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— Expliquez !

— Ne jamais mettre tous ses œufs dans le même panier, ni ses pieds dans le même soulier.

A peine que proféré, j’ôte mon mocassin gauche, dévisse son talon truqué par le démoniaque Mathias. A l’intérieur dudit se trouve une sorte de boîte de porcelaine dans laquelle, hier matin, avant de planquer le caisson, j’ai placé une noisette de factotum exubérant.

Et alors tu sais quoi ? Tout l’art de San-Antonio est là. Je saisis ladite boîte et la jette violemment contre un mur de l’entrepôt. Elle se brise.

Les six Russes foncent dans la direction du minerai, mais il est déjà à l’œuvre, le bougre. Voilà que tout ce qui est métallique ici se désagrège rapidement : les bagnoles, les poutrelles de fer, les fermetures Eclair des braguettes…

Moi je fonce, coudes au corps, saisis la mère Kitège par le bras, l’entraîne jusqu’à la Mercedes stationnée devant la sortie, l’y pousse.

Derrière nous, c’est un début d’apocalypse. L’immense toit vitré s’effondre progressivement. Des vagues de verre brisé submergent les Popoffs. Leurs revolvers ont fondu, la plume et la bague de leurs stylos itou. Ils s’agitent en hurlant sous le typhon de tessons qui continuent de choir des hauteurs. A présent ce sont les piliers métalloches qui vont à dame. Démentiel !

Putain ! Quelle efficacité, ce factotum exubérant ! Ils vont se régaler, les frisés !

J’enquille une voie déserte dans un quartier en cours d’évacuation qui va probablement laisser sa place à quelque cité satellite ultramoderne. Je tremble : de peur rétrospective, de rage, d’humiliation. Dire qu’il va falloir bonnir la vérité au général Durdelat ! Peut-être a-t-il des arguments pour amener les Teutons à composer, à nous refiler une petite part du gâteau ? Mais je rêve ! Tu penses qu’ils vont battre à Niort, prétendre n’avoir touché à rien. Que veux-tu prouver ? Ça va encore me retomber sur le nez !

A mon côté, Kitège est blafarde, au bord de l’évanouissement. Ce genre d’épopée n’est pas fait pour les jeunes filles finnoises qui ne sont jamais sorties de leurs forêts. Et puis elle continue d’empester l’essence et y a des personnes frêles que cette odeur incommode.

— Ça va aller, mon cœur ? murmuré-je en lui caressant la motte, en camarade, à travers sa jupe.

— C’était terrible ! elle croate.

Puis elle ajoute :

— En fait, c’est vous qui êtes terrible !

— Pas tant que ça, soupiré-je en songeant à ma cargaison disparue.

Après que mon effervescence interne se soit calmée, mon attention est sollicitée par un curieux bip-bip qui retentit au tableau de bord de la Mercedes. Il provient d’un minuscule haut-parleur placé sous le poste de radio. L’objet a le diamètre d’un coquetier et il est pourvu d’un bouton moleté. J’actionne celui-ci. Quand je le tourne à gauche, le bruit-signal diminue. Si je tourne à droite, il s’amplifie jusqu’à devenir insupportable.

— Qu’est-ce ? interroge Kitège.

— Je ne vois pas. Probablement un signal de liaison. Je crois que nous devons être en contact avec le P.C. des Russes. Cet appareil doit leur permettre de repérer notre position.

— Vous ne pouvez pas le fermer ? s’inquiète ma douceur en jupons.

Tiens, c’est vrai, après tout. Dans mon échec, il me reste un fameux lot de consolation : Kitège.

L’amour, quand on est encore jeune et fringant, il semble naturel. Pour des crétins que je sais, il fait figure de sandwich. Mais si tu y réfléchis, quel somptueux don du ciel ! Alors, merde au factotum exubérant ! Et vive Kitège !

Nous avons contourné Cologne et nous nous approchons de la frontière belge. Le signal d’essence clignote à bord de la voiture. Il va falloir faire le plein. Je stoppe à la première station que j’aperçois. Ma compagne me dit qu’elle souhaiterait faire un brin de toilette. Je lui dis de prendre tout son temps. Une fois mon réservoir gavé, je vais me placer sur le parking pour l’attendre. Ce putain de bip-bip me turlupine. Je le rebranche et le retrouve présent, lancinant, patient jusqu’au bout de l’éternité.

J’essaie de piger. Je me dis que ce petit haut-parleur résonne d’un message « reçu », non d’un message « émis ». Le poste capte des ondes, il n’en lance pas. Ah ! si Mathias était là !

Elle revient sans m’avoir trop fait poireauter, ce qui est un bon point pour elle. Le temps que j’aurai passé à attendre des gonzesses ! Et encore, je ne suis pas marié ; mais je connais des époux qui passent des heures dans leur voiture, en double file devant un magasin où leur petite chérie ne devait faire qu’entrer et sortir !

Magie des frangines ! Avec les seuls moyens du bord d’une station d’essence (allemande, il est vrai), elle a trouvé le moyen de se rendre cool et belle. La voilà neuve, fraîche et humant bon. Je lui baisote la nuque et, en route !

Ma dextre désœuvrée erre sous sa robe. Elle n’a toujours pas mis de slip, cette chattounette blonde. Je sens que, nonobstant mes impedimenta (de merde), il faudra bientôt nous arrêter pour remettre le couvert. J’ai envie d’une chouette auberge de la campagne belgium qui sente la cire, l’amidon, les confitures.

Frontière ! Les douaniers nous font signe de passer. On roule. Mes caresses se font de plus en plus pressantes. Et voilà que la digue me biche si fort que je me rabats sur une aire de jeux où des enfants font de la balançoire.

On se place à l’écart. Je fais tourner Kitège dos à sa portière, je place son talon droit sur la plage du tableau de bord, son gauche sur le dossier de la banquette et, satisfait par l’avantage acquis, je me mets à utiliser mon aire de jeux à moi. Agenouillé sous mon volant, je la commence par le cacheteur d’enveloppes, avec fourvoyage de l’annulaire dans l’œil de bronze. Mais oui, madame ! Et je fais enchaîner avec l’entrée du gladiateur, lorsque je sursaute.

N’un instant, me voilà dans la position du coureur de rallye. Je démarre à l’arraché, bombe jusqu’à la prochaine dérivation, passe un pont sur l’autoroute pour aller chercher la voie inverse, et je bridabatture dans le sens d’où je viens.

La pauvre petite rose en bouton, mal remise de mon quimpage de butor, mais ne protestant pas (c’est pas le style des jeunes filles finlandaises), demande néanmoins la raison de mon comportement.

— J’allais commettre une grosse bêtise, lui réponds-je ; je vous expliquerai.

Je grimpe à deux cent vingt, m’y tiens, et au fur de la mesure, le sourire que j’ai accroché à ma face, suivant le bon conseil de Charles Aznavour, ce sourire, dis-je, s’élargit pour devenir une tranche de pastèque (qui aurait les dents noires).

Retour à la station d’essence.

— Attendez-moi dix secondes, je reviens !

— Hé ! monsieur ! C’est les toilettes des dames ! m’interpelle une grosse pompière.

— Et alors ? je lui rétorque en prenant une voix fluette. Chacun chez soi, non ?

Il y a deux compartiments que j’explore rapidement. Rien ! Je sonde le déroulant du lave-mains. Rien !

C’est alors que j’avise un fenestron d’aération. Je me juche sur une lunette de cagoinsse, l’ouvre et insinue mon physique de théâtre au-dehors. Bravo ! Vive moi ! Je ressors du bâtiment pour aller ramasser dans les mauvaises herbes, la ceinture de Kitège. Une ceinture de cuir verni noir, agrémentée d’une énorme boucle d’argent. Celle-ci se dévisse. Dedans, miniaturisé ô combien ! se trouve un appareil émetteur. Je pige dès lors pourquoi il a été aisé « aux autres » de nous retrouver à l’auberge de Luleä, puis à Hambourg ensuite ! Je pouvais toujours le repeindre, le mobile home ! Nos amis russes n’avaient pas grand mal à nous suivre de loin !