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— J’doive dire…

— Merci ! Merci de l’avoir compris. Ainsi est né ce rêve insensé, Berthy jolie.

— C’est émotionnant, fait-elle ; vous allez m’faire chialer des yeux, Antoine. Mais si vous voudriez qu’on partasse, pourquoi insister pour que nous emmenassions Alexandre-Benoît et le moutard qui n’feront qu’nous faire chier, alors qu’on serait si tellement bien à deux pour viv’ notre passion ?

J’ai saisi sa dextre large et dure comme un tourteau.

— Je suis un homme compliqué, Berthe. J’ai besoin de vous avoir dans votre élément quotidien ; il accroîtra mon désir en le compliquant.

— Vous êtes perversiteux, a roucoulé la grosse vachasse ; c’ qu’est point fait pour m’déplaire, voiliez-vous. L’enculage à sec, ça a son charme, mais la vaseline aussi. Si j’ai un faible pour Alfred, c’est qu’il balise bien avant d’vous attaquer au sabre. Comme disait son père : « Une barbe bien savonnée est plus qu’à moitié faite. » En amour, c’est pareil : « Une chatte bien agacée, c’est l’panard assuré. »

Elle m’a contemplé de ses boules de pétanque inexpressives. Sa monstrueuse langue humectait ses monstrueuses lèvres. Par la pensée, elle se goinfrait de moi à l’avance. Je lui ai coulé une œillade assassine, histoire de forcer son adhésion.

— Et on voiliagerait comment t’est-ce, Antoine ? J’ai pas très bien comprise.

— Dans une caravane au confort prodigieux. Deux chambres, un living, une kitchenette, une salle d’eau. Une télé-vidéo qui nous permettrait de projeter des films, les soirs de solitude dans la Laponie inhabitée. Ah ! Berthe ! Berthe, mon cher cœur ! Je vous imagine sur les rives des lacs couleur d’aigues-marines et bordés de sombres forêts ; vous imagine, préparant sur un feu de bois le poisson que nous aurons pêché. Je confectionnerai des cerfs-volants à l’adorable Apollon-Jules, des petits bateaux à aubes animés par un gros élastique, des huttes de branchages dans lesquelles nous nous retrouverons la nuit venue, pendant que le Gros ronflera dans la caravane. Berthe ! L’heure de l’extase au soleil de minuit ! J’imagine vos superbes seins dans ce demi-jour propice aux étreintes ! Votre moulasse foisonnante dans ce faux crépuscule. Vos cuisses de déesse grecque. Rien que d’y penser, j’ai envie de crier, Berthe ! O mon aimée, ne refusez pas une telle occasion, elle risque de ne jamais plus se représenter ! Vivons, si m’en croyez. N’attendons pas demain, cueillons dès aujourd’hui les roses de mon vit.

Alors elle clôt ses paupières taillées dans un vieux portefeuille usagé Hermès, en croco véritable, et déclame :

— J’sus t’à toi, voyou ! J’sus toute z’à toi.

Je sens que mes lendemains seront difficiles.

Nous partîmes dix jours plus tard.

LE STOPPEUR

Les « Services » avaient magnifiquement fait les choses et le mobile home qu’ils mirent à notre disposition en jetait pis que la roulotte d’Achille Zavatta. A dire vrai, il ne s’agissait pas d’une caravane attelée, mais d’un véhicule compact, comportant un « poste de pilotage » à trois places séparé des « appartements » par une cloison de verre dépoli. Au-dessus de la cabine du chauffeur se trouvait un compartiment pourvu d’un lit qui tenait de la niche du chien et du rayon du haut d’un immense bahut bourguignon. Fallait pas craindre de se cigogner le plaftard pour roupiller dans ce volume de quatre-vingts centimètres de hauteur.

Mes tendances à la claustrophobie me faisaient regimber à l’utiliser, mais n’étais-je pas le célibataire du voyage ? Il me revenait de dormir en ce casier funèbre, comme en un cercueil. Il me faudrait prendre de fortes doses de somnifère au début. Je comptais sur l’implacable force de l’habitude pour m’accoutumer à cette couche, en comparaison de laquelle les fameux « compartiments » de l’institut médico-légal ressemblaient à une chambre du Plaza Athénée.

Au bas de ladite se trouvait la chambrette d’amour destinée aux Bérurier. Coquette, drapée de tissu, elle comportait un lit sous lequel étaient aménagés des coffres de rangement, un placard, une banquette rabattable et un chromo montrant la Promenade des Anglais à l’époque de la reine Victoria. Entre la chambre en question et le « living », la salle de bains réduite à sa plus simple expression : cuvette de gogues, lavabo, minuscule douche, trop exiguë pour pouvoir héberger Béru ou sa Baleine. Le living se composait de trois banquettes en « U », au centre duquel une table télescopique pouvait tour à tour être utilisée pour les repas ou pour le drink de l’apéro.

Ce qui intéressa fortement Sa Majesté, c’est que sous la banquette la plus longue l’on avait logé un réfrigérateur abondamment garni de bouteilles variées : whisky, vin (blanc, rouge et rosé), Cointreau, pastis. Des larmes de bonheur perlèrent aux cils emboulés du Gravos.

Je passai dix heures dans ce véhicule en compagnie de Mathias, afin de « l’équiper » sérieusement. C’était un homme de bon conseil et de grand savoir, dont l’ingéniosité confinait au génie. Après notre étude, il s’activa la nuit entière avec ses bougres pour loger dans la caravane les choses de première (et aussi dernière) nécessité. Nous disposions alors d’un engin ultra-performant, capable de nous sortir de situations fâcheuses. Astucieux, le général Durdelat l’avait fait immatriculer dans le département du Doubs, endroit paisible de la belle France, peu propice aux magouilles de Services plus ou moins occultes. Des plaques parisiennes eussent éventuellement attiré l’attention.

Pour la première fois de ma vie, je m’étais laissé pousser la barbe. En dix jours, elle était loin de ressembler à celle du cher Alain Bombard, mais elle commençait pourtant à me donner l’air de quelque artiste sans renom qui compte plus sur son propre système pileux que sur celui de son pinceau pour conquérir la gloire.

Je portais un jean usagé, des baskets, un tee-shirt blanc où il y avait écrit « I love your cat » et un blouson de cuir défraîchi. J’étais muni d’un attirail de peinture dont je comptais me servir à l’occasion, ayant toujours montré des dispositions pour cet art sans parvenir à les concrétiser.

Nous quittâmes la capitale par l’autoroute du Nord. Je conduisais. Berthe avait exigé d’occuper la cabine de pilotage avec son fils, lequel me faisait chier dès les périphériques parce qu’il voulait tenir le volant. Bérurier avait admis de voyager dans la partie salon à cause des flacons mentionnés plus haut.

Il portait une chemise kaki à épaulettes, un short de coutil beige, des chaussettes montantes et des souliers de ville à lacets. Quant à Berthe, elle m’impressionnait avec son training rouge sur le devant duquel s’inscrivait, dans un carré blanc, la fameuse feuille d’érable emblème du Canada.

Elle s’est fait teindre en roux ardent (attention les yeux !) et, en l’apercevant, ton premier réflexe est de sauter sur un extincteur. Impressionnée probablement par le look de Mme Yvette Horner, elle arbore un maquillage blanc Pierrot, au centre de quoi des lèvres orangées, larges et copieusement laquées, ont l’air d’un énorme coquelicot. Ses paupières vertes ajoutent à la grâce du portrait, de même que ses boucles d’oreilles exquises représentant un petit ramoneur (savoyard, probablement) en train d’escalader une échelle longue de vingt-cinq centimètres. Quand on les examine d’un peu près, on constate que cet enfant de la suie a sorti son sexe de son bénouze maculé, probablement pour prouver qu’il appartient bien à la race blanche. Sa mignonne queue rose est hardiment dressée, ce qui ne doit pas faciliter son ascension à l’intérieur des cheminées.

Sur les flancs de notre bus-caravane, nous avons écrit, à l’aide d’une bombe à graffitis, dont les vendeurs sont en rupture de stock, tant il y a de par nos villes des hommes jeunes désireux de s’exprimer ; nous avons écrit, reprends-je : « Pontarlier-Cap Nord ». De nos jours, les touristes éprouvent le besoin de magnifier leurs exploits et, sitôt qu’ils franchissent les frontières de l’Hexagone, se considèrent comme des aventuriers téméraires, prêts à ridiculiser Magellan ou Vasco de Gama.