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— Ignorez-vous que je suis sa cousine germaine ?

Je prends trois secondes de réflexion, j’en mets deux de côté pour plus tard, et puis je viens m’asseoir sur l’accoudoir de Jasmine.

— Vous savez qu’on entre de plain-pied dans le passionnant, très chère ?

— Pourquoi ?

— Je vais vous dire : parce que ! Mille fois parce que ! Je trouve enfin le lien ! Le nœud georgien, comme se complaît à dire l’un de mes éminents collaborateurs qui est à la langue française ce que le président Carter est à la connerie franche et massive.

— Qu’y a-t-il de si extraordinaire dans le fait que je sois apparentée à d’Alacont ?

— Le fait que vous soyez apparentée à part entière à d’Alacont, précisément, réponds-je sans : tergiverser, barguigner, hésitation, louvoyer, finasser, prendre de gants, broncher, sourciller. Oh, madame d’Alacont, m’est-il permis de vous appeler Jasmine, à l’occasion de cette grande nouvelle ?

— Mais… pourquoi pas ? répond-elle, surprise — et qui sait ? — charmée.

Je pose ma main du milieu (car je me tiens de profil) sur son épaule.

— Merci, Jasmine. Je sens que nous brûlons. Et brûler auprès de vous, c’est se carboniser. Montrez vos yeux ! Dieu ! qu’ils sont profonds ! Et vos dents ? Dieu, qu’elles sont étincelantes ! Quant à vos lèvres… Vous permettez ? Irrésistibles ! Savoureuses ! Et si douces… Encore ! Si j’étais riche, je ne ferais que ça ! Enfin, presque que ça ! Jasmine, mon cœur, parlez-moi : vous entreteniez de bonnes relations avec Gaspard, n’est-ce pas ?

— Certes, nous l’aimions bien. Malgré qu’il menât une vie quelque peu dissolue et fût en marge de la famille, nous continuions de le fréquenter.

— Bravo. Alors, dites-moi, exquise Jasmine, fais-je à la Veuve Soyeuse, ne serait-ce pas Gaspard qui aurait conseillé à votre Léo de faire traduire son manuscrit par le comte de Bruyère-Empot ?

— Naturellement !

— Chérie ! ne puis-je m’empêcher. Oh ! semeuse de joie, dispensatrice d’allégresse, récompense réservée au dernier chevalier de la police française. Quelle géniale intuition m’a donc guidé jusqu’ici ?

Tout en récitant, je ponctue de baisers fous distribués ici et là, et aussi ailleurs, mais ne le répète pas, car une veuve tient à sa respectabilité plus encore qu’une femme adultère.

Elle objecte :

— Commissaire ! Non, commissaire ! Je n’ai jamais plus eu le moindre rapport avec un homme depuis la mort de Léo.

Et comme j’ai un tendre sourire, elle méprend et exclame :

— Vous ne me croyez pas ? Je vous le jure sur sa mémoire.

Qu’alors là, pardon, excuse, parlons d’autre chose. Une jurade pareille vaut celle de Saint-Emilion. Plusieurs années qu’elle a plus brossé, Jasmine. Quel dommage ! Ces coups perdus ! J’en éprouve un frisson de regrets éternels au ventre. Comme si c’était un hommage au défunt que de lui être fidèle par-delà la tombe. Que merde, moi je serais marida et j’aurais l’idée saugrenue de rendre ma femme veuve, je l’implorerais depuis les paradis de se faire enfiler à la santé de ma vie éternelle. Les toiles d’araignée, c’est pas un hommage. Remarque, je dis ça parce que je suis célibataire endurci jusqu’au fond du calbute. P’t’être que si j’avais une gerce je verrais autrement. Mais je crois pas. Le temps de vivre nous est si chichement mesuré qu’il ne faut pas le foutre sur les voies de garage du chagrin.

Et donc elle effarouche de mes baisers, Jasminette. Ils la prennent de court. La nuit exquise qui nous grise, elle pouvait pas la prévoir. Je lui tombe dessus à l’improvisation, comme dit mon cher Béru, l’haltérophile de fer.

— Ma Jasmine, dis-je, une rubrique est à développer dans cette affaire, c’est celle du document chinois. Est-il exact que Léo l’ait trouvé parce qu’il avait brisé la potiche ?

— C’est exact.

— Et ce parchemin l’intriguait ?

— Beaucoup ; il faut dire que mon mari possédait, professionnellement, un esprit curieux. Il a montré sa trouvaille à des Chinois qui furent infoutus de la lui traduire. Un soir qu’il racontait son aventure à Gaspard, ce dernier lui a conseillé d’aller chez son oncle, en Sologne.

— Et alors ?

— Léo a pris rendez-vous et s’y est rendu en effet. Le vieux gentilhomme s’est montré très intéressé et a promis son concours. Un peu de temps a passé. Un jour, M. de Bruyère a téléphoné pour prévenir mon époux que des gens avaient pris contact avec lui, qui lui offraient le pactole en échange du document.

— Intéressant.

— Léo, pour le coup, a été franchement passionné par l’aventure et a pressé le comte d’achever sa traduction. M. de Bruyère-Empot a promis…

C’est elle qui, à présent, entreprend de me caresser. Et moi, rendu mufle par la curiosité, j’écarte sa main de mon chapiteau Jean Richard-Bouglione.

— Et ensuite, ma somptueuse amie ? Et ensuite, dites-moi vite tout et je vous ferai lentement tout, promis, juré. Débarrassons-nous du terre à terre avant de passer au ciel à ciel.

— Mon Léo était une nature impétueuse. A compter de ce jour, il s’est mis à harceler le comte. Mais, curieusement, le comte se faisait réticent, évasif, alléguait la difficulté du travail, demandait des délais. Cela irritait Léo, l’agacait prodigieusement. Il a fini par se fâcher et par annoncer à M. de Bruyère-Empot qu’il irait récupérer le document, que la traduction en soit ou non achevée. Le bonhomme lui a demandé un dernier délai parce que, prétendait-il, il avait soumis le parchemin à un confrère pour obtenir sa collaboration. Rage de Léo ! Une vraie tempête…

Sa main est revenue se jucher sur mon perchoir à chattes. Et la bébête fait comme cet abbé con qui gravissait la tour Eiffel.

Je vais plus pouvoir résister longtemps. Faut que je place mon ultime question :

— Et ce dimanche 4 avril 76, il se rendait à Empot, n’est-ce pas ?

Avant qu’elle ait le temps de rétorquer, il se passe une nouvelle chose étonnante, voire détonante chez cette veuve inconsolable. Une seconde apparition. Plus menue que la précédente, mais plus bruyante aussi. Une gonzesse très brune, aux cheveux coupés très court, vêtue uniquement d’une grande serviette de bain.

— Mais nom de Dieu ; Jaja, qu’est-ce que tu fous, ce soir, au lieu de venir te coucher ?

Elle se tait en constatant ma présence. Se surdimensionne en découvrant notre posture.

— Quoi ! fulmine-t-elle. Avec un homme ! C’est pas vrai ! Je rêve ! Alors Madame la Salope est retombée dans ses aberrations ! Madame la Foutue Garce veut de nouveau tâter du mec ! Madame la Peau d’Hareng était en manque de toutou ! On aura tout vu ! File au lit, Vache-à-taureau ! Tout de suite, sinon je flanque mes complets et mon gode dans ma valise et je me tire pour toujours !

Je pige maintenant pourquoi la belle Jasmine n’a plus contacté un julot depuis son veuvage. Elle avait des compensations ! Et quelles ! Il est chouettos, son brancard.

— Ne la grondez pas trop, plaidé-je. Je ne suis qu’un policier sur le sentier de la guerre.

Elle écume, Poupette :

— Un policier, avec un braque pareil !

— La matraque fait partie de notre panoplie professionnelle. Rassurez-vous, je vous lèche, pardon : je vous laisse. Jasmine, ma gosse, vous n’avez pas répondu à ma question : le dimanche 4 avril, Léo se rendait bien chez le comte de Bruyère-Empot, n’est-ce pas ?

— Non, me dit-elle à travers ses belles larmes mordorées, il en revenait !

ÉQUIPE DE NUIT

Une torpeur gluante plane sur l’agence.

Je trouve Riri endormi sur le canapé de l’entrée. Le labo est vide. Je passe dans mon burlingue. Deux photos montées s’étalent sur mon sous-main, fraîches comme du poisson sur le pont d’un chalutier.