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Je pose ma main sur la sienne, en pleine Laponie finnoise. Elle me regarde, sourit et dégage sa menotte.

— Vous n’avez pas répondu à ma question, lui dis-je ; pourrai-je compter sur votre collaboration, quand je serai à pied d’œuvre ?

Elle hoche la tête.

— Si vous m’aviez posé cette question voici une heure, je vous aurais répondu spontanément par l’affirmative, mais je viens de recevoir un étrange visiteur…

— Je sais, la coupé-je, je me trouvais dans le bar quand il vous a parlé.

Elle méduse :

— Vraiment ?

— Tout ce qu’il y a de vraiment : il vous a demandé pourquoi vous vous êtes rendue à votre consulat, pour savoir de quelle manière il fallait vous y prendre pour contacter les Services secrets français.

Elle opine.

— En ce cas, vous comprenez que ces gens vont me surveiller dorénavant ; ce ne serait pas un service à vous rendre que de vous servir de guide pour la récupération du minerai.

— Très juste, admets-je. Au passage, je salue votre sang-froid. Vous avez eu une façon énergique de prendre congé de lui qui m’a impressionné.

Elle a un léger sourire de femme flattée. Je la trouve vachetement bioutifoule, la mère. Si sa grande échasse n’était pas là, parole, je lui jouerais mon grand air d’« Aladin, ou la langue merveilleuse ».

— Dommage que vous partiez déjà, susurré-je.

— Pourquoi ?

— J’aurais eu tant de plaisir à vous faire visiter Paris.

— Je l’ai fait.

— Dans un bus climatisé, avec une bonne femme moche qui débitait son dépliant dans le micro ! Moi, je vous l’aurais montré à bord d’une 500 SL blanche décapotée. Nous serions allés dans les meilleurs restaurants et je vous aurais également organisé une visite complète de mon studio près des Champs-Elysées. Il a une vue imprenable sur l’Arc de Triomphe et j’y possède un porto de quarante ans d’âge.

Je louche sur ma tocante.

— Vous ne partez que dans quatre heures, nous aurions le temps…

— Départ de l’hôtel dans deux heures, corrige la fille des neiges.

— Plus que suffisant. En une heure quarante c’est fou ce qu’un homme et une femme déterminés peuvent accomplir. Dans ces cas-là, le temps est un adjuvant.

— Que signifie ce mot ?

— J’ai également un dictionnaire, mademoiselle Heinaven ; venez le consulter, ainsi vous aurez la définition précise du mot.

Et tu sais quoi ?

T’as déjà compris ?

Bon !

IL Y A PHOTO À L’ARRIVÉE

J’aime les femmes dociles quand elles le sont avec simplicité. Je hais les bégueules minaudantes, les chochottes du prose, les vertucatins. Karola, c’est un vrai bonheur. Elle baragouine une phrase à la grande échelle qui partage sa piaule, attrape son sac à pogne et me suit.

Je m’empresse de lui ouvrir la portière de mon carrosse immaculé. Elle s’installe. Nouveau flash sur le slip blanc bordé de dentelle noire. Ça stimule.

— Nous sommes à dix minutes de mon studio, promets-je.

Elle acquiesce.

— J’adore Paris.

— C’est la première fois que vous y venez ?

— Oui, mais ce ne sera pas la dernière.

Elle mate la rue de Rivoli, puis la somptueuse Concorde, ensuite, l’avenue impériale qui s’en va, en pente douce, imperceptible, jusqu’à l’Arc.

— Quelle beauté ! Comme celui qui a tracé cela avait le sens des perspectives, de la grâce et de la mesure.

Sa jupe retroussée dévoile deux genoux en comparaison desquels l’avenue des Champs-Elysées n’est qu’un étron de chien en décomposition.

Je trace comme un fol jusqu’à ma crèche de secours, haut lieu de délices où je me rends assez rarement pour davantage l’apprécier. Je n’y conduis que les frangines de gala. Pour les autres, les tout-venantes, c’est l’Hôtel du Phylloxéra et de la Grande Catherine réunis.

La concierge, une aimable Portugaise de quarante-cinq ans, me laisse remiser ma tire dans la courette pavée. Ne suis-je pas « lé moussiou dé la policia » ? Je l’en remercie d’un bifton ou d’une caresse sur les meules, selon que son époux est présent ou pas.

Ascenseur. Sixième laitage. Au fond du couloir, la porte ripolinée en vert bouteille. Ma crèche ? Une merveille ! La lourde franchie, ça forme une minuscule entrée pour le vestiaire, le porte-parapluie et une œuvre de Mathieu. Le tout tendu de tissu bleu drapeau. Il y a trois marches basses qui livrent accès à l’unique pièce revêtue du même tissu. Un large galon rouge et blanc court au ras du plaftard. Ça donne un côté 14 Juillet à mon baisodrome. Pour corriger cet aspect Révolution française, un lit à baldaquin trône contre le pan de mur le plus large, flanqué de deux tables de nuit Renaissance vénitienne absolument mourantes. Deux fauteuils, une table basse en marbre, et voilà tout le mobilier. Sur les murs, carrément, des estampes japonaises délicatement encadrées. J’oubliais : un coffre en cuir noir contient du porto et des verres. Je le glisse sous le plumard, c’est pour cela que j’allais omettre de le mentionner. Une petite porte capitonnée du même tissu que le reste donne sur l’exquise salle de bains conçue pour la remise en état de la chattoune et du pafoski, chiffonnés par les ébats amoureux. Une baie vitrée permet, comme promis, une vue émouvante sur l’Arc de Triomphe et, les nuits de fêtes nationales, quand l’immense drapeau tricolore flotte dans la lumière savante des projecteurs, les dames s’humectent avant même que j’aie porté la langue sur elles.

— En effet, c’est ravissant ! s’exclame Karola. Vous avez raison : il eût été dommage que je quittasse Paris sans voir cela.

— Je savais que cela vous plairait, dis-je en la prenant par les épaules.

Dieu que ses yeux sont beaux ! Gris-bleuté, avec, je crois te l’avoir précisé y a pas si naguère, un menu serti noir !

Sa peau te donne envie de mordre dedans. Sa bouche… Oh ! sa bouche ! Inutile que je t’en parle. Les mots pour exprimer une telle merveille sont trahisseurs, vains et flous. Approximatifs. Et puis t’as pas la capacité pour entrevoir. Trop cartésien, mon pauvre vieux. Ça a du bon, mais question poésie t’es pas opérationnel. Appeler un chat un chat, quelle misère ! Moi, un chat, je l’appelle une chatte, comprends-tu-t-il ? J’appelle ça un frifri, une cramouille, une craquette, une chagatte, une foufoune, une moule, une connette, et autres, et autres, et encore autres ! Qu’on serait encore là demain si je te les énumérais complètement.

Cette bouche de la Finnoise ! Tu vois, rien qu’avec elle, j’assure mon week-end. Quel dommage de la calter en accéléré. Faire l’amour à une fille pareille, c’est pis qu’entrer dans les ordres. Faut du temps avant que tu sois ordonné. Moi, Karola, j’aimerais me consacrer à sa jouissance. Je deviendrais mieux que son amant : son moniteur, son chapelain, son homme de joie, son mec !

M’enfin, faut pas gaspiller en regret le temps imparti. Alors, doucettement : la pelle de velours, lente et sûre. Pour débuter, effleurement de ses lèvres avec les miennes. Puis léger mordillement de l’inférieure. Après quoi, la menteuse se met de la partie. Sans pénétrer, travail en surface, juste de la pointe. Tu la sens qui cambre ? Non, bouscule rien, t’as la gagne en main ! Ton bout de languette faufile et bute contre les ratiches. Tu crois que c’est inerte, les chailles ? Et les gencives, hein, Ducon ? Les gencives, elles le sont, inertes ?

Tout vit dans l’humain, tout frémit, tout s’exalte ; l’homme est facilement mort, mais quand il est en vie, il confine au chef-d’œuvre ; physiquement, j’entends, parce que moralement, hein ? Tu connais l’oiseau ? Basse raclure fumardière, déjection ravalée ! Ignominie à peine feutrée ! Salaud à part entière ! Misérable de haut en bas, plein de cloques et de purulences. Le pire de tout, tu veux le savoir ? Menteur ! Indiciblement ! Menteur par vanité, menteur par cupidité, menteur par vocation. A croire que son pire ennemi, l’homme, c’est la vérité sous toutes ses formes.