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En fait, son caisson, c’est au lac qu’il l’a confié. Le père Uhro l’a découvert tout à fait incidemment, après qu’il eut pulvérisé d’une balle la caméra que les Popoffs avaient planquée dans un arbre. Lorsqu’il a chargé le bloc dans son barlu, son geste n’a pas été surpris. Et il l’a gardé plusieurs années à ses pieds.

Et puis voilà que les Russes, après que j’aie neutralisé leur sous-marin, ont compris que je m’enfuyais avec le trésor. Qu’est-ce qui leur a mis le prépuce à l’oreille ? Je l’ignore. Maintenant ils m’ont fabriqué de première.

Une tristesse amère m’empare. Une gigantesque désabusance.

La seule chose qui, très confusément, me dédolore l’âme, c’est de me dire qu’après tout, ce putain de minerai leur appartient et qu’il ne saurait être immoral qu’ils l’eussent récupéré. Ça relève d’une élémentaire justice. Oui, mais on a chargé le commissaire San-Antonio, roi de la braguette détonnante, de le retrouver et de l’amener en France. Un chien de chasse n’a pas à se demander s’il est juste qu’il ramène le faisan foudroyé à son maître.

— On vous a volé l’auto ? balbutie Kitège.

— On le dirait. En tout cas c’est bien imité.

Moi, ce qui me déconcerte le plus, c’est qu’à aucun moment je n’ai eu l’impression d’être suivi. Et pourtant je roulais plein pot sur d’interminables lignes droites et j’étais plus ou moins aux abois. Tu parles qu’un vieux fennec comme bibi, quand on lui file le dur sur près de cinq cents bornes, il s’en aperçoit, ou alors c’est qu’il est devenu manchot des méninges.

— Vous allez prévenir la police, naturellement ?

Tu parles ! Mettre la main dans l’engrenage, merci beaucoup.

— Je vais plutôt essayer de la retrouver !

La plantant là, je retourne à l’auberge demander l’adresse d’un loueur de bagnoles. On me renseigne et je ressors guère plus avancé.

A cet instant, un couple chevauchant une 500 Harley Davidson stoppe dans un grondement de tonnerre à l’huile Castrol. Je constate que le bolide est immatriculé à Paris et mon cœur se tartine de nostalgie.

— Salut ! fais-je au martien casqué de noir intégral qui drive l’engin.

— Ah ! français ? il me fait en se décasquant.

C’est un petit gars de chez nous, genre mécano à la coule. Sa gerce est une boulotte qui est parvenue à tasser fesses et nichemards dans une combinaison de cuir épaisse comme de la peau d’éléphant.

— D’où venez-vous ? m’enquiers-je.

— Stockholm.

— Vous n’auriez pas croisé sur la route, un mobile home couleur lie-de-vin sur lequel est écrit en blanc Pontarlier-Cap Nord ?

Le titi me répond qu’il a croisé une chiée de camping-cars, mais qu’il est trop accaparé par son monstre chromé pour lire ce qu’il peut y avoir décrit dessus. Mais son boudin combinaisonné s’écrie que si ! Elle, elle se rappelle parfaitement le véhicule en question, avec son inscription, biscotte elle est native du Jura et que ce nom de Pontarlier lui a sauté aux yeux.

— Où l’avez-vous croisé ?

— Dans un village.

— Il y a longtemps ?

— Quarante minutes environ.

Alors, poum ! j’échafaude en une fraction de seconde ! Le Sana des grands jours, tu sais ?

Je tire d’une poche secrète située dans la doublure ma brème de poulet.

Il la ligote avec effarement :

— Vous êtes le commissaire San-Antonio ?

— Comme tu le vois. Ecoute-moi bien, fiston, j’ai besoin de toi de toute urgence. Je vais te filer vingt-cinq mille balles, tiens, les voilà. Ta petite va t’attendre dans cet hôtel avec votre paquetage. La mienne, que vous voyez, là sur le parking, lui tiendra compagnie au besoin. Nous deux, on fonce à la recherche du mobile home. Je dois le retrouver coûte que coûte, mon grand ! Coûte que coûte ! Si on le rattrape, je te filerai encore une prime supplémentaire, et vous pourrez vous payer des vacances de rêve. T’inquiète pas pour ton permis, si les perdreaux suédois te le sucrent pour excès de vitesse, je t’en ferai envoyer un autre illico par lettre express.

Le petit gars regarde sa souris.

— Faut accepter ! lui dit-elle.

Les gerces sont bonnes conseillères.

L’ACCIDENT

Alors là, le petit mec, il s’en paie.

J’ai beau avoir coiffé le casque de Marcelle, sa potesse, je peux te dire que mon épine dorsale me sert de chéneau. Quand je virgule un z’œil sur le cadran de vitesse de sa Harley, j’ai la chiasse qui me jaillit des yeux en constatant qu’on dépasse le deux cents !

Pour essayer de me dépeurer, je me livre à des calculs. Entre autres propriétés secrètes, notre mobile home est équipé de deux réservoirs d’essence jumelés, ce qui lui fournit une autonomie de huit cents kilbus… La dernière fois que nous avons fait le plein, c’était à Véröltua avec les Bérurier. Depuis, le fourgon a dû parcourir à peu près six cent cinquante kilomètres. Donc, en cet instant, si les mecs ne se sont pas arrêtés de rouler, la jauge doit commencer d’envoyer des messages de détresse. Les (ou le) gars vont devoir procéder au ravitaillement en tisane.

Seulement voilà : le génial Mathias a installé un bouchon de radiateur truqué de son invention. A vrai dire, il est double. Si tu ne possèdes pas le secret, tu ne peux pas rentrer plus de cinq litres de coco dans le réservoir. Pas con, hein ? Je me mets donc à la place de mes voleurs. Ils ne vont pas s’alimenter en essence par fractions de cinq litres, ou alors leur trajectoire sera ponctuée de haltes incessantes.

Maintenant, supposons qu’ils décident de renoncer à mon camping-car et de récupérer le caisson pour le mettre dans une voiture plus conventionnelle. C’est bien simple : ils ne le trouveront pas ! La planque que le Rouillé a aménagée est inviolable, à moins de démolir totalement le véhicule et de le mettre en petits morcifs.

Robert (c’est le blaze de mon motard de Montrouge) drive son coursier de feu impeccablement. Il peut s’aligner au Bol d’Or, cézigue, ou à toute autre compétition. Je le vois dans les virages, un genou au ras du sol. Par instants, quand il double une file de camions, j’ai les testicules qui me remontent dans le gosier. Pour des sensations fortes, ça oui, c’en est !

Je sonde la route avec de plus en plus d’acuité. Je tapote sur la carapace qui enveloppe sa théière et il ralentit. Alors je hurle dans ses écoutilles :

— Décélère à partir de maintenant chaque fois qu’on approchera d’une station d’essence.

Futé, le drôle. Il pige tout à la seconde, exécute parfaitement mes instructions, avec sang-froid.

On continue de becter du ruban. Je me dis que « les autres », eux, doivent se conformer aux limites de vitesse. A bord d’un véhicule volé, c’est la moindre des choses.

Comme Robert infractionne à tout-va, j’en déduis que nous déboulons plus de deux fois plus vite que mon fourgon. Donc, s’ils ont une heure et demie d’avance sur nous, on doit la leur reprendre en… En combien de temps ? J’ai jamais brillé en calcul mental. Même avec une calculette, je me planterais.

Comme toujours dans ce genre d’épreuve, le doute m’habite (ou ma bite). Suivent-ils bien la route de Stockholm ? Ne se sont-ils point engagés dans une secondaire pour gagner la Norvège ? Disposant d’une singulière mémoire visuelle, je me remémore la carte de la Scandinavie. A Sundsvall, ils ont la possibilité de dévier à droite sur Trondheim où, peut-être, un bateau russe les accueillerait. Luleä-Sundsvall, ça représente quoi ? Plus de quatre cents bornes. Il faut qu’on les retapisse avant. Une volonté de feu m’empare. Dès lors, j’ai plus peur des prouesses du gars Roro et, au contraire, je le stimule.