Un cercueil de sapin, pour finir, tu sais que c’est pas plus mal qu’un autre ? Que ça fait sobre ? Qu’on y est à l’aise mieux que dans du chêne ? Moi, d’ailleurs, c’est mon avis. Je préfère le sapin, c’est un bois familier, chaud. Un bois de montagne, un bois contre le froid. J’ai la montagne dans le sang, mézigue. Elle est tellement réfugiante et consoleuse de bien des choses. Variée. La mer, je t’en fais cadeau. Trop conne. A moins d’avoir à se bigorner contre, façon Tabarly. La preuve : tu fais une traversée à bord du paquebot, au bout de deux heures tu ne la regardes plus avant la fin du voyage. La montagne, tu te lasses pas. T’as besoin de l’escalader, voir ce qu’il y a derrière.
Les Alpes, c’est chouette. J’aurais la fortune du Shah, je les achèterais. Iranien qui ira le dernier !
Et puis, bon, j’arrête là.
— Salut, Riri. Heureux de t’avoir connu.
Je lui prends congé d’une poignée de mains.
Dehors, le jour.
Des coqs égosillent dans les alentours. Un vent frisquet brasse les feuillages.
Je frissonne.
Marche vers l’escadrin menant à la chambre de Mado Moulfol.
Les marches de bois craquent sous mes pieds conquérants. Je gratte à la porte-fenêtre.
DÉMÊLER LE FAUX DE L’IVRESSE
Chère Mado !
Dans sa limouille de noye, elle accède au sublime. La pure merveille. Tu croirais une statue de beurre. Lothe changée en saindoux. Sa frite est piquetée de points noirs très vigoureux pour leur âge. Tu souhaiterais les lui enlever à la gouge. C’est un outil qui m’a toujours fasciné, la gouge. Dans mes jadis, quand j’étais chiare, j’allais regarder œuvrer mon tonton Gustave, lequel, à l’époque, faisait dans la gravure pour un imprimeur sur étoffes. Il découpait des motifs dans d’épaisses tranches de bois qui ressemblaient à des gâteaux. Il se servait d’un maillet et d’une flopée de gouges de tailles variées. C’était passionnant. Je ramassais les copeaux de bois rouge. On voyait naître des fleurs, surtout des fleurs, avec leurs feuilles, tiges, corolles et pétaux. De toute beauté. Le bois, quel ami de l’homme !
Mado me considère sans rien marquer de ses sentiments pour l’idéale raison qu’elle n’en a pas.
— Navré de vous importuner, madame Moulfol, bredouillé-je, tout clappeux d’amour et de frivolance. J’ai besoin d’un petit renseignement.
Je la repousse doucettement.
Sa chambre ressemble à ce qu’elle doit être : conne à se pisser parmi, mobilier à la con, tapisserie hyperconne. Un rêve. L’écrin de rêve pour cette femme de rêve.
Le temps de considérer cet ensemble cacateux et vite je referme les volets, les rideaux, avide de pénombres voluptueuses.
La chambre est riche en effluves de tanière. Avec en suce, des élans olfactifs de ménagerie délaissée.
Une lampe de chevet à abat-jour jaune m’attire vers la couche, comme un phare bienveillant attire un navigateur vers l’entrée du port.
— Mado, ma chérie, mon idole, fais-je en l’étreignant en toute faroucheté, baisant ses lèvres molles, pétrissant son cul fluide, reniflant son parfum de femme croupie. Mado, ma folie, ma virgule, louche mobilisation de mes sens déréglés, je te veux une fois encore, mais vraiment, mais bellement, mais à l’aise.
Et tout en prononçant, je me dévêts à la diable — oh, celui là, il n’est pas de trop ! Mes fringues éparsées recouvrent l’hideux tapis merdiquement chinois, lui apportant une heureuse diversion.
Me voici nu.
Elle me dévisage Popof, si j’ose employer. Lui découvrant belle allure. Dans la bagnole, hier, elle n’a pu que s’en faire une idée générale.
Moi, hardant, je lui pose sa nuiteuse chemise. Hop, hop-là.
— Vous vouliez me demander quoi t’est-ce ? s’informe l’objet inanimé, mais sans âme, de mes désirs.
Ah, oui, c’est juste.
Je vais récupérer dans l’une de mes vagues les deux portraits-robots nés du mariage : Mathias-Riri.
Les lui montre.
— Ces deux hommes sont-ils venus déjeuner ou dîner à l’auberge ces temps derniers ?
Elle hoche la tête.
— Jean Marais est venu, il y a trois ans, avec sa fiancée qui rentrait du service militaire, mais on n’a jamais eu De Funeste. C’est dommage, qu’on lui aurait fait signer le livre d’or. Jean Marais nous a donné un orthographe très gentil, comme quoi il avait adoré le tournedos et le nègre en chemise. Et sur la page d’à côté on a un orthographe de M. Le Canuet.
— Ça n’est pas grave, dis-je, vous pourrez toujours coller par-dessus la photo de Jean Marais qui, lui, est un grand comédien. Ainsi ces deux portraits ne vous rappellent personne d’autre que les deux merveilleux comédiens que nous venons d’évoquer ?
— Ils devraient ?
— Je ne sais pas. Je vous pose la question.
— Non, non, personne.
— Fort bien. Maintenant oublions un instant la vie et ses misères, ma très belle, ma surdivine, mon emblême, mon état d’âme, toi dont le regard me met en état d’érection. O que te voici belle en cette nudité équestre, chère chérie. O que l’existence parcimonieuse sait parfois se montrer prodigue. Je te jouis du regard, ma splendeur. Viens t’abîmer au creux du néant le plus suave, ma fée Mélusine, ma fée Cellulite, ma conquête qui quête quiquette.
Et là-dessus, tel un ouragan sur la malheureuse Jamaïque si propice, je la renverse, l’empare, l’emporte, l’investit, la baise comme une vache. Gloire ! Gloire ! Elle réagit. Ce n’est pas une amante motorisée. Elle ne se révèle que dans un lit, et dans le sien de préférence, sur son terrain familier.
Oui, le miracle des miracles s’accomplit : Mado Moulfol prend son panard. Et, Seigneur, ce qu’elle est belle dans l’orgasme, mon étoile de margarine. Elle fait « afflou, afflou, afflou » comme les chaudières d’un steamer submergées par l’océan naufrageur. Elle tourne la tête brusquement à gauche, puis brusquement à droite, et vice versa, bis repetita placent. Elle va même, tiens-toi bien, et tiens-moi aussi par la même occasion, jusqu’à dodeliner le fion, tu m’entends ? Oui, mon grand : elle s’est rendu compte, cette fille bourrée de zob et de jugeote, qu’un mouvement complémentaire de son chef donnerait au mien sa pleine signification. Alors elle, tu sais quoi ? Remue. Je répète en deux mots : re-mue. C’est un résultat, non ? Tu verrais le Sana, défatigué, soudain, impeccable de brio, la tringlerie chevaleresque, Fontenoy, Austerlitz (et non pas austère Liszt, comme d’aucuns s’imaginent). La marche triomphale. Gloire immortelle de nos aïeux !
Je pourrais loncher jusqu’à la fin des temps. Je passe outre son fade. Continue imperturbablement ma limance. Ma vie ne sera jamais assez longue pour me porter à l’assouvissement complet. Elle s’apprête à remettre ça. Remet. Bravo ! Et de deux. Tu penses que ça va freiner ma fantasia ? Que nenni ! On continue. La valse du sommier. Epéda multispires, qu’est-ce qu’on risque ? Non seulement tu peux rêver à Tarzan sans faire chier ton vieux, mais tu peux brosser carrément avec Tarzan sans importuner le cocu endormi. Merci Epéda, le nobel du matelas, tu mérites ! M. Epéda à l’Institut, j’exige, et tout de suite, merde ! Quand tu ligotes la liste des kroums qui s’y trouvent, tu es en droit de demander l’élection d’urgence de M. Epéda, bienfaiteur de l’humanité. Tu parles d’une épée, Epéda, d’un espédassin ! La bouillave, il doit s’y connaître, ce gus, pour avoir inventé un truc pareil ! Multispires, fallait y penser, non ? Que tous les autres, jusque z’alors cantonnaient dans l’unispire. Mais non, Epéda, lui, multi, allez, hop ! Et que ça baise ! Je l’aime. Je lui rends grâce en tronchant la Mado Moulfol. En avançant en enfilade, je pense très fort à M. Epéda. J’ignore son prénom, et c’est dommage, sinon je l’aurais tutoyé. Et je te calce, je te cake. Le troisième feet se produit. Cette fois, elle l’a marqué d’un beau long cri, Mado. Elle a lancé un chant de triomphe, kif le mecton qui a planté son drapeau au sommet de l’Anapurna. Et l’Antonio continue. Impossible de l’arrêter. Je ne songe même pas à ma propre apothéose. J’en ai rien à branler. La lime. Tatsoin tatsoin, uniquement. Je foutrais le feu par frottement au frifri de Mado. Le mouvement perpétuel enfin découvert. Le prose à bascule. Jamais, c’est clair, je me mouille, mais j’ose le dire, jamais elle y est allée d’un pareil voyage, la reine du Saint-Hubert. Cette croisière, madoué !