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Et puis tu sais quoi ? La Providence, je te jure.

Sur la strasse, y a des travaux sur plusieurs kilomètres, des panneaux préviennent. Bien qu’ils le fassent en suédois, les chiffres parlent. Défense de doubler. Mais l’interdit ne joue pas pour mon émérite petit pote. Tu le verrais louvoyer, doubler à gauche, doubler à droite, t’applaudirais sa maestria.

— T’es un chevalier, mec, complimenté-je.

Et, aussitôt, je la boucle. Je viens de m’apercevoir que nous roulons juste derrière le mobile home.

Au plus profond de mon âme, ça fait comme le chant d’un coq, au petit matin, dans une métairie.

— T’auras la Légion d’honneur un jour, petit drôle, lui dis-je en lui désignant mon véhicule.

— Rien à cirer ! riposte Roberto.

Un sage ! Il relève le bas de sa visière et, profitant de ce que nous sommes au pas, demande :

— Programme, chef ?

C’est pile la question (en anglais « the question ») que je me posais.

Je coule un regard derrière nous : un camion chargé de rouleaux de papier destinés à la presse : énorme, poussif.

— T’es chiche d’accomplir un petit numéro de cirque, gamin ?

— Y a pas de raison que j’peuve pas, affirme cette fleur de banlieue.

— Ça comporte un tout petit peu de risque.

— Un gros glandu qui se tape du foie gras aussi court des risques !

— T’es mélodieux comme un Stradivarius, petit homme ! Alors voilà le numéro que je te propose. Tu vas me doubler gentiment le camping-car ; quand tu l’auras presque dépassé, tu feras mine de l’accrocher sur l’avant. Tu chiqueras au gazier déséquilibré et nous tomberons à quelques mètres devant ses roues. Laisse-lui juste de quoi freiner, pas qu’il nous emplâtre. Si ton teuf-teuf est meurtri, ne sois pas inquiet, on te carmera les réparations, voire même on t’en offrira un autre au besoin, mais te connaissant comme je commence à le faire, je suis sûr que tu accompliras la manœuvre dans la chantilly.

— D’accord. Et après ?

— On reste inanimés sur la route, ou presque. Vu ?

— Vu, et ensuite ?

— Ensuite, mon pote, c’est le hasard qui continue le scénario ; tout dépendra de l’attitude des mecs. Mais il est à prévoir qu’ils descendront, ne serait-ce que pour déblayer le chemin. S’ils descendent, tu me laisses agir. Toi, tu remets ta bécane à la verticale et tu te casses sans plus t’occuper de moi ; rendez-vous à l’hôtel de Luleä, tu me reçois cinq sur cinq ?

— Banco !

— Alors go, mon drôle, et que Dieu te garde !

Le môme se met à foisonner de l’avertisseur pour réclamer le passage. Il remonte le car.

Je virgule un regard à travers les parties vitrées : nobody à l’intérieur. On atteint le niveau de la cabine ; hymne de grâce, il n’y a que le conducteur à l’intérieur : un mec plutôt corpulent, avec peu de cheveux bruns et des lunettes à verres teintés. Il a un nez fort, un peu patatesque, fendu du bout comme des fesses.

— Vous y êtes ? lance Roro.

Je me prépare à la fête.

— On choit à droite ! m’avertit le môme.

Il se défend, là encore, de première. Un petit coup de cul. Son garde-boue arrière heurte l’avant du fourgon. Il se met à zigzaguer, puis se couche.

Traînard involontaire du fameux (que dis-je ! du fabuleux) commissaire San-Antonio.

J’ai le dargif en feu ; la miche droite pour te préciser ; mon jean doit être arraché. A spartiate tout va bien. Ces heaumes de motards, c’est bien pratique : tu vois à travers sans être vu.

Je tiens une période de chance infinie car le conducteur-voleur ne met pas trois secondes pour jaillir de mon véhicule et se précipiter. Il se penche sur moi, l’air souverainement contrarié. Furax de cet accident.

J’attends qu’il soit à bonne portée, et « rran » ! passe-moi l’éponge. Le dôme du casque sur son pif en dargeot de bébé. Il en voit trente-six chandelles. Mais c’est un coriace, imagine. Et un fulgurant du réflexe. Illico, il m’administre un coup de latte dans les côtelettes, ce qui me dépoumone. Le voilà qui me place un doublé. Mais il ne va pas plus loin et s’effondre. Je mate : c’est Roro qui vient de le sniffer avec une clé anglaise. Vraoum ! Le gonzier culbute.

Derrière, les gens de la file, camion de papier en tête, klaxonnent à tue-tête pour réclamer la décarrade. Et moi, génial ! Vraiment génial ! Un coup de saton sauvage dans le groin du gars et je lui file mon casque par-dessus ses horions. Maintenant, c’est lui le motard accidenté. Quand le camionneur de derrière se pointe, il m’aide à installer Dudule dans le camping-car.

— Hôpital ! Hôpital ! promets-je.

Roro confirme. Renfourche son bolide ; on repart. Pas plus duraille que ça, mon pote ! Mais ce petit loustic de Montrouge, tu parles d’une présence d’esprit !

Il examine son beau bolide brûlant. Centimètre après centimètre.

— Y a du bobo ? m’enquiers-je.

— A peine : la poignée de mon frein droit est tordue et j’ai un pet au garde-boue.

On a largué la nationale pour un petit chemin qui nous a amenés dans une crique sauvage. A quelques encablures, on distingue une île posée au ras des eaux du golfe de Botnie.

— T’as été immense, fais-je au titi de Montrouge ; putain, tu compteras désormais parmi mes heureuses rencontres !

— Vous aussi, déclare Robert, ç’a été géant comme équipée !

— Maintenant, il est temps que je fasse un petit bilan avec notre passager, décidé-je-t-il.

Mais le motard ricane :

— Je crois que ce sera pour plus tard, commissaire. On a eu beau lui cigogner la gueule, faut croire qu’il a le crâne dur.

Et il me désigne la vitre arrière du mobile home qui est brisée. Effectivement, mon voleur de voiture n’est plus dans ses appartements. Il a mis les adjas par la fenêtre du fond.

— Tant pis, assuré-je. Un dur à cuire comme lui n’aurait pas parlé et je déteste rendre les gens loquaces en leur cognant dessus.

Je sors une nouvelle liasse de talbins de ma fouille secrète :

— Pour tes œuvres, petit homme, tu l’as bien mérité.

Mais il secoue la tête :

— Non, commissaire, pas question. Avec ce que vous m’avez déjà donné, j’ai de quoi éblouir la Marcelle pendant toutes les vacances.

— Enfouille, pauvre con, faut jamais cracher sur le pognon. D’autant que c’est l’Etat qui douille !

Il hésite :

— Bon, si c’est comme ça… Mais alors je vais vous acheter des fleurs.

— Merci, mon mignon, mais je préfère que tu m’offres cinq kilos de peinture et deux pinceaux. On est peinards, ici, on va en profiter pour repeindre ce carrosse ; j’ai encore pas mal de route à tirer.

— Les plaques vous trahiront.

Je rigole :

— J’en ai d’autres, ainsi que la carte grise qui va avec.

Il siffle d’admiration (à demi ration).

— C’est la méchante organisation !

— Une fois n’est pas coutume.

Le voilà déjà à cheval sur son palefroi.

— De quelle couleur, la peinture ?

— Choisis ce que t’aimes !