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J’entends le bruit claquant des hauts talons de Geneviève sur le chemin. Précipitamment je glisse les trois sachets de chnouf dans ma poche, je remets les autres objets en place et referme le volet du sac.

Lorsque Geneviève rouvre la portière, elle me trouve dans la position abandonnée d’un type maussade qui en a marre d’attendre.

Elle biche la manette de son sac et me dit qu’elle a les clés. Je la suis sans parler. La maison n’a pas été occupée depuis plusieurs mois et elle sent le bois humide. Une couche de poussière recouvre les meubles. Nous pénétrons dans une grande pièce, toute en longueur, au fond de laquelle se dresse une vaste cheminée à l’âtre gigantesque. En face il y a un grand canapé recouvert de peaux d’ours blancs.

— Nous allons faire une flambée ! décrète mon hôtesse.

C’est tout préparé dans la cheminée. Un vrai bûcher comme si on espérait la visite de Jeanne d’Arc. Il suffit de craquer une suédoise et ça crépite. Le bois fume un chouïa because l’humidité mais il prend tout de même et bientôt de hautes flammes se mettent à danser sous mes yeux fascinés.

— Asseyez-vous, monsieur le Commissaire.

Les meubles anciens brillent à la lueur du feu de bois.

— C’est charmant, chez vous, ne puis-je m’empêcher de murmurer.

L’incohérence de l’instant me frappe. Si je récapitule les dernières heures que je viens de vivre, je dois convenir qu’elles sont effarantes. Une dame me tombe sur le paletot en me disant : l’homme qui a tué mon mari est innocent, j’étais dans ses bras à l’heure du meurtre ! Sauvez-le ! Je me remue le panier pour lui sauver la mise. Je me fais engueuler par mon chef, je vais voir l’intéressé à l’ombre de la guillotine en fleurs, bref, je me livre à une ultime contre-enquête, talonné par le temps. Je fais ça à l’arraché, la lutte pour la vie et contre la montre ! Et puis, brusquement, mise au pied du mur, la dame se déboutonne (ce qui est une façon de parler). Elle susurre : « J’ai menti, j’ai voulu le sauver parce que je m’en ressentais pour ses beaux yeux, mais je ne suis pas de taille à vous faire prendre les helvétiques pour des gens ternes, alors excusez-moi docteur et enlevez votre main de la partie malade ! »

Tout ça n’est pas Franco, comme disent les enfants de puritains. C’est le chaud et froid ! Moi j’aime pas ça. Mais alors pas du tout. Voyez la trajectoire, et convenez qu’elle ressemble à celle d’une fusée ricaine. Premier temps : je me dis que la dame me raconte des salades. Deuxième temps : je crois à ces salades. Troisième temps : je ne crois plus à ces salades. Quatrième temps, des détails troublants, telle la découverte de ces sachets de coco, me font croire que ces salades ne sont peut-être pas que des salades.

— Vous prenez quelque chose ?

Elle roule dans ma direction une cave à liqueur lestée de tout ce qu’il faut pour rire et s’amuser en société. Je montre un flacon de Scotch.

C’est du Haig’s spécial à étoiles.

— Versez-moi un doigt de ce machin-là.

Elle obéit. Elle a posé la veste de son ensemble. Son chemisier sans manches me découvre des bras parfaits et rend sa poitrine plus évidente.

— Vous vouliez ENCORE me parler ! dis-je, pour revenir à nos moutons.

Le encore sur lequel j’ai mis trois kilos cinq cents d’accent tonique la fait tiquer.

— Je voulais vous dire la vérité, oui, monsieur le Commissaire.

— La vraie ou l’autre ?

— Ne m’accablez pas, je suis assez déprimée comme cela.

Pauvre chérie, va ! Elle croise ses jambes sans gaffer que sa jupe a remonté de vingt centimètres. Ce que j’aperçois me fait penser à tout ce que vous voudrez sauf à mon tiers provisionnel.

— En effet, je n’étais pas la maîtresse de Gilbert Messonier, mais j’avais beaucoup d’amitié pour lui. Il me faisait une cour discrète à laquelle j’étais sensible. Je lui disais que j’avais une mentalité un peu spéciale, et que jamais je ne tromperais mon mari. Je ne suis pas une de ces petites coucheuses à la Feydeau qui sortent de chez le coiffeur pour aller dans des studios de Courcelles. Je lui affirmais par contre que si j’étais libre un jour, j’accepterais avec joie de refaire ma vie avec lui…

Compris ! Madame pousse-au-crime, quoi ! J’entends le blabla monté sur inflexions savonnées. « Si un jour les circonstances voulaient que je me retrouve seule, alors, peut-être ! »

Et le fils du général Messonier a pensé que ce jour de gloire pouvait bien arriver.

— Bref, tranché-je, il a tué votre mari par amour pour vous, pour vous libérer de lui ?

Elle hoche la tête.

— Oui, commissaire. J’en suis persuadée. Et il a volé pour donner le change !

« Il pensait faire croire à la police que le meurtrier était un trafiquant de pierres. »

— En ce cas, dis-je, il a été bigrement truffe de les conserver.

— Il ne se doutait pas que l’enquête s’orienterait aussi rapidement sur sa personne. Je sais qu’il a tué pour moi. J’ai ma part de responsabilité dans ce drame, monsieur le commissaire, cette idée s’est développée dans mon esprit. Alors j’ai voulu sauver sa tête et je me suis dit qu’en témoignant en sa faveur de cette manière, j’allais peut-être créer un élément susceptible d’empêcher l’exécution.

Je l’observe. Elle parle les yeux baissés, avec application et humilité. Son index décrit des arabesques sur la peau d’ours étalée entre nous. Dit-elle la vérité ou un second mensinge ?

— Vous l’aimez ? demandé-je.

Et, en moi-même je décide « si elle te répond que oui elle ment ».

Geneviève hoche la tête.

— Non, murmure-t-elle. J’ai agi poussée par le remords. Encore une fois je me sens coupable. Jamais je n’aurais dû faire miroiter les promesses d’un futur possible à ce garçon. Gilbert est un imaginatif, un utopiste.

Il ne l’est plus pour bien longtemps. Cela, je ne le dis pas, mais je le pense intensément ; et j’évoque l’image aperçue par le judas de la cellule : ce profil émouvant, cette nuque délicate…

Un silence mou, à peine troublé par le crépitement des bûches, m’envahit. Je consulte mon subconscient, car c’est un personnage en qui j’ai toute confiance et qui assure le dépannage lorsque — comme c’est le cas — ma gamberge fait du no man’s land. Mais il répond absent à l’appel. Lui non plus ne sait pas comment réagir. Car si je passe les salades de madame au mixer je ne peux en retirer qu’une chose : Messonier n’est peut-être pas coupable !

CHAPITRE VIII

Je vide mon glass, je me dresse.

— Je vous plains, madame Coras, dis-je.

— Que faites-vous ? se lamente-t-elle.

— Je prends congé, comme on dit dans votre milieu, et je me barre comme on dit dans le mien.

Elle est agenouillée sur le canapé, le dos au feu joyeux qui ronfle dans la cheminée. Pathétique, la bougresse ! Pour lui résister, il faut avoir une volonté en nickel-chrome renforcé.

— Non ! Non ! ne me laissez pas, je vous en supplie. Vous ne comprenez donc pas que je vais devenir folle, monsieur le commissaire, si je reste seule cette nuit !