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La lettre provenait de M. Bissette.

Cher John,

Bonnie Avery m’a appris que vous aviez quitté l’école plus tôt que prévu. Elle est très inquiète à votre sujet, et moi aussi, même si nous avons déjà vu se produire ce genre de phénomène, en particulier durant les examens de fin d’année. Venez donc me voir dès demain matin, d’accord ? Vos problèmes, quels qu’ils soient, ne sont pas insolubles. Si ce sont les examens qui vous tourmentent — et, je le répète, ça arrive tout le temps —, nous pouvons reporter les épreuves auxquelles vous êtes soumis. Votre bonne santé est notre premier souci. Passez-moi un coup de fil ce soir si vous le souhaitez ; vous pouvez me joindre au 555-7661. Je suis à votre disposition jusqu’à minuit.

Rappelez-vous que nous vous estimons beaucoup et que nous sommes de votre côté.

À votre santé[8]

Jake avait les larmes aux yeux. La compassion qu’exprimaient ces mots était merveilleuse, mais il lisait des choses encore plus merveilleuses entre les lignes — de la chaleur, de l’amour et un effort sincère (quoique né d’une méprise) pour le comprendre et le consoler.

M. Bissette avait dessiné une petite flèche à la fin de sa lettre. Jake tourna la page et lut ceci :

Au fait, Bonnie m’a demandé de vous transmettre ceci — félicitations !

Félicitations ? Qu’est-ce que ça voulait dire ?

Il ouvrit la chemise bleue. Une feuille de papier était attachée à la première page de sa composition. Elle portait l’entête de Bonita Avery et ce fut avec une stupéfaction croissante que Jake lut les lignes suivantes, rédigées au stylo à plume d’une écriture sans fioritures.

John,

Harvey vous aura sûrement fait part du souci qui est le nôtre — il est très doué pour ça —, aussi me contenterai-je de commenter votre composition, que j’ai lue et notée durant l’interclasse. Votre travail est profondément original et nettement supérieur à toutes les compositions scolaires que j’ai pu lire ces dernières années. L’utilisation que vous faites de la répétition incrémentielle (« … et c’est la vérité ») est très inspirée, mais il ne s’agit bien sûr que d’une ficelle d’écriture. Ce qui fait la valeur de votre texte, c’est sa qualité symbolique, telle qu’elle est initialement exposée par les images du train et de la porte sur la page de titre et telle qu’elle est développée de splendide façon dans le corps de votre travail. La conclusion logique de ce développement, à savoir l’image de la « Tour Sombre », exprime à mon sens l’idée que les ambitions ordinaires sont non seulement malavisées mais de plus dangereuses.

Je ne prétends pas comprendre tout le symbolisme de votre texte (« la Dame d’Ombres », « le Pistolero ») mais il me semble évident que c’est vous qui êtes « le Prisonnier » (de l’école, de la société, etc.) et que « le Démon qui Parle » n’est autre que le système éducatif. Il est possible que « Roland » et « le Pistolero » représentent la même figure d’autorité — peut-être votre père ? Cette possibilité m’a tellement intriguée que j’ai cherché son prénom dans votre dossier scolaire. Il se prénomme Elmer, mais j’ai remarqué que l’initiale de son second prénom est R.

Je trouve cela extrêmement intéressant. À moins que ce nom ne soit un double symbole, inspiré à la fois par votre père et par le poème de Robert Browning, « Le Chevalier Roland s’en vint à la Tour Noire » ? Ce n’est pas le genre de question que je poserais à n’importe quel élève, mais je sais quel lecteur vorace vous êtes !

Quoi qu’il en soit, je suis extrêmement impressionnée. Les jeunes élèves sont souvent attirés par ce style qu’on a baptisé « flux de conscience », mais ils sont rarement capables de le maîtriser. Vous avez parfaitement réussi la synthèse du f. de c. et du langage symbolique.

Bravo !

Venez me voir dès que vous serez de nouveau « d’attaque » — je souhaite discuter avec vous d’une éventuelle publication de votre travail dans le numéro de rentrée du magazine littéraire des élèves.

B. Avery.

P.-S. Si c’est parce que vous doutiez de mes capacités à comprendre une composition d’une richesse si surprenante que vous avez quitté l’école aujourd’hui, j’espère que cette lettre vous aura rasséréné.

Jake détacha la missive, découvrant la page de titre de sa composition profondément originale et pleine de richesse symbolique. Mme Avery y avait inscrit au feutre rouge la note A+ et l’avait enrichie de l’appréciation : EXCELLENT !!!

Jake se mit à rire.

Toute la journée qu’il avait vécue — cette longue journée emplie de terreur, de confusion, d’exaltation et de mystère — était condensée dans ses éclats de rire tonitruants. Il s’affala sur sa chaise, la tête rejetée en arrière, se tenant les côtes, les joues inondées de larmes. Il rit presque à en perdre la voix. Chaque fois qu’il pensait réussir à s’arrêter, il apercevait un des commentaires élogieux de Mme Avery, et c’était reparti pour un tour. Il ne vit pas son père lorsqu’il arriva sur le seuil de sa chambre, lui jeta un regard intrigué et hostile, puis repartit en secouant la tête.

Finalement, il prit conscience que Mme Shaw était toujours assise sur le lit et le regardait avec un détachement amical où perçait une légère curiosité. Il essaya de lui parler, mais fut de nouveau saisi par une crise de fou rire.

Il faut que je m’arrête, pensa-t-il. Il faut que je m’arrête ou ça va me tuer. Je vais avoir une attaque, une crise cardiaque ou quelque chose comme ça…

Je me demande comment elle a interprété « tchou-tchou, tchou-tchou », se dit-il, et il se remit à rire de plus belle.

Finalement, ses spasmes d’hilarité devinrent de simples gloussements. Il s’essuya les yeux avec la manche de sa chemise et dit :

— Excusez-moi, madame Shaw — c’est juste que… eh bien… j’ai eu un A+ à ma composition. Elle est très… très originale… et très riche en sym… en sym…

Mais il ne put achever sa phrase. Il se retrouva plié en deux, les mains sur ses côtes douloureuses.

Mme Shaw se leva et sourit.

— C’est très bien, John. Je suis ravie que ça se soit bien passé pour toi et je suis sûre que tes parents seront également enchantés. Je suis horriblement en retard — je crois que je vais demander au portier de m’appeler un taxi. Bonne nuit et fais de beaux rêves.

— Bonne nuit, madame Shaw, dit Jake en faisant un effort pour se contrôler. Et merci.

Dès qu’elle eut pris congé, il se mit de nouveau à rire.

21

Durant la demi-heure qui suivit, ses parents vinrent le voir à tour de rôle. Ils s’étaient effectivement calmés et la bonne note qu’il avait reçue sembla les apaiser davantage. Jake avait ouvert son manuel de français sur son bureau mais il ne l’avait pas vraiment regardé et il n’avait aucune intention de réviser pour son examen. Il attendait que ses parents aient disparu pour pouvoir étudier en paix les deux livres qu’il avait achetés. Il avait dans l’idée qu’il aurait bientôt à passer un véritable examen et il souhaitait plus que tout le réussir.

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8

En français dans le texte (N.d.T.)