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— Sérieusement ?

— Oui.

Acquitté parce que les bonshommes qui devraient me juger auraient pitié d’un cocu ! Pour eux, mon drame ne serait que celui d’un mari bafoué par une garce trop chaude.

— Nous tenons le bon bout, a-t-elle ajouté.

Elle pensait fortement au futur ; à celui que j’avais évoqué pour elle un après-midi.

J’étais son assassin, son petit assassin trop faible. Elle m’emmènerait dans un endroit paisible, loin des tentations… Elle me séquestrerait, me dorloterait… Elle avait enfin trouvé un homme-enfant ; un homme repoussé par le monde et sur lequel elle aurait tous les droits. Je serais son bien exclusif, sa chose !

Et la vieille maman acariâtre, dans tout ça, que devenait-elle ?

Je lui ai posé la question, sans même l’enrober de fioritures.

— Que dira votre mère, Sylvie, lorsqu’elle saura ?

— J’ai tout prévu…

— Allez-y !

— Nous avons une petite maison à la campagne. Maman voudrait bien que nous l’habitions, mais à cause de mon métier…

— Alors ?

— Alors nous nous y installerons, tous les trois…

— Tous les trois ?

— Sans qu’elle le sache !

— Hein ?

Était-elle folle ? Elle m’a fait peur.

— Ma mère se déplace très difficilement. Je l’installerai au rez-de-chaussée et vous aurez une pièce au premier étage…

— Voyons, Sylvie !

Elle a fait un geste autoritaire.

— Vous ne pouvez pas parler, il faut connaître la maison : elle se prête admirablement à une telle combinaison… La pièce dont je vous parle est un ancien grenier aménagé… Il y a un escalier à part qui y conduit et la porte ferme à clé… Personne d’autre que moi…

Personne d’autre qu’elle ! De la séquestration, c’était bien ce que je pensais.

Elle a ajouté, d’une voix sciemment voilée de tristesse :

— Et puis maman est âgée… Après…

Après elle m’aurait domestiqué, dompté… Après je serais une marionnette qu’elle pourrait actionner à sa guise.

Le mot marionnette m’a ramené à ce théâtre guignol ingénu du Luxembourg où Andrée et moi avions ri ensemble pour la première fois. Nous avions ri du rire frais des enfants, non du spectacle… Et ce soir-là, nous avons pris notre repas à la même table dans le petit restaurant où la patronne faisait elle-même la cuisine tandis que le patron servait !

J’ai entendu la porte de ma cellule claquer. Sylvie venait de s’en aller, sans un mot, me plantant au milieu de ma rêverie dont elle s’était sentie absente !

Je me suis levé d’un bond, et j’ai couru tambouriner à la porte.

— Sylvie ! Sylvie !

Ma voix résonnait étrangement dans la cellule. Le gardien est venu ouvrir. J’ai aperçu, par l’entrebâillement, le détenu qui frottait le couloir. C’était une grosse brute.

— Qu’est-ce que c’est que ce raffut, Sommet ?

— Mon avocate !

— Elle vient de partir… C’est elle que vous appelez Sylvie ?

Je n’ai su que répondre. Je venais de commettre une grosse bêtise. Tout le groupe de gardiens de l’étage allait savoir ça et j’étais certain que, dorénavant, les visites de Sylvie seraient épiées en douce par le judas.

L’homme a repoussé la porte. Je ne sais pas si, pour les gardiens de prison, les détenus ont encore une personnalité propre. En tout cas, pour moi, les employés de la prison n’étaient que des uniformes et des visages anonymes…

Je persistais à me croire à l’hôtel…

CHAPITRE XIV

Le lendemain, le juge Lechoir m’a fait amener à son bureau. Il y avait longtemps que je ne l’avais pas vu… Cette sortie a apporté une diversion à ma peine. Pendant le trajet de la prison au Palais de Justice, j’ai eu une fugace sensation de liberté. Je ne pouvais guère regarder le paysage par les lucarnes grillagées du fourgon, mais les bruits des rues étaient suffisamment éloquents… Je les reconnaissais avec émotion, avec délice…

C’était intentionnellement que le juge m’avait laissé tranquille plusieurs jours. Il voulait que je médite à loisir sur mon affaire et il espérait que je prendrais le parti d’avouer, ce qui eût constitué une nette victoire pour lui.

— Alors, Sommet, où en sommes-nous ?

— Si j’osais, c’est plutôt moi qui vous poserais la question, monsieur le juge…

Sylvie était là, bien entendu, maussade dans sa robe noire d’avocate… L’air plus corbeau malade que de coutume.

— Oh ! moi, a fait le juge en adressant un petit signe à son greffier pour lui ordonner de ne rien écrire ; moi, vous le savez, où j’en suis… À l’aboutissement de l’instruction… Je pense que vous avez réfléchi, et que vous avez compris combien il est vain de…

Sa voix se muait en un murmure d’oraisons. Elle se perdait dans une grisaille sonore et je ne faisais rien pour essayer de m’y intéresser. Je regardais distraitement remuer ces lèvres minces… Les mots ne me parvenaient plus.

Il s’est arrêté de parler. Sa bouche s’est figée sur une dernière question que je n’ai pas comprise.

— Je m’excuse, vous disiez, monsieur le juge ?

Le greffier a eu comme un grognement incrédule. Il n’avait jamais vu un prévenu se désintéresser de son cas à un tel point.

— Je vous demandais de passer aux aveux et de vous expliquer franchement sur vos véritables mobiles, Sommet !

— Mes mobiles, monsieur le juge, vous les connaissez : la jalousie !

Le magistrat s’est emparé d’une règle métallique et s’est mis à tapoter le couvercle de son encrier.

— Votre obstination, Sommet, peut vous conduire tout droit à l’échafaud, je tiens à vous en prévenir…

— Merci. Mais je ne puis dire autre chose que la vérité !

— Donc vous maintenez vos dénégations, malgré les preuves irréfutables qui…

Malgré les « preuves irréfutables qui », je maintenais… J’aurais nié n’importe quelle vérité plus probante… J’aurais nié qu’il faisait jour, que nous étions à Paris et que la chemise du juge était reprisée au col s’il l’avait fallu. Je ne niais pas par parti pris, ce jour-là, mais par lassitude.

Tous ces hommes qui s’occupaient de mon cas m’agaçaient… Mon affaire était une affaire entre Andrée et moi. Pourquoi ne le comprenaient-ils pas ? De quoi se mêlaient-ils, ces pauvres gens ?

— En ce cas, Sommet, je pense que nous n’avons plus rien à nous dire… Si, comme je l’espère, vous reveniez sur votre attitude, faites-le-moi savoir…

— Je n’ai pas à revenir, monsieur le juge…

Je me suis levé et j’ai gagné la porte sans les regarder. Sylvie m’a suivi. Une fois dans le couloir, et tandis que mes anges gardiens me passaient les poucettes, j’ai chuchoté :

— Il faut que je vous parle…

Elle a marqué une légère hésitation. Elle boudait, pendant l’entrevue chez le juge, elle faisait exprès de détourner son regard chaque fois que nos yeux se rencontraient… Elle a tout de même dit au garde :

— Vous permettez, garde ?

Et, me prenant par le bras, elle m’a entraîné au fond du couloir, à l’endroit où il était vitré.

— Que voulez-vous me dire ?

— Que… le… le temps me dure affreusement de vous.

Un reflet brillant a passé dans ses yeux…

— Vous êtes sincère ?

— Voyons, Sylvie… On dirait soudain que vous n’avez plus confiance en moi !