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Tout à l’heure, après l’épisode de l’entrepôt, lorsque mon attention s’est braquée sur le bip-bip, Kitège a eu chaud aux plumes et, à la première occasion, s’est débarrassée de son gadget. Ce en quoi elle a eu tort, car j’ai constaté par la suite que le signal s’estompait à mesure que nous nous éloignions de la station, puis qu’il redevenait présent lorsque j’y retournais.

Sacrée Kitège ! Oh ! la jolie petite sainte de vitrail (pour église luthérienne). Et l’Antoine, beau con, qui se la ramenait triomphalement chez les Français pour l’installer dans un délicat entresol Renaissance. Une agente soviétique, placée chez tonton pour veiller au grain de ce côté de la rive et neutraliser le bonhomme en cas de besoin.

Pas si marle que ça, la gerce, puisqu’elle n’a pas su interpréter la signification du bloc de béton dans la barque. A moins qu’elle ait pigé depuis longtemps et qu’elle attendît le bon moment pour jouer sa partition en soliste ? Je vais lui poser la question.

Seulement quand je reviens à la Mercedes, elle ne s’y trouve plus.

— Où est la fille qui voyageait avec moi ? demandé-je au pompiste.

Il retient un sourire moqueur.

— Partie !

— Comment ?

— Quand vous êtes rentré, elle est allée faire du stop de l’autre côté de la route. Et ça a dérouillé sec : une Ferrari, immatriculée Italie. Vous pensez, une fille pareille, ça ne reste pas longtemps en carafe !

Je ravale ma déconvenue et adresse un clin d’œil au gars.

— Baste, elle m’avait déjà accordé le meilleur, faut bien que tout le monde se régale !

Je retrouve ma place au volant et prends le chemin du bercail.

TOUT LE MONDE DESCEND

Le Vésinet. La maison en meulière du général Durdelat. Un homme exténué s’y présente au volant d’une grosse Mercedes à l’immatriculation allemande.

L’homme ressemble à un évadé du bagne de Toulon où on l’aurait envoyé pour avoir volé un pain.

Il sort en titubant de la voiture, décrit une embardée d’homme ivre. Il est hâve, barbu, presque efflanqué. Il a le regard fiévreux. Sa bouche amère est coincée entre les parenthèses de deux rides désabusées.

Il est triste à se vomir, honteux à se déféquer. Cet homme qui fut un grand limier, un auteur fêté, un amant étourdissant, un humoriste inégalé (et puis quoi encore ; non, ça suffit comme ça), cet homme revient de l’enfer. Il arrive chez celui qui l’a chargé d’une mission délicate pour lui avouer son échec, sa faillite. Il vient déclarer que, tout malin qu’il soit et malgré son courage, en fin de compte il l’a eu dans le prose. Et par sa faute. A cause d’une confiance mal placée comme un abcès à l’anus.

Instant douloureux.

Le pavillon qui se dresse devant lui est illuminé à Jean Giono. Les fenêtres sont ouvertes sur la nuit du printemps. L’on entend des détonations de bouchons champenois, des rires, un ronron de conversations qui s’entrecroisent, s’effilochent, se reforment un peu plus loin.

Le malheureux a envie de fuir. Il trouve intolérable cette fête qui accentue son phénoménal ratage. Mais il se contient. Le devoir avant tout !

Alors il gravit le vaste perron et sonne. Un larbin de louage vient lui ouvrir. Une frime de gâteux de grand traiteur. Quand il repart d’ici son service accompli, il a un béret basque, des pinces à son pantalon et le vélo qui va avec. La ganache dont on loue les prestations de maître d’hôtel à l’occasion et qui habite une maison défaite, en compagnie d’une épouse paralysée et de quelques chats malodorants.

— Je veux voir le général Durdelat ! fait l’arrivant.

Le valet de pique regarde le survenant et lui signifie son mépris d’une de ces sourcillades dont il a le secret.

— Le général reçoit, alors il ne reçoit pas ! explique la ganache (mais elle se comprend, ce qui est beau, à son âge).

Alors l’arrivant pousse un cri étrange venu d’ailleurs et déclare :

— Va dire au général que San-Antonio est ici, sinon je t’arrache les couilles avec les dents !

— Je vais m’informer, monsieur ! répond le larbin extra d’un air pincé.

Je me sens tellement saccagé que je me laisse tomber dans un fauteuil du hall, bien qu’il soit Empire et que le style Empire me file la courante depuis l’époque lointaine où je faisais de la figuration de groupe dans les testicules de mon papa.

Et puis un brouhaha :

— Il est là ! Où ? Ici ! Mais oui, c’est bien lui, l’amour ! Le héros ! San-Antonio le Grand ! San-Antonio l’Unique !

Le général, le Vieux, Mathias, des officiers habillés en civils, des civils habillés en militaires me déferlent contre comme si j’étais la pointe du Raz !

On me tire du fauteuil, on m’accolade. Un pédoque sournois (y en a dans les Services secrets) me flatte les bourses dans l’euphorie générale.

— Ecoutez, mon général, balbutié-je, j’ai une chose terrible à vous avouer… Le minerai a disparu cette nuit dans les sous-sols de la police hambourgeoise ! Vous aviez raison, mon idée était sotte !

Un tollé de rires !

Durdelat se claque les cuissots (ou cuisseaux, ou comme tu voudras, on s’en branle).

— Mais, mon vieux lapin, c’est moi, personnellement, accompagné de deux de mes hommes qui suis allé le chercher dans la nuit. Avion, hélico. En quatre heures à peine, nous étions de retour avec le magot ! Je préférais prendre possession de la chose tout de suite, après tous vos avatars. C’était plus sûr. Les Russes, sachant que vous la déteniez, allaient encore tenter n’importe quoi. Qu’est-ce que vous dites de mon astuce ?

L’homme exténué s’ébroue. Un coup d’épaule par-ci, un autre par-là, une bourrade devant lui, il gagne la porte.

Avant de sortir, il se retourne.

— Ce que j’en dis ?

Il paraît réfléchir, choisir ses mots.

— Je dis que vous me faites chier, mon général !

Et puis il disparaît dans la nuit.

FIN