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« Seulement, Océan vous voulait pour son propre compte. »

La bataille faisait rage sous la surface d’Océan et d’Hypérion. Elle se déroulait dans les grandes conduites qui véhiculaient le fluide nutritif connu sous le nom de lait de Gaïa.

Chacun des prisonniers humains se trouvait encapsulé dans une gelée protectrice lorsque fut arrêté leur destin. Leur métabolisme fut ralenti. Médicalement parlant, ils étaient dans le coma, inconscients de leur environnement.

Les armes employées étaient les pompes qui faisaient circuler nutriments et fluides refroidisseurs dans ce réseau souterrain. Chacun des combattants créa d’énormes différences de pression – au point que sur Mnémosyne un geyser de lait jaillit du sol jusqu’à cent mètres d’altitude pour retomber sur le sable en créant un printemps fugace.

La bataille dura près d’un an. En fin de compte, Océan comprit qu’il allait perdre. Les captifs commencèrent à dériver vers Hypérion sous la pression saccadée qu’exerçait Gaïa à partir de Japet, de Cronos et de Mnémosyne.

Océan changea de tactique. Il entra en contact avec l’esprit de ses prisonniers et les éveilla.

« Dès le début c’était ce que j’avais craint », leur expliqua Gaïa tandis que l’éclairage de la pièce menaçait de s’éteindre définitivement. « Il avait une liaison avec vos cerveaux. Il devenait impérieux que je la rompe. Je dus mettre en œuvre des tactiques dont je doute que vous puissiez les comprendre. Au cours de l’opération l’une d’entre vous m’échappa. Lorsque je pus la récupérer, elle avait déjà été changée.

« Il essayait de vous détruire tous avant que je ne vous atteigne – de détruire votre esprit, pas votre corps. Une tâche qui n’aurait pas été bien difficile. Il vous satura d’informations : chez l’un il implanta le langage sifflé, chez deux autres le chant des Titanides. Que certains d’entre vous aient pu y survivre tout en conservant leur raison reste encore pour moi une source d’émerveillement.

— Ce ne fut pas le cas pour tous, remarqua Cirocco.

— Certes, et j’en suis désolée. J’essaierai d’une manière ou de l’autre d’y remédier. »

Tandis que Cirocco se demandait comment elle pourrait bien s’y prendre pour remettre les choses en place, Gaby prit la parole.

« Je me rappelle encore avoir gravi un gigantesque escalier, dit-elle. Je franchissais des portes dorées pour me retrouver aux pieds de Dieu. Et puis, il y a seulement quelques heures, j’ai eu l’impression de revivre la même scène. Pouvez-vous l’expliquer ?

— Je vous ai parlé à tous, dit Gaïa. Et dans l’état où vous étiez, psychiquement malléables après des jours entiers de privation sensorielle, vous y avez surimposé votre propre interprétation.

— Je ne me rappelle rien de semblable, remarqua Cirocco.

— Vous l’avez censuré. Et votre ami Bill est allé plus loin, en effaçant la plus grande partie de ses souvenirs.

« Après vous avoir interviewés par l’intermédiaire d’Hypérion, je décidai de ce qu’il fallait faire. April était déjà trop endoctrinée avec la culture et les coutumes des anges. Tenter de lui faire retrouver sa personnalité antérieure l’aurait sûrement détruite. Je la transportai donc dans le rayon pour qu’elle y émerge et trouve son propre destin.

« Gene avait l’esprit malade. Je l’emportai jusqu’à Rhéa en espérant qu’il resterait séparé de vous. J’aurais dû le détruire. »

Cirocco soupira.

« Non. Je l’ai laissé vivre alors que moi aussi j’aurais pu le détruire.

— Voilà qui me rassure, dit Gaïa. Quant au reste d’entre vous, il devenait impérieux de vous faire reprendre conscience au plus tôt. Je n’avais même plus le temps de vous rassembler. J’espérais que vous parviendriez à vous débrouiller à la surface et finalement c’est bien ce qui s’est produit. Et maintenant, vous pouvez retourner chez vous. »

Cirocco leva brusquement les yeux.

« Oui, le vaisseau de secours est arrivé. Il est sous le commandement du capitaine Wally Svensen et…

— Wally ! s’exclamèrent simultanément Gaby et Cirocco.

— C’est un ami ? Vous ne tarderez pas à le voir. Votre ami Bill est en pourparlers avec lui depuis maintenant deux semaines. » Gaïa semblait mal à l’aise et lorsqu’elle reparla sa voix était légèrement pressante. « En fait, ce n’est pas uniquement une mission de sauvetage.

— Je m’en doutais.

— Oui. Le capitaine Svensen est équipé pour entreprendre une guerre contre moi. Il dispose d’un grand nombre de têtes nucléaires et sa présence dans les parages me rend nerveuse. C’est d’ailleurs l’une des choses que je désirais vous demander. Pourriez-vous lui en toucher un mot ? Je ne puis en aucun cas représenter une menace pour la Terre, vous le savez. »

Cirocco hésita un moment et ce fut au tour de Gaïa de sembler inquiète.

« Oui, je crois que je peux arranger ça.

— Merci de tout cœur. Il n’a pas franchement dit qu’il allait me bombarder, et lorsqu’il eut découvert qu’il y avait des survivants du Seigneur des Anneaux, cette éventualité est devenue encore plus improbable. J’ai recueilli quelques-unes de ses navettes de reconnaissance et leurs équipages sont actuellement en train de construire un camp de base à proximité de Titanville. Vous pourrez lui expliquer ce qui est arrivé car je ne suis pas certaine qu’il me croie. »

Cirocco l’approuva puis resta silencieuse un bon moment, attendant qu’elle poursuive. Mais Gaïa ne poursuivit pas et Cirocco se sentit obligée de parler.

« Comment savoir si nous, nous devons vous croire ?

— Je ne puis vous offrir aucune garantie. Je ne peux que vous demander de croire à l’histoire telle que je vous l’ai contée. »

Cirocco opina encore puis se leva. Elle tenta de prendre un air dégagé mais son geste était inattendu. Gaby parut perplexe mais elle se leva également.

— Eh bien, c’était très intéressant, dit Cirocco. Et merci pour la coke.

— Rien ne nous presse, dit enfin Gaïa après un instant d’étonnement. Une fois que je vous aurai retournées sur l’anneau, je ne pourrai plus vous parler directement.

— Vous pourrez toujours m’envoyer une carte postale.

— Est-ce que je ne décèlerais pas en vous un soupçon de colère ?

— Je ne sais pas. Vous croyez ? » Brusquement, elle se sentait vraiment en colère ; et sans bien savoir pourquoi. « C’est à vous de le savoir. Je suis votre prisonnière, quelle que soit la façon dont vous présentez les choses.

— Ce n’est pas tout à fait exact.

— Je n’ai que votre parole pour m’en persuader. Rien que votre parole sur des tas de questions. Vous m’amenez dans une pièce droit sortie d’un vieux film, vous vous présentez sous l’aspect d’une vieille femme boulotte, vous me laissez céder à mon seul vice. Vous baissez les lumières et me racontez une histoire aussi longue qu’improbable. Que suis-je censée croire ?

— Je suis navrée que vous le preniez ainsi. »

Cirocco eut un hochement de tête épuisé. « Laissez tomber, dit-elle. Je me sens un peu abattue, c’est tout. »

Gaby haussa un sourcil mais se garda de rien dire : cela aurait irrité Cirocco et ce n’était pas le moment alors que Gaïa, elle aussi, semblait avoir remarqué ses paroles.

« Abattue ? Je ne vois vraiment pas pourquoi. Vous avez accompli ce que vous comptiez faire, malgré les pires embûches. Vous avez mis fin à une guerre. Et maintenant vous rentrez chez vous.

— La guerre me préoccupe, dit lentement Cirocco.

— Dans quel sens ?

— Je n’ai pas avalé votre histoire. Pas entièrement, en tout cas. Si vous voulez vraiment que je me mouille pour vous, il faudra d’abord me donner la raison véritable pour laquelle anges et Titanides se battent depuis si longtemps, sans en tirer le moindre avantage.