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Puis un autre au brigadier Oblat, à Dijon :

Assassin arrêté. Levez la garde sur Vincent Bérieux.

Un dernier aux brigadiers Drillot et Verrin :

Merci.

XLVI

Danglard se gara dans la cour de la brigade, très inquiet. Adamsberg avait envoyé son message à plus de 4 heures du matin. Pour une convocation de la totalité des agents, un dimanche. Il savait qu'Adamsberg avait été voir la cinquième victime à Dijon la veille, et que le témoignage de Vincent Bérieux ne les avait avancés en rien, une fois de plus. Gros homme masqué portant perruque et lunettes.

Danglard envisageait le pire en traversant mollement la cour, et au fond le plus logique. Adamsberg allait répliquer. Irrespect, insubordination, il était en droit de sommer certains d'entre eux de demander leur mutation. Et au premier chef, lui-même. Et Noël, Mordent, et même Voisenet, bien qu'il se soit montré plus modéré. Danglard sentit la vapeur de la culpabilité encombrer son souffle. C'était lui, avec ses sarcasmes et sa désapprobation, qui avait conforté les autres, sauf Noël qui n'avait besoin de personne pour l'encourager dans l'agression. Mais enfin, pensa-t-il en se redressant et poussant la porte du bâtiment, il fallait bien, quand le navire prenait l'eau, que quelqu'un rappelle le capitaine à quelque bon sens et remorque Adamsberg vers des contrées réelles, vers des faits, des logiques, des actions cohérentes. N'était-ce pas symptomatique, et gravement, que le commissaire soit parti contre toute raison à la rencontre des brumes islandaises, qui avaient manqué l'avaler ? N'était-ce pas de sa responsabilité, à lui, Danglard, de maintenir la trajectoire sur un chemin sensé ?

Bien sûr que si. Ragaillardi par l'évidence de son devoir et par l'obligation de s'y plier, si difficile soit sa tâche, le commandant entra d'un pas plus ferme dans la salle du concile. Notant aussitôt sur les visages des mécontents les mêmes signes d'appréhension. Adamsberg, ils le savaient tous, ne recourait que très rarement à l'affrontement. Mais cette fois, ils sentaient tous qu'une ligne rouge avait été passée. Et les réactions du commissaire pouvaient être, exceptionnellement, aussi brèves qu'agressives. Beaucoup se souvenaient du jour où il avait fracassé une bouteille face à ce crétin de brigadier Favre. Dans cette ambiance de crainte, ils cherchaient eux aussi, comme Danglard, des justifications à apporter en réponse à l'attaque du commissaire.

Nulle apparence offensive dans l'allure d'Adamsberg quand il entra de son pas lent dans la grande salle, mais avec lui, cela pouvait ne rien signifier. Chacun, selon le côté de la table où il s'était assis, scrutait avec inquiétude ou plaisir le visage du commissaire. Qui, plus limpide, semblait être épuré de quelque tourment, celui qui avait parfois altéré ses traits et feutré son sourire. Sans savoir qu'il s'agissait de la dissolution de l'infernal entrelacs d'algues.

Adamsberg demeura debout, observa que la nouvelle disposition — les pour, les contre, les modérés, les hésitants — n'avait pas changé depuis la dernière réunion. Pour une fois, Estalère restait figé sur place, et il fallut qu'Adamsberg lui adresse un signe d'encouragement pour qu'il aille préparer les vingt-sept cafés. Le commissaire n'avait pas prévu l'ordonnance de son discours et, comme toujours, les choses viendraient à leur manière.

— L'assassin du cercle Robespierre a été arrêté hier soir, annonça-t-il, bras croisés. Ayant reçu plusieurs balles dans le corps, il est en soins à l'hôpital de Rambouillet, l'arrestation s'étant faite à l'issue d'une fusillade, au Creux.

Sans savoir pourquoi, Adamsberg observa la paume de sa main droite, celle qui avait tiré neuf coups sur un homme. Sur un homme qui avait tué sur l'île, noyé Gauthier, fusillé Masfauré, poignardé Breuguel, renversé Gonzalez, pendu Bérieux, blessé Céleste.

— Ses blessures au bras droit et au genou sont de mon fait, reprit-il. Celles aux mollets du fait des brigadiers de Saint-Aubin, Drillot et Verrin. Je précise que l'homme était armé d'un MP5, avec lequel il nous mitraillait, moi, Victor et Amédée Masfauré. Auparavant, il avait criblé de balles Céleste et son sanglier dans les bois.

— Qu'est-ce qu'il faisait au Creux ? demanda Froissy, dont aucun sentiment de culpabilité n'entravait la parole.

— Il m'avait suivi, très simplement. De même que les deux brigadiers de Saint-Aubin.

— Pourquoi les brigadiers ? demanda Retancourt, elle aussi libre de toute arrière-pensée.

— Excès de vitesse, répondit Adamsberg en souriant, refus d'obtempérer, et fuite.

Mercadet lui jeta un coup d'œil amusé.

— Pourquoi tous ces délits, commissaire ? se risqua à demander Voisenet, sans forcer la voix.

Car enfin, l'arrestation du tueur modifiait toute la donne et un certain profil bas s'imposait. Encore que, à ce qu'il comprenait, cette victoire n'avait été due qu'à un coup du hasard.

— Mais pour qu'ils me suivent, Voisenet.

— Vrai ?

— Faux. Mais leur intervention fut capitale. Face au MP5, je n'avais que mon arme de service, et les deux frères un fusil. Néanmoins le MP5 est lourd et le tueur a dû poursuivre l'assaut de son seul bras gauche sans pouvoir assurer le garde-main. Cela l'a ralenti et rendu imprécis, ce fut notre salut. Sans les flics de Saint-Aubin cependant, je ne crois pas que nous aurions survécu, conclut Adamsberg sans solennité.

Estalère avait servi les cafés, et chacun s'agrippa à cette diversion. Et pour une fois, personne ne fit cesser le bruit parasite des soucoupes et des cuillères, qui dura longtemps.

— Ce n'est qu'un hasard, donc ? osa soudain Noël. La survenue du tueur ?

— Parlez plus fort, Noël, dit Adamsberg en désignant son oreille, je suis encore assourdi par les détonations.

— Hasard, donc ? La survenue du tueur ? répéta Noël en haussant d'un ton.

— Non pas, lieutenant. J'étais parti voir Victor pour lui dessiner le visage du meurtrier. Depuis le temps qu'il macérait dans mes pensées, abrité par ses masques, il n'a daigné apparaître qu'hier soir.

— Vous aviez des éléments ? dit Danglard, qui ne pouvait rester muet après les interventions un rien courageuses de Voisenet et Noël.

— Beaucoup.

— Et vous ne nous en avez pas parlé ?

— Je n'ai fait que cela, commandant. Vous étiez en possession des mêmes outils que moi — et Adamsberg éleva la voix —, à disposition de toute la brigade, que vous dirigez depuis mon départ en Islande. Je vous ai dit que l'échiquier Robespierre était immobile, alors que « les animaux bougent ». Je vous ai dit qu'il fallait aller vers le mouvement. Je vous ai dit que les pistes Sanson, Danton, Desmoulins, étaient vaines. Beaucoup d'autres choses aussi : pourquoi s'en prendre à des membres occasionnels, parasites épisodiques, si l'on voulait vraiment ébranler l'association ou atteindre Robespierre ? Pourquoi un signe de guillotine aussi discret ? Mais aussi alambiqué ? Pourquoi ces livres sur l'Islande, neufs, chez Jean Breuguel ? Pourquoi ce silence de Victor ? Pourquoi ces peurs, de toutes parts ? Vraies ? Fausses ? Pourquoi porter perruque pour pendre Vincent Bérieux ? Vous avez reçu comme moi les photos des lieux : pourquoi la corde n'était-elle pas suspendue au milieu du garage ? Pourquoi était-elle accrochée sur le côté ? Je vous ai même informé aussitôt hier : « Corde décalée vers la gauche, tissage râpeux, poils blancs de perruque, silence de la victime. » Ces faits, vous les aviez tous en main, tout comme moi. Mais depuis quelque temps, vous ne pouviez plus rien regarder ni plus rien entendre. Et pourtant, commandant, tout cela ne formait-il pas une nappe d'éléments plutôt consistante ?