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— Et le fils ?

— Parti se coucher sans pouvoir s'endormir. Il habite un des pavillons de l'entrée.

— Quelqu'un pour confirmer ?

— Non, personne. Mais Amédée n'avait pas de poudre sur les mains. Victor, le secrétaire du patron — il habite le second pavillon, en face de celui d'Amédée —, l'a vu rentrer à la nuit, la lumière s'allumer, et ne pas s'éteindre. Ce n'était pas le genre d'Amédée de veiller, et Victor a hésité à lui rendre visite. Les deux gars s'entendent bien. Bref, suicide. Et qui n'a rien à voir avec notre enquête. Ce que je veux, c'est voir la lettre envoyée par Alice Gauthier.

Adamsberg, qui ne savait pas rester assis trop longtemps, marchait de la fenêtre au mur, en long et non pas en rond.

— Choiseul a fait procéder à des analyses ? demanda-t-il.

— Les basiques. Taux d'alcoolémie : 1,57. Beaucoup tout de même, mais ils n'ont retrouvé ni verre ni bouteille. Le gars a dû boire pour se donner du courage, mais apparemment, il a tout rangé avant. Tests sur les drogues usuelles : négatifs. Et sur les poisons communs les plus accessibles, négatif.

— Rien sur le GHB ? demanda Adamsberg. Quel est le nom de l'autre substance, Danglard ?

— Le Rohypnol.

— C'est cela. Très utile pour faire tenir docilement à un gars un fusil entre les mains. Quelques gouttes dans son verre, ce qui expliquerait sa disparition. Trop tard de toute façon, il n'y en a plus une trace après vingt-quatre heures.

— On peut encore tenter sur un cheveu, dit Danglard. Ça peut résister sept jours dans les cheveux.

— On n'a même pas besoin de ça pour avoir une certitude, dit Adamsberg en secouant la tête.

— Bon sang, dit Bourlin : « Suicide avéré. » Qu'est-ce que tu te figures ? Choiseul n'est pas un bleu.

— Choiseul ne connaissait pas le signe dessiné chez Alice Gauthier.

— Adamsberg, on est venu ici pour la lettre.

— Avant même de lire cette lettre, tu peux appeler la grosse tique et lui dire que tu ne classes pas l'affaire.

Bourlin ne négligeait pas, chez Adamsberg, ce genre de conseil laconique.

— Explique-toi, dit-il, ils vont arriver dans moins de cinq minutes.

— Il n'y a rien à reprocher à Choiseul. Il fallait savoir quoi chercher pour trouver. Ceci, ajouta-t-il en tendant une feuille à Bourlin. J'ai pris cette empreinte à la va-vite sur le cuir du bureau, couvert de rayures. Mais là, dit-il en suivant quelques traits du doigt, on le distingue très bien.

— Le signe, dit Danglard.

— Oui. On a entaillé le cuir pour le dessiner. Et les éraflures sont toutes fraîches.

La porte s'ouvrit sur Céleste, essoufflée.

— Quand je vous disais que le petit n'allait pas bien. Je lui ai dit que vous vouliez juste le voir pour une lettre de Mme Gauthier, alors il a reculé, et Victor lui a parlé, mais il a enfourché Dionysos et il a foncé dans les bois. Victor est aussitôt monté sur Hécate et il a filé à sa poursuite. Parce qu'Amédée est parti sans casque, et à cru. Et sur Dionysos, en plus. Et il n'est pas fort pour ça. Pour sûr il va nous faire une chute.

— Et pour sûr qu'il ne veut pas nous parler, dit Bourlin.

— Madame Grignon, conduisez-nous au haras, dit Adamsberg.

— Vous pouvez m'appeler Céleste.

— Céleste, est-ce que ce Dionysos répond à son nom ?

— Il obéit à un sifflement spécial. Mais il n'y a que Fabrice qui sait le faire. Fabrice, c'est le maître du haras. C'est qu'attention, il n'est pas commode.

Il n'y avait pas à douter de l'identité de l'homme épais qui vint à leur rencontre dès qu'ils approchèrent du haras. Petit, fort comme un bœuf, barbu, avec le visage hargneux d'un vieil ours qui fait face à l'ennemi.

— Monsieur ? demanda Bourlin en lui tendant la main.

— Fabrice Pelletier, dit l'homme en croisant ses bras courts. Et vous ?

— Commissaire Bourlin, le commissaire Adamsberg et le commandant Danglard.

— Jolie clique. N'entrez pas au haras, vous allez affoler les bêtes.

— En attendant, coupa Bourlin, vous avez deux chevaux affolés qui cavalent dans les bois.

— Je suis pas aveugle.

— Rappelez Dionysos, s'il vous plaît.

— Si ça me chante. Et ça me chante qu'Amédée vous ait glissé entre les pattes.

— C'est un ordre, gronda Bourlin, ou vous serez inculpé pour non-assistance à personne en danger.

— J'obéis à personne, sauf au patron, dit l'homme, bras toujours solidement croisés. Et le patron, il est mort.

— Sifflez Dionysos ou je vous embarque, monsieur Pelletier.

Et à cet instant, Bourlin n'avait pas l'air plus commode que la brute du haras. Deux vieux mâles dressés l'un contre l'autre, griffes sorties, gueules menaçantes.

— Sifflez-le vous-même.

— Je vous rappelle qu'Amédée est monté sans casque, et à cru.

— À cru ? dit Pelletier en décroisant ses bras. Sur Dionysos ? Mais il est cinglé, ce môme !

— Vous voyez bien que vous êtes aveugle. Sifflez-le, nom d'un chien.

Le maître du haras s'éloigna à grands pas pesants vers la lisière des bois et siffla longuement, à plusieurs reprises. Un chant complexe et très mélodieux, qu'on n'imaginait pas pouvoir sortir des grosses lèvres d'un tel gars.

— Comme quoi, dit simplement Adamsberg.

Quelques minutes plus tard, un homme assez jeune à boucles blondes revenait tête basse vers eux, tirant une jument par les rênes. Le chant sophistiqué de Pelletier résonnait toujours dans les bois.

— C'est Victor ? Le secrétaire ? demanda Danglard à Céleste.

— Oui. Mon dieu, il ne l'a pas trouvé.

Hormis sa remarquable chevelure, l'homme, dans les trente-cinq ans, n'était pas beau. Visage renfrogné et mélancolique, nez et lèvres larges, front bas abritant des yeux petits et rapprochés, le tout enchâssé sur un cou très court. Il serra la main des trois policiers sans y prêter attention, ne regardant que Céleste.

— Je suis désolé, Céleste, dit-il. Il n'était pas loin devant moi, j'entendais le trot, il s'était stupidement enfoncé dans les broussailles de Sombrevert. Là où la tempête a tout foutu par terre. Hécate a buté contre une branche, elle boite. Qu'est-ce qu'il va me mettre, le Pelletier.

Le bruit lointain d'un claquement de sabots les fit se retourner vers les bois. Dionysos apparut, seul.

— Sainte-Mère, cria Céleste en portant sa main à sa bouche. Il l'a démonté !

De loin, Pelletier lui adressa un signe d'apaisement. Amédée suivait, les bras ballants, tout à fait un gosse revêche repris après une fugue.

— Faut avouer, dit Céleste en un souffle, il est fort le Pelletier. Il peut vous ramener n'importe quelle bête. Et faut le voir au dressage. Comme disait le patron — elle se signa —, « s'il n'y avait que son caractère, je m'en serais défait depuis longtemps. Mais on ne peut pas se priver d'un type comme ça. Faut prendre le bon et mauvais. C'est un peu pareil pour tout le monde, Céleste, le bon et le mauvais », il disait toujours.

Amédée se laissa serrer sans réagir dans les bras de Céleste. Puis il se tourna vers les trois flics, le regard inexpressif. Lui était assez beau, nez droit, lèvres nettes, cils très longs, boucles noires. Sueur au front, joues encore empourprées par sa course. Délicatesse romantique, charme de femme, barbe invisible.

— Je suis navré, Pelletier, disait Victor au maître des chevaux qui palpait avec inquiétude la patte d'Hécate. Je voulais le rattraper.

— Ben t'as pas réussi mon gars.

— C'est qu'il avait filé vers Sombrevert. Elle s'est pris la patte contre une branche basse.