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— Je lui donne de l'eau ? demanda Victor.

— Tu ne la bouges pas. Parle-lui, garde-la éveillée. Passe-moi ta chemise.

Adamsberg enroula le tissu autour de la blessure et serra à fond. Puis il ôta son tee-shirt et le tendit à Victor.

— Plaque ça contre le ventre de Marc. Il perd trop de sang.

Torse nu sous sa veste, Adamsberg repartit en courant pour diriger l'équipe de secours dont il entendait la sirène au loin. Il leur fit avancer la camionnette jusqu'à l'orée du bois, puis deux hommes et deux femmes le suivirent avec le matériel au long du sentier. Céleste fut chargée sur le premier brancard et aussitôt emmenée.

— Où est la seconde victime ? demanda la femme restée sur place.

— Là, dit Adamsberg en désignant le sanglier.

— Vous vous foutez de moi ?

— Le deuxième brancard ! cria Adamsberg.

— Calmez-vous, monsieur, je vous en prie.

— Commissaire. Commissaire Adamsberg. Le deuxième brancard, s'il vous plaît, sauvez-le nom de Dieu !

La femme leva une main apaisante, hocha la tête et appela les urgences vétérinaires. Dix minutes plus tard, Marc était transporté à son tour. Adamsberg s'agenouilla, ramassa la pipe de Céleste, puis se releva en regardant Victor. Pas de commentaire, les deux hommes étaient en sueur et leurs traits bouleversés.

Dans le pavillon, un médecin s'affairait sur les blessures du tueur — bras, genou, mollets — qui mugissait au sol.

— Votre nom, brigadier ? demanda Adamsberg.

— Drillot. A priori, en découvrant la scène, on a estimé qu'il fallait mettre l'individu au sol. Vous êtes commissaire et il détenait une mitraillette. C'était ça, l'analyse. Mais je dis : a priori. Ne dites pas qu'on a tiré sans sommation, on n'avait pas le temps.

— J'affirmerai que vous avez fait sommation avant de briser la fenêtre.

— Merci. Mais on ne peut pas l'embarquer sans savoir.

Adamsberg se laissa tomber sur le fauteuil, qui avait on ne sait comment échappé aux tirs. Un peu comme la bouteille de vin lors de la mort d'Angelino Gonzalez.

— Il a tué six personnes, dit-il d'une voix atone, en allumant une cigarette. Deux il y a dix ans, en Islande, quatre au cours de ce mois. Une tentative de meurtre hier soir. Ce soir, coups et blessures sur une femme et son compagnon, et tentative de meurtre sur nous trois.

— Son nom ? demanda le gendarme aux jambes torses. Brigadier Verrin, se présenta-t-il.

— Aucune idée. Vous avez reçu, comme tous vos collègues, notre alerte sur le tueur au signe ? Ce signe-là, dit-il en le dessinant sur un des portraits tombés au sol.

Verrin hocha la tête.

— Parfaitement commissaire.

— Eh bien, c'est cet homme.

Verrin sortit en se pressant sur ses jambes courbes. Victor traversait la pièce emplie de gravats, tombés des murs et du plafond. Il tendit une chemise propre au commissaire.

— Je lui ai donné un somnifère, dit-il. Il dort.

— Qui ? demanda le brigadier Drillot, carnet en main.

— Amédée Masfauré. Le fils d'une des victimes.

— Va falloir me décliner vos identités, tous autant que vous êtes, dit sèchement Drillot.

Les secouristes emmenaient à présent le blessé. Le brigadier Verrin revenait vers eux, très essoufflé.

— Trouvé ses papiers dans sa voiture, dit-il. S'appelle Charles Rolben. Téléphoné à la gendarmerie de Rambouillet. Vous savez qui c'est, Charles Rolben ?

— Non, dit Adamsberg.

— Un haut magistrat. Très haut. C'est ce qu'on vient de me dire. Et « pas de vagues, pas de vagues, assurez votre coup ». Faudra des preuves, commissaire, et de sacrées preuves. Parce qu'avec un gars de ce calibre, on avance sur la pointe des pieds. Le commandant est très alarmé.

— Vous avez bien vu ce « très haut magistrat » avec un MP5 à la main, brigadier ? dit Adamsberg.

— Oui.

— Vous retrouverez ses balles dans le corps de Céleste Grignon, fauchée dans les bois avec son compagnon. Et dans les murs de cette pièce. Et dans le cuir, le bois et les ressorts de ce vieux canapé. Oui, brigadier, c'est un tueur féroce. Je peux même vous dire qu'il aime cela. Oui, il a tué, et sans état d'âme. À commencer par ces deux membres d'un groupe de voyageurs en perdition sur une île islandaise. Vous vous rappelez cette histoire ?

— Vaguement. Mais il avait peut-être un sérieux mobile, commissaire ?

Victor jeta un regard de supplique à Adamsberg.

— Même pas de mobile, mentit Adamsberg. C'est un fou. Il a poignardé un gars. Il a voulu violer une femme, et il l'a tuée à la suite. Séparons-nous, brigadier, vous savez où me trouver. Vous aurez un premier rapport lundi. Ou plutôt lundi soir. C'est long, c'est très long.

— Peut-être, commissaire. Mais nous, on n'en a pas fini avec vous.

— C'est-à-dire ?

— Excès de vitesse, conduite en état d'ivresse, refus d'obtempérer, et fuite.

— Ah, ça. Vous m'avez suivi, c'est cela ?

— On vous a perdu. Mais on vous a localisé avec votre portable.

— Vous comprenez bien, dit lentement Adamsberg, que votre commandant sera obligé d'en référer : vous avez tiré sur un haut magistrat, dans le dos et sans sommation.

— Merde, gueula Drillot. Vous avez dit que vous nous couvriez.

— Et je dis, laissez tomber l'état d'ivresse et le délit de fuite. Situation d'urgence, je vous l'ai expliqué dix fois quand vous m'avez bloqué sur la route. Un flic ne peut pas savoir, quand il a bu deux portos avec un ami, ce qui va lui advenir dans l'heure.

— Moi je dirais plutôt trois portos, dit Drillot.

— Deux, brigadier. Je ne pouvais pas être positif.

— Si je vous entends bien, commissaire, dit Drillot en plissant les yeux, vous doutez de notre parole ?

— Vous m'entendez bien.

Verrin fit un signe à son collègue et inclina la tête.

— Et comment on explique qu'on vous a suivi ? demanda-t-il.

— Pour excès de vitesse. Vous ne m'avez jamais arrêté, j'allais trop vite, vous m'avez pris en chasse jusqu'ici.

— Ça se tient.

— Accepté, dit Drillot.

— Où a-t-on emmené Céleste ? La femme qu'il a blessée dans les bois ?

— À l'hôpital de Versailles.

— Et Marc ?

— Quel Marc ?

— Le sanglier.

— Quel sanglier ?

L'équipe technique se déployait à présent dans le pavillon et Adamsberg quitta la place. Victor l'accompagna jusqu'à sa voiture et se pencha à travers la vitre.

— Vous n'avez rien dit, pour ce qui s'est passé sur l'île.

— Non. Tu avais raison d'avoir peur de lui. On se reverra. Avec Amédée.

— Pourquoi ? demanda Victor à nouveau inquiet.

— Pour dîner à l'auberge. Tu commanderas notre menu, on invitera Bourlin.

— Et le gars que j'ai vu à l'auberge ? Le « contrôleur des impôts » ?

— C'était lui. Il m'avait déjà pris en chasse.

— Commissaire ! appela Victor alors que la voiture démarrait.

Adamsberg freina et Victor courut sur quelques mètres pour le rattraper.

— Vous le croyez, que j'ai pas mangé ma mère ?

— J'en suis certain. Celui qui a bouffé les canards pour son frère ne bouffe pas sa mère.

Une fois chez lui, Adamsberg prit le temps de rédiger un très court mail pour Danglard.

Réunion brigade demain 15 heures. Merci de faire l'appel au complet.