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San-Antonio

Têtes et sacs de nœuds

A D.D. Sarda

qui a si bien su maçonner notre amitié

qu’elle est devenue inexpugnable.

Avec la bise fraternelle.

SAN-A

J’ai longtemps cru que j’avais le cul bordé de nouilles, avant de m’apercevoir qu’il s’agissait du ver solitaire.

SAN-A

PREMIÈRE PARTIE

LA MISSION

PONCE PILOTE

Il a changé de parfum, de costume et de maîtresse. Il m’annonce qu’il se propose de changer également de voiture.

Achille m’explique que sa Rolls Phantom est devenue par trop anachronique pour l’époque. Avant, on se contentait de s’en gausser ; ensuite est venue l’ère des jurons ; il en est à présent à celle des lapidations et des projections excrémentielles. Cela ne peut plus durer. Il aurait déjà troqué la vénérable automobile contre quelque plantureuse Mercedes sans son chauffeur qui — britannique à ne plus en pouvoir — menace de le quitter s’il se sépare de la Rolls.

Je lui conseille un moyen terme :

— Conservez donc cette somptueuse relique, monsieur le directeur, et achetez-vous une voiture sport de classe que vous piloterez vous-même et qui ravira les exquises créatures dont vous savez si bien vous entourer.

Ma propose le rend dubitatif.

— Il y a fort longtemps que je n’ai pas conduit, mon cher, et l’âge venant…

Fayot comme pas deux, j’égosille qu’à son âge on peut tout entreprendre, y compris se mettre à piloter des avions ou des hélicoptères. S’il consent à faire l’emplette d’une Ferrari, d’une 500 SL, voire d’une BMW M 5, je suis à sa disposition pour le moniter. Par exemple, il pourrait tâter de la chose au volant de ma Mercedes 500 et y prendrait à coup sûr un pied énorme.

Le voilà rasséréné, Chilou, joyce en plein. Il se voit au volant d’une tire décapotable, coiffé d’une gâpette britiche, avec des besicles Cartier à verres teintés, une veste sport, des gants de pécari à trous ! Le méchant ravageur ! Les gerces extasiées le frimant au passage, rêvant de grimper à son côté dans le bolide. D’accord, il accepte de faire une tentative à bord de ma calèche ronflante.

Tout en devisant, échafaudant, on parvient à destination devant la villa du général Durdelat, directeur des Services secrets français.

Il habite une villa du Vésinet, un peu pompeuse et connarde ; en meulière spongieuse, avec faïences vertes autour des portes et des fenêtres. Il devait nous guetter, car il surgit sur son perron, sitôt que la Rolls fait crisser les graviers de la terrasse. C’est un homme d’avant soixante piges, trapu, avec des cheveux blancs très drus et le cou couperosé. Il a une sorte de crépine violette sur les pommettes et le nez strié de ces charmantes veines bleues qui ne s’attrapent que devant un comptoir d’acajou.

— C’est bigrement gentil à vous de vous être dérangés, assure-t-il en nous effusionnant. Ma parole, Achille, vous ne bougez pas d’un poil[1] !

Le Vioque, ça lui fait comme de la chantilly sous des hémorroïdes. Il rit de contentement juvénile. Je suis con vaincu que le compliment le conforte dans cette nouvelle perspective de rouler en tire sport.

On pénètre dans un salon un peu fatigué où se mêlent des vieux meubles dits « de famille » et des trophées militaires.

— J’ai mis une bouteille de champagne à frapper, annonce le général.

Il appelle à grosse voix une dénommée Hortense qui se radine en chaloupant, fatiguée qu’elle est par les ans et les kilos. Cent quatre-vingts livres à soixante-dix-huit ans, c’est charogne à trimbaler, surtout quand tu mesures un mètre cinquante-deux.

Elle est parée pour le champ’, car elle coltine un plateau d’argent plus vaste que celui de Langres, affublé d’un seau embué, de coupes en cristal taillé dans le roc et de biscuits cotonneux.

Elle souffle comme le Pacific Express entrant en gare d’Oklahoma City et, lorsqu’elle se défait de sa charge, la plainte qu’elle exhale s’accompagne d’un pet d’effort assez pathétique.

— Elle est presque aveugle, déclare le général, comme si une telle infirmité justifiait le vent émis par la vétuste servante.

Alexandre Durdelat décapite la boutanche de Dom Pérignon et emplit les godets avec art, sans que déborde la moindre mousse.

Santé !

On liche en se défrimant par-dessus nos coupes. Il y a comme un instant de gêne : ces obscures timidités qui retiennent de parler ceux qui ont des choses graves à se dire.

C’est le Tondu qui plonge :

— Vous m’avez dit avoir besoin de San-Antonio, Alexandre ?

Le rubicond ne peut plus rougir, mais moralement, on sent qu’il le ferait volontiers.

— Je vous ai dit que j’aurais grand besoin d’un homme de la trempe de San-Antonio, rectifie-t-il.

— Le voici ! fait noblement Chilou, en me désignant avec une emphase revigorante, comme si j’étais un prototype de toute rareté à la valeur inexprimable en chiffres arabes.

Le général me sourit. Il a un bon regard ; un brin gélatineux, mais droit, loyal, et qui sait regarder la France jusqu’au slip.

— Merci, murmure-t-il. Voyez-vous, Achille, j’ai honte de devoir puiser dans vos effectifs, mais je n’ai plus d’hommes valables à me mettre sous la dent. Jadis, on n’avait que l’embarras du choix. Pour la mission la plus délicate, la plus périlleuse, on pouvait faire appel à tous les éléments de la « Maison » : ils étaient tous partants et tous efficaces. Maintenant, je ne dispose plus que de petits fonctionnaires qui attendent la retraite en veillant au rajustement de leur salaire. Une bande de couilles molles syndiquées !

« Oui, mes amis : les espions le sont de nos jours. Quand on lit les mémoires de mes devanciers, on mesure combien cette profession est devenue efflanquée, inexistante, même ! Dites, Achille, rappelez-vous l’Intelligence Service d’autrefois ! Son efficacité. Un roi qui marchait pas droit : hop, déposé ! Un maharadjah récalcitrant : à l’arsenic ! Un ministre des Affaires étrangères par trop intransigeant : accident de la route ou crise cardiaque ! Et maintenant ? La faillite ! Que dis-je : la débâcle. Saddam Hussein fait chier le monde ? On le met au pas avec des milliers d’avions pour, tout de suite après, lui envoyer un spécialiste des maladies hépatiques afin de soigner sa jaunisse.

« Les Services comme le mien ne servent plus à rien, Achille ! Des manchots ! Des pingouins ! Des branques enrhumés. Vous savez, vieux camarade, il y a lurette que je le guigne, votre San-Antonio. Si vous n’étiez pas mon ami, je me serais arrangé pour vous le chiper. Quand on est du métier, on n’aperçoit que lui au milieu de ce désert. Merci mille fois de me le prêter ! »

— Eh ! minute, interpose le Dirlo, faut-il auparavant que vous me précisiez de quoi il retourne.

Bibi, dans tout ça, il se fait l’idée d’être un étalon primé sollicité par un haras concurrent pour procéder à quelque saillie de luxe. Un peu humiliant, bien que flatteur, un tel marché.

— Ah ! non, Achille ! Ne me faites pas de fausses joies, supplie le général Durdelat ! Pour la mission que je veux faire exécuter, il n’y a que San-Antonio.

Mais le Vieux adore tenir le couteau par le manche. Ça le fait mouiller. Il entend tout contrôler, cézigo ; tout gérer. Même quand on ne va nulle part, c’est lui qui pilote. Tout en s’en lavant les mains.

Ponce Pilote !

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Evidemment : il est complètement glabre !