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LE RETOUR DE L’ENFANT PRODIGUE

Je mets à profit son absence pour m’offrir un petit roupillon maison. De ces sommes dits « réparateurs » qui sont naturellement brefs et qui, en effet, te régénèrent.

J’en suis arraché par un bruit de moteur. Ce moteur-là n’est pas celui d’une moto, mais d’une vieille Saab 900 délabrée qui hoquette sur le chemin de terre. Elle est d’un gris délavé, avec des plaques lépreuses biscotte la rouille.

Et qui aspers-je au volant ? Mon gars Roro, fier comme bar-tabac, pis que s’il drivait une Rolls ou la dernière Ferrari.

Son tas de rouille s’arrête à deux mètres de mon fourgon et il en saute en sifflotant.

— Où as-tu pêché cette épave, Gavroche ? je m’enquiers-je. Et ta péteuse ?

— Je l’ai laissée en gage au garaco qui m’a prêté ce matériel, commissaire. Je ramène un compresseur pour peindre votre corbillard. Je me disais qu’avec des pinceaux on allait en avoir pour vingt ans à filer la barbouille et qu’on obtiendrait du boulot de sagouin. Tandis que là, laissez-moi usiner, et dans une plombe je vous livre un boulot de pro. Tout ce que vous aurez à faire, c’est de coller du papier adhésif sur les chromes et le pourtour des vitres pour les protéger.

Ce petit futé, il est unique en son genre. Je me l’annexerais bien comme collaborateur.

— T’aurais pas envie d’entrer dans la Poule, des fois, Robert ?

— Non, sans façon ; j’aime trop la mécanique. Moi, si j’ai pas un carter à démonter, je me sens malheureux.

Le voilà qui met son bouzin en place et, bientôt, le moteur sur batterie du générateur trépide comme un hosto spécialisé dans la maladie de Parkinson.

Il a choisi de la vraie peintoche pour bagnole, mon pote. Une teinte pastel, dans les vert branlette, qui fait songer au printemps.

— C’est à séchage instantané, me crie-t-il pour dominer le bruit.

En le voyant œuvrer, je réalise son professionnalisme. Le genre bricolo qui sait tout faire. S’il épouse la môme Marcelle un jour, il lui bâtira une turne entière, le gentil castor : électricité, plomberie, peinture comprises. Mon gros véhicule bordeaux se pare de sa robe légère à une vitesse grand V. En moins de jouge, il a changé d’aspect.

— Et maintenant, la deuxième couche ! annonce Roro, infatigable.

Après, il remplace les précédentes plaques par un jeu de nouvelles. Nous voilà immatriculés dans les Yvelines, maintenant. Pour achever de modifier l’aspect du bus, on colle du papier teinté sur les vitres de l’habitacle et j’accroche un délicieux nounours de fête foraine au pare-soleil passager.

Le titi contemple son œuvre avec délectation.

— En soixante-dix minutes ! jubile-t-il. A Montrouge, mon patron facturerait quinze heures de main-d’œuvre au pégreleux qui l’aurait chargé de ce boulot !

Dans ses nouveaux atours, le mobile home n’a plus rien de commun avec le premier !

Les deux gerces sont en grande bavasse dans une chambre de l’auberge. Y a que des frangines pour réussir à tailler le bout de gras sans jacter la même langue.

— Alors ? demandent-elles simultanément, l’une en français, l’autre en anglais.

— Le malheur est réparé, répondons-nous dans ces deux idiomes.

Joie ! On se gratule ! Généreux, depuis que je l’ai matelassé de Pascals, Robert insiste pour offrir le champagne. On boit. On s’embrasse. On se quitte en promettant de se revoir. C’est la vie !

En pleine noye, je refais un plein à Gävle, ce qui va me permettre de gagner le Danemark sans me réapprovisionner. Je n’ai pas sommeil et je sens que je vais faire le tour du cadran en drivant mon bahut. C’est une de ces nuits où « les nerfs te tiennent », comme dit ma Félicie. Tu pilotes presque automatiquement, ni le temps ni les distances ne t’incommodent ; à croire que tu es devenu une machine à conduire.

J’emprunte le maigre tronçon d’autoroute qui permet d’éviter Stockholm ; ces Suédois ne se cassent pas, question réseau routier ! Eux, avec le Nobel, trois tennismen et des bocaux de harengs, ils font la rue Michel, ces cons !

Privé de nuit noire, je me conforte dans l’automatisme de la conduite. Toutefois, je retrouve une impression d’obscurité dans le sud du pays. Manque de pot, elle se dissipe, car c’est le matin, lorsque nous atteignons Hälingborg où il nous faut prendre le bateau transbordeur pour le Danemark.

Ma chère Kitège a dormi comme une grande fille toute simple et ce sont les bruits de l’embarquement qui la réveillent. Je lui explique où nous sommes et elle me demande si je compte m’arrêter bientôt. Je lui propose de faire escale à Hambourg, l’autoroute étant à peu près continue depuis notre lieu de débarquement. Elle est d’une docilité à toute épreuve, cette fille. Du pur nougat ! A bord, on fait pipi et on s’octroie un café croissant.

Après, c’est la rapide traversée du Danemark, un nouveau transbordement, plus long que le précédent, puis nach Hambourg, ville que je connais parfaitement.

On y parvient en début d’après-midi.

Chat naguère échaudé, je fonce jusqu’à l’hôtel de police où je demande le commissaire Zatzbruck, charmant homologue avec lequel j’ai collaboré dans « L’Affaire des ferrets de la reine », dont tu as probablement entendu parler ? Il est dans son burlingue. C’est un grand type un peu voûté, aux yeux laiteux et aux cheveux en brosse. Il a des bourrelets aux oreilles, une cravate marron caca sur une chemise à rayures jaunes et bleues.

— Que vous arrive-t-il, vous si élégant et séduisant d’habitude ! s’exclame-t-il en m’apercevant avec de la barbe, des bleus (d’origine béruréenne) plein la frite, un jean arraché aux miches et le regard fiévreux d’un gonzier qui vient de se payer treize heures de volant sans respirer ; sans parler de mes ecchymoses.

— Des péripéties, mon cher Adolf. Je les décrirai dans mon prochain bouquin dont je vous enverrai une traduction.

— Que puis-je pour vous ?

— Peu de chose, à vrai dire. Je vais séjourner à Hambourg jusqu’à demain matin et j’aimerais confier mon camping-car à la police hambourgeoise afin qu’elle veille dessus jusqu’à mon départ. Je vous le dis tout de suite : il n’y a rien de précieux dedans, mais des malins en veulent à ma peau et je crains qu’ils ne le piègent si je le laissais dans un parking d’hôtel.

Zatzbruck sourit.

— No problème, Antoine, on va le remiser dans notre garage spécial qui est mieux gardé que la Bundesbank. Vous ne voulez pas que je vous fasse protéger pendant votre séjour ici ?

— Inutile. D’ailleurs je suis malade de sommeil et je vais aller m’enfermer dans une chambre du Vierjahreszeitung, que j’adore, en compagnie d’une délicieuse petite Finlandaise avec laquelle je compte prendre un bain plein de mousse.

Peu après, je réalise ce projet au-delà de tout ce que tu peux imaginer. Quand on nous a apporté un repas en chambre des plus simples : caviar, poulet froid, tarte tatin, j’accroche le petit panneau rouge « Do not disturb » à notre porte et le guerrier reçoit enfin la récompense de ses efforts.

— Je commençais à me ronger les sangs, mon garçon ! s’exclame le général Durdelat en reconnaissant ma voix.

Y a de la réprobation dans son intonation, mais franchement je l’encule.

— Tout est en ordre, mon général, riposté-je sèchement.

Dis, il va pas me casser le mental, ce vieux juteux de mes deux mahousses, alors que je connais la félicité des sens après la superbe séance d’amour que j’ai consacrée à Kitège.

Pendant que je viens au rapport, elle prend son bain, la divine. Et elle chante d’une voix cristalline cette ravissante complainte finnoise que, personnellement, j’adore :