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Son sourire, son regard comme deux coups de dague !

— Pardonnez-moi, fais-je, j’ai oublié quelque chose.

Je drope jusqu’à sa carrée. Elle me suit, curieuse. Quand elle a franchi le seuil et qu’elle m’avise, pique-plante au milieu de la chambre, elle murmure :

— Qu’avez-vous oublié ?

Alors je la chope à pleins bras, la presse éperdument contre moi et lui bouffe si fort la gueule que nos chailles crissent comme les roues d’un tramway dans un virage.

Comment qu’elle participe, la môme ! Oh ! cette étreinte farouche, passe-moi du peu et excuse le pompiérisme du style. On en a les lèvres qui saignent. Elle enroule sa langue autour de la mienne, ses jambes autour des miennes, ses bras autour de ma taille. C’est étincelant comme tu peux pas envisager. D’une intensité terrible. On se veut et on se prend à bloc, à fond, à mort.

Elle porte bel et bien une culotte, mais qui m’obéit au doigt et à l’œil, si bien que je la calce sur son beau canapé blanc sans avoir pris le temps de dépantalonner. J’espère qu’il y a du K2 R dans la maison, pour conjurer les taches.

LE BAIN DE SOLEIL

Il repéra un endroit, en bordure de la côte où le fond de la mer était très clair car il détestait se baigner parmi des algues dont le contact visqueux et moelleux le faisait chaque fois frémir. Il débraya le moteur et s’avança vers la proue pour mouiller l’ancre. L’ennui, dans ces parties claires, c’est que celle-ci chassait sur le sable. Il cria à sa compagne d’enclencher la marche arrière sans toucher aux vitesses. L’embarcation se mit néanmoins à reculer. Lorsque la corde de l’ancre fut tendue, il fit signe à Dora de couper le moteur. Un silence enveloppé d’une fumée huileuse s’abattit sur eux, et la chaleur, jusque-là conjurée par le déplacement du bateau, devint une sorte de souffle embrasé.

Dora ôta son soutien-gorge et s’allongea sur le bain de soleil, à plat ventre.

— Tu ne te baignes pas ? questionna Quentin.

— Je sors de chez le coiffeur.

Ils avaient une party, le même soir, chez un gros « client » de Quentin. L’homme sourit. Ces pauvres bonnes femmes sacrifiaient les joies les plus élémentaires à leurs cheveux. Il ôta son short blanc. Dessous, il portait un slip de bain jaune qui s’harmonisait avec son corps couleur pain brûlé. Quentin restait bronzé toute l’année, grâce au soleil ou à la lampe de sa salle de culture physique.

Il gagna la plage arrière pour un de ces plongeons spectaculaires qu’il se plaisait à exécuter.

Un brin macho, il jeta un regard circulaire pour évaluer le public féminin susceptible de s’intéresser à ses exploits. Un grand nombre d’embarcations se laissaient bercer alentour dans un clapotis monotone. Accablés par la chaleur, leurs passagers gisaient sur des bains de soleil. Des gamins braillards se baignaient ou se poursuivaient le long de bastingages exigus. La température semblait ne rien ôter à leur vitalité.

— Essaie de ne pas trop m’éclabousser ! implora Dora.

Il avait déjà pris son élan et décrivait un arc de cercle somptueux. Il pénétra dans l’onde bleue avec la grâce d’un squale, s’enfonçant dans les profondeurs pour remonter aussitôt avec la même souplesse. Il jaillit de l’onde, ses cheveux bruns plaqués sur sa tête l’emboîtant tel un casque luisant. Alors il se mit à nager le crawl en direction de la rive aux rochers rouges, où des amoureux cherchaient quelque infractuosité pour abriter leurs étreintes.

Dora somnolait dans cette torpeur brûlante de l’après-midi, ne s’interrompant que pour s’oindre le corps d’ambre solaire. Chaque fois qu’elle s’abandonnait ainsi sur le vaste coussin de skaï blanc, une langueur sensuelle venait la tourmenter. Lorsque Quentin remonterait, après le bain, ruisselant et superbe, il s’agenouillerait à son côté, promènerait sa main mouillée sur les cuisses fermes de son amie, les parcourant lentement jusqu’à son sexe. Au bout d’un moment de ce manège, elle se mettrait à ronronner de plaisir, alors ils ramperaient jusqu’à l’espèce de roof où étaient installés une large couchette basse et un réfrigérateur. Là, il lui ferait l’amour et ce serait infiniment voluptueux, ce corps humide de l’un sur le corps huileux de l’autre. Leurs baisers indiscrets auraient un goût de sel pour elle et d’amande amère pour lui. Depuis les autres bateaux, s’apercevrait-on que le leur semblait être bercé par une forte houle qui épargnait les embarcations voisines ?

Dora attendit. Quelque part, un électrophone portable agressait les tympans en lâchant sur la félicité ambiante les accents sauvages d’un groupe rock à la mode. Elle s’énervait. L’impatience la gagnait. Elle sentait ses seins s’affermir sur la surface lisse du matelas. La musique, répercutée par l’eau, devenait insoutenable. Certaines personnes sont des monstres d’égoïsme ; il était inqualifiable d’infliger à toute une communauté plaisancière ses goûts musicaux. Dora se mit sur un coude pour chercher Quentin du regard et l’appeler. Il était temps qu’il vienne la rejoindre. Mais elle ne l’aperçut pas. Elle abandonna le côté rive pour regarder en direction du large. Son amant ne s’y trouvait pas davantage. Troublée, la jeune femme s’agenouilla afin de se pencher sur le flanc blanc du bateau. Elle eut un haut-le-corps en découvrant une sorte de nuage rouge et filandreux à la surface de l’eau.

— Quentin ! appela-t-elle.

La pensée qu’un requin avait pu se risquer jusqu’à eux l’effleura, mais elle la repoussa. Impensable ! D’ailleurs, ce nuage pourpre ne pouvait être du sang. Aucun bateau ne s’était approché du leur, par conséquent Quentin n’avait pu être blessé par une hélice. Pourquoi associait-elle son amant à « la chose » rouge qui ressemblait à une fumée matérialisée ?

— Quentin ! Où es-tu ?

Le groupe rock se déchaînait. Les gosses hurlaient de rire. Des oiseaux de mer passaient d’un vol pénible, comme s’ils venaient de traverser l’océan.

Dora se dressa et se rendit sur tribord pour voir si le même nuage s’y trouvait. Il était beaucoup plus dense de ce côté-là, plus large aussi. La jeune femme se pencha davantage et elle aperçut le corps sombre de Quentin, flottant sur le dos entre deux eaux. Sa tête sectionnée avait disparu.

Alors elle se mit à hurler.

CE FUT LE PREMIER MEURTRE

3

Le plus chiatique, quand tu repeins un portail de fer, c’est pas de le recouvrir de nouvelle couleur, c’est le débarrasser de l’ancienne.

Je suis là, à m’escrimer avec de la toile émeri sur les barreaux rouillés, pestant contre cet élan qui m’a poussé à dire à Félicie, ce matin, en prenant le caoua :

« — Tiens, aujourd’hui, puisque je fais relâche, je vais repeindre le portail ! »

Tu l’aurais vu illuminer des lampions, ma mother ! C’est pas que le portail soit repeint qui la rend joyce, c’est qu’il le soit par moi, tu écoutes la différence ? J’aurais douillé une entreprise pour fignoler la chose, ça lui aurait fait à peine plaisir, ma Féloche. Mais que je mette la main à la pâte lui donnait un rare bonheur. Elle allait toucher le plus bioutifoul portail de Saint-Cloud, voire de tout le département des Hauts-de-Seine !

J’ai passé des fringues cradoches, de celles qu’on refile au Secours national quand il organise un ramassage : vieux futal de velours râpé, limouille craquée sous les manches, au col et poignets élimés, mocassins de cuir aux semelles bâillantes, tu vois la silhouette du julot ? C’est pas dans Adam que tu risques de la retapisser.

Et j’ai requis l’assistance de Maria, notre ancillaire espagote, Miss Poilauxpattes. Un temps que je l’ai pas tirée, la môme ! C’est triste à dire, mais elle me joue les bouche-trous, si tu veux bien me passer l’expression.