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Je pourrais manifester vocalement, lui dire des trucs salingues pour corser. Pas la peine. Je joue sobre. Tout dans les reins, le reste dans les coudes. Et ses fades se font de plus en plus rapides. Quatre ! Cinq ! Six !

Elle murmure qu’elle va en mourir. Tant pis, je paierai ce qu’il faudra. Je ne peux pas reculer, en tout cas pas plus que de vingt centimètres ! Elle chevrote, ma chevrette. Une tringlée pareille, faut remonter aux croisades, quand les potes rescapés de Godefroy de Royco rentraient déverrouiller bobonne afin de lui compenser les annuités de retard. Sept ! Huit ! Elle regimbe maintenant ! Elle rejambe. Dit que c’est trop ! Plus possible ! Que ça y est, elle est mortibus, de profundis  ! Mais on me tirerait une salve de mitraillette dans le dossard que je poursuivrais en vers et contre toux ; en verve et contre tous. Peux plus stopper. Mon frein a sauté. Je dévale dans son corps, Mado. Elle jouit encore une demi-douzaine de fois, du bout des lèvres, puis perd conscience. Il n’importe. Je continuerai seul.

Encore, encore. Cent mille fois sur le métier je remets mon ouvrage. Tant qu’au bout du compte, et après des heures de folie, j’explose. C’est l’inouï à ma portée. J’entre dans une autre dimension. M’y engloutis.

* * *

— Mado ! Oh ! Mado ! Oh ! ma Mado !

Je me dégomme du néant, du baigneur de Mado.

M’abats sur le flan et j’aperçois le taulier, toujours en tenue de chasse, mais sentant la marée. Il est là, ce con, qui regarde à ne plus pouvoir. Qui a eu du mal à comprendre, mais qui a compris ; ne peut encore admettre ni tolérer. Et litanise ses « Mado, oh ! Mado », si curieusement qu’avec un accompagnement de jazz ça pourrait se chanter.

Fichtre Dieu, quelle heure est-elle ? Ciel : presque dix heures !

Il hennit, soit, car mal il pense. Se jette sur un tiroir, le tire comme on arrache un clou rouillé, prend un pistolet.

— Vous n’allez pas faire ça au moment où les Gault et Millau vont vous décerner les clés d’or de la gastronomie ! lancé-je.

D’emblée, il abaisse le canon ravageur de sa pétoire.

— Les clés d’or. Qu’est-ce que vous en savez ?

— Vous oubliez que la police est bien informée. Avant de débarquer chez vous, j’ai pris mes renseignements.

— Alors ce serait vrai ?

— Pensez-vous que je blufferais dans une situation pareille ?

Il hoche la tête, remise son feu.

— T’entends, Mado, ce qu’il dit ? fait le cher gargotier. Les clés d’or de la gastronomie…

Lors, Mado, contre toute attente, parle.

Oui, parfaitement, elle s’exprime vocalement.

Et sais-tu ce qu’elle profère ?

— Je m’en fous de tes clés d’or, tu pourras te les foutre dans le cul, pauvre pomme !

Très nettement, en mettant parfaitement l’accent tonique là où c’est nécessaire et en respectant la ponctuation, chose que seuls les acupuncteurs réussissent.

Elle se lève en geignant car elle a la Volga en flammes, ma tourterelle.

— Je pars avec lui ! elle déclare tout net.

— C’est pas vrai ! il clafouille, le malheureux. Mado, voyons. J’allais faire une mousse d’anguille que tu raffoles tellement !

— M’en fous, de ta mousse d’anguille…

Elle explique :

— Tu te rends compte qu’il m’a baisée jusqu’à ce qu’en évanouisse, Moulfol ? J’ai joui consciemment douze fois, ensuite, j’sais plus.

— Oui, c’est beaucoup, admet le vaincu.

— Et puis, c’est pas tout, poursuit l’impitoyable, il est monté pour. Toi, ton zizi est tout nerveux, tout grenu comme de la saucisse d’Auvergne…

— C’est pas ma faute, plaide le pauvre époux. Je faisais de mon mieux avec.

— Je te dis pas, Moulfol, mais y a rien de comparable…

Le bergiste baisse la tête, accablé par ce coup du destin.

Vaincu et l’admettant. Les testicules en berne.

— Mado, tu ne vas pas me quitter, dis ? larmoie-t-il.

— C’est la vie, que répond ma conquête.

Drôlement féroces, les nanas, quand elles n’aiment plus. Des couperets à cisailler le bonheur. Elles te hachent menu la félicité d’un bonhomme. Ne veulent rien savoir de ses chagrins, détresses, agonies de l’âme. Fini finito, te l’évacuent tel un tampon changé. Qu’il crève ! Y en a qui crèvent. J’en sais. N’ai connus. Le guignol : poum ! Qui craquait de désespoir. Elles s’en foutent. Pourvu que l’autre soit bien bandant, en forme, dans des douilletteries propices.

La Moulfol se tourne vers moi.

— On part tout de suite ou si vous préférez déjeuner d’abord ? Il va faire une mousse d’anguille, c’est sa spécialité.

Je l’imagine à mon côté dans l’existence, Mado. Me pointant chez nous, maman, avec ce tas pareil à la graisse d’un confit d’oie. La stupeur à Félicie, Seigneur ! Et puis moi débarquant dans des endroits que je fréquente, du genre intellectuels débonnaires. Cet éberluement général !

Elle m’excite dans son contexte, cette bonne truie. N’en est pas dissociable. Qu’autrement, ça devient plus rien, en très lamentable.

— Ma petite Mado, dis-je, vous n’avez pas le droit de quitter votre mari, qui est un homme de bien, plein de talent, un maître queux hors ligne…

— Vous pouvez pas comparer avec la vôtre, elle décrète.

— Sur le point d’obtenir les clés d’or de la gastro-entérite ! coupé-je. L’une des plus grandes toques de France, qu’on dirait la cheminée d’un paquebot grec. Non, non, ma jolie. Vous vous devez a lui, unis que vous fûtes par les sacrés liens du mariage. Songez à vos enfants.

— On n’en n’a point !

— A ceux que vous aurez !

— Je peux pas t’en avoir.

— Alors songez à ceux que vous auriez pu avoir. Ils vous crient, du fond de leurs limbes, ces chers innocents : « Maman, maman, n’abandonne pas papa ! »

— Je peux plus me passer de vous, éclate-en-sanglots Mado.

La chérie ! L’adorable ! L’exaltante ! O ces mots, comme ils musiquent mélodieusement à mes oreilles. Elle ne peut plus se passer de moi ! Aveu divin. Source d’énergie détonante. Mado, si bellissime, avec sa peau molle, ses points noirs, ses yeux d’un crétinisme éperdu. La troublante, la flasque !

Lors, le mari intervient, timide, mouillé d’amour, frileux d’espoir :

— Mado, monsieur le commissaire passera te voir ici, n’est-ce pas, monsieur le commissaire ? Même, il pourrait coucher avec toi, mes jours de halles, moi je dormirais dans une autre chambre, déranger personne vu l’heure que je me lève…

Quel grand cœur bat dans la poitrine foutrique de ce grand con !

— T’accepterais ? demande Mado, prête à un compromis.

— Mais j’insiste, Mado. J’insiste. Monsieur le commissaire, vous qu’êtes un homme de bon sens, qu’avez la tête sur les épaules…

— Et une bite comme ça, brandit-l’avant-bras Mado.