qui jouent à je ne sais quoi, mais je m’en fous trop pour aller leur demander.

Je me place au comptoir, en face de Sauveur. Il s’efforce d’achever un entrefilet sur « Belle en Cuisse », une pouliche « à suivre » capable de créer la surprise dimanche à Longchamp. Sans lever son tubercule à cratères de l’imprimé, il grogne :

— Ça sera ?

Au Carré d’As, c’est pas le style Pimm’s ou Bloody Mary.

— Une mominette ! dis-je sobrement.

Le taulier s’arrache à Paris-Turf pour s’emparer d’une bouteille de Ricard munie d’un appareil doseur.

— Tu en prends une aussi ? je demande.

Il grommelle, sans me défrimer :

— On se connaît ?

— C’est imminent, Sauveur. Dans vingt minutes nous serons devenus des amis d’enfance.

Avec flegme, il verse une seconde giclée de Ricard dans un autre verre minuscule, prend un pichet d’eau glacée dans le réfrigérateur et le place devant moi, l’anse obligeamment tournée de mon côté. Ensuite il attend.

J’empare le pot de grès (ou de force).

— Tu le noies pas, je suppose ? fais-je en l’approchant de son pastaga.

— Je le bois sec, assure-t-il.

— T’as sûrement raison, c’est plus fruité.

Je « mouille » ma mominette.

— Mais j’aurais peur que ça me foute la brûle.

— On ne s’est jamais vus ? articule le taulier, soucieux de mon débarquement dans son rade.

— Non : t’étais probablement au trou quand j’étais au moulin !

Il attend. Je bois. Je suis pas fana de l’anis. Papa, lui, adorait. Il se cognait des vraies purées avant le repas du soir. Et il racontait son propre dabe qui éclusait de l’absinthe en faisant fondre un sucre sur une cuiller percée. On avait encore la cuiller en question dans un tiroir de la desserte. Les trous composaient des motifs. On « ouvrageait » tous les ustensiles, jadis, pour rendre l’existence harmonieuse.

— Tu as deviné que je ne suis pas dans les assurances, enchaîné-je.

Il bat de ses longs cils charbonneux.

— Rassure-toi, je travaille pour la recherche dans l’intérêt des familles. Un de mes amis qui a des craintes pour son frangin, lequel est un pote à toi. Ce qui fait qu’on devrait pouvoir s’arranger.

Il vide sa mominette cul sec.

— Il s’appelle comment, ce dénominateur commun ?

Je le complimente d’un hochement de tête.

— T’as de la culture, Sauveur, t’aurais pas passé ton bac en taule, des fois ?

— Non, mais j’y ai rempaillé des chaises, c’est passionnant.

— Le frère de mon aminche se nomme Miguel de La Roca ; je suppose qu’il devait avoir un surblase dans le mitan ?

— Le Gitano, fait Kajapoul.

— Eh bien, figure-toi que ton Gitano est parti pour les Amériques. A Pâques, il a arrêté une date, depuis là-bas, avec son frelot pour le faire venir en vacances.

— Manolo ?