Выбрать главу

Égalité pour crever en même temps que nous, vous qui nous survivez si bien ? Égalité pour devoir baiser sous condition d’érection, vous qui n’avez qu’à ouvrir les jambes et à bramer « ah ! qu’c’est bon » ? Égalité pour devenir chauve, vous qu’on enterre avec des tignasses de horse-guard ? L’égalité pour marcher au pas, dans les défilés militaires, vous qui semblez si connes quand la chose vous arrive, avec vos doudounes ballottantes sous l’uniforme ! Ah, sang Dieu de connes, qu’est-ce qui vous passe par la tête ou ailleurs, mes drôlesses ? Vous, pour qui on s’entre-tue, vous, pour qui on se ruine ? J’en ai vu, en train de Pivoter avec moi, si combien dérisoires dans leurs rebellions de salon ! Piétreté d’arguments, vue presbyte de l’esprit. Gamines ! Tiens, suce, ça te fermera le clappoir à débloquer !

Et poum, patatraque, la Sonia s’en va, cliclaquant des talons sur le sol de marbre, tortillant son exquis prose, emportant son parfum, ses effluves, toute l’exquiserie de sa présence. Un baiser à chacun. Elle touche le nœud de Mathias, par sympathie, histoire de lui accorder un petit régime préférentiel, de me rendre jalmince. Mais moi, tu peux aller la faire foutre ! Mon obsédance, c’est Mado Moulfol, et point à la ligne.

J’y vais.

J’y suis : face à mon Rouquemoute télescopé par ma souris. On est à la ligne tous les deux, les yeux dans les yeux. Et on y est bien, ça détend. On ne va jamais assez à la ligne. J’écris trop massif à présent, trop compact. J’abondante. Dans mes débuts, j’avais le sens de la petite phrase courte : Il poussa la porte et entra ; et hop, à la ligne, pas d’histoire ! Les pages de mes polars d’alors ressemblent à des bandonéons étirés. Maintenant, je suis un vrai pro, un vrai Proust ; je peux me permettre d’affronter les longs paragraphes à changements variables. Des demi-pages sans points, parole. Je pagaie à la virgule. La maîtrise, quoi, n’ayons pas peur. Le langage, c’est un cheval sauvage. Au début, quand tu l’entreprends, tu te crois à un rodéo. Et puis tu le domptes et te voilà écrivain de jumpinge : bombe noire, culotte blanche, veste de velours, à te rire des obstacles, enlevant ta monture du genou et du poignet : saute, Ernest, saute ! Faut que ça saute ! Et ça saute ! Tu te paies des sans fautes, qu’à peine t’écornes une haie, parfois, en inadvertance. Et bon, tu continues, continues, ta langue devient haridelle dodelinante. Cheval de corbillard. Moi j’insurge. Me laisserai pas avoir. Mon manège à moi, c’est moi ! Je continuerai de me tourner autour.

— Il me semble que j’avais quelque chose d’urgent à te dire, Mathias, je murmure en le regardant jouer avec sa loupe coïtale.

— Ne cherchez pas, ça va vous revenir, il rigole, l’apôtre.

— Oui, probable. J’ai la tronche ailleurs aujourd’hui : j’oublie Pinaud dans tous les coins et maintenant, avec toi… Bon, arrive, je suis avec un citoyen que je voudrais te confier.

— Pour quoi faire ?

— Un ou deux portraits-robots. N’est-ce point là l’une de tes spécialités ?

La Rouillasse soupire, avec un peu de détresse dans l’exhalaison :

— Tout de suite, commissaire ?

— Et même avant, si tu le peux.

Je vais quérir Riri. Il dort à point nommé et à poings fermés, comme les boxeurs.

Je ne le réveille pas tout de suite. Un mec qui en écrase est révélé à celui qui le contemple. Sans défense, il s’offre à l’examen. Alors je l’examine. Et une chose me frappe : quand il pionce, il n’a pas l’air con du tout. Cette physionomie bêtasse qu’il arbore généralement a disparu. Frappant. Il me semble découvrir un nouveau personnage.

M’étant repu de lui, je lui tapote l’épaule. Il rallume ses fanaux, se redresse.

— Hein ?

— Viens avec moi, l’artiste.

Présentations rapides. J’explique.

— Riri, sais-tu ce qu’est un portrait-robot ?

— Comme dans les journaux ?

— Voilà. M. Mathias ici présent est un orfèvre en la matière. Tu vas lui raconter les deux types qui t’ont acheté les documents. Procède par ordre, posément. Commence par celui qui t’a le plus frappé, dont tu te souviens le mieux. Explique bien tout, en détail. Je peux compter sur toi ?

Il dit qu’oui.

Je les laisse. J’ai les cannes en plomb. Un coup de roupille ne me ferait pas de mal. Pendant que mes deux lascars opèrent, je vais pouvoir m’offrir une ronflette.

Et me voici allongé sur le canapé de mon bureau. Le sommeil tarde parce que j’ai la tronche trop basse. Je me mets à phosphorer dans le noir, ce qui illumine positivement la pièce.

Je me dis : « C’est une histoire apparemment compliquée, mais qui doit être très simple. »

D’où me vient cette certitude ?

Je passe en revue les personnages, ceux que j’ai rencontrés et ceux dont je ne sais pas grand-chose : le pauvre d’Alacont sur son lit de misère, les Mouillechagatte un peu tordus, tout feu tout flamme et grandes gueules, Marie Tournelle dans son hospice kafkaïen, et qui fut, jadis, la déniaiseuse du comte de Bruyère. Son fils, le Riri plus ou moins pincecorné, qui reconnaît s’être approprié les fameux documents chinois et les avoir vendus. L’épouse morte mystérieusement en Grèce peu de temps après son mari. Une actrice anglaise excentrique, vigoureusement haïe par les larbins du comte. Et puis, Léon de Hurlevon qui déniche des parchemins dans une potiche vénérable et qui se tue à moto le jour où est tué le comte, sur la route conduisant à son domaine. Et encore ces gens soudoyant le domestique…

Qu’est-ce qu’elle manigancerait avec tous ces produits de la ferme, la mère Christie ? Elle le reconstituerait comment, le puzzle ? Manque-t-il encore des pièces ? Ou bien me suis-je embarqué dans une affaire toute solutionnée ? Mon pif ! Il a bon dos, si je puis dire. Mes impressions aussi. Maigret ! Tu parles : maigrelet, ouichtre ! Le neveu est le coupable idéal : voyou, acculé, visite inopinée à son tonton qu’il ne voyait jamais, va se balader dans la forêt où le comte baise et chevauche, l’aperçoit mort, tué avec son propre pistolet ! Yayaille, résumé aussi abruptement, tu ne mets pas un fif sur le numéro de son dossard à Gaspard. L’infortune de Gaspard ! Et comment qu’il est le coupable rêvé, désigné. Qu’ils ont bien fait de l’embastiller et condamner, je gage. Et moi, grosse glande, parce que Mayençon Clovis a fait des photos de sous-bois, je prétends annuler ce qui précède, tout recomposer autrement.

Le torticolis me prenant, je cherche quelque chose à me filer sous la nuque. Ne trouve rien de mieux que l’annuaire du téléphone. Un peu duret, mais quoi, les Japs dorment avec une bûche de bois en guise d’oreiller, à ce qu’on m’a dit. Tu m’objecteras que ces cons-là ont les cervicales blindées et le trou du cul plus grand que les yeux, certes, mais enfin ils savent ce que c’est qu’un traversin, alors s’ils ont choisi la bûche, c’est qu’il y a tout de même une raison, non ?

Du moins c’est ce que je pense ; toi, tu fais comme tu veux, hein ? J’oblige personne.