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— Si vous me racontiez ça ? fais-je, prêt à tout entendre, en glissant un œil vaseliné sur les genoux admirables dépassant de sa jupe.

Elle met sa main devant sa bouche. Les ongles sont merveilleusement faits. On dirait de menus pétales de rose.

— Vous avez entendu parler de Gilbert Messonier ?

Je branle le chef. Tout ce que ce nom évoque pour moi, c’est un peintre réputé.

— Voyons, insiste-t-elle, l’affaire Coras !

Du coup mon visage avenant s’éclaire comme le ring du Madison-Square un soir de championnat du monde. L’affaire Coras, tu parles ! Et par la même occase, je situe le Messonier en question ce qui n’est pas duraille vu qu’il croupit dans la cellote des condamnés à mort de la Santé. Pour les ceuss qui ne sont ni au faîte de leur carrière, ni au fait de l’actualité, je crois bonnard de rappeler l’histoire : il y a environ deux berges, un dénommé Denis Coras, négociant en pierres précieuses, fut assassiné dans son appartement du boulevard de Beauséjour ainsi que son vieux père, lequel était venu passer l’hiver chez son fils (ce en quoi il se montra mal inspiré).

Double assassinat sordide : couteau et tisonnier ! Une vraie boucherie ! Les deux hommes étaient seulâbres dans la crèche, la femme de Denis Coras étant à la cambrousse avec la bonne. Le mobile de la tuerie ? Le vol d’une collection de cailloux importée d’Amsterdam.

L’enquête menée avec diligence par des inspecteurs qui ne buvaient que les vins du Postillon, révéla assez rapidos que le coupable n’était autre qu’un certain Gilbert Messonier, jeune fils à papa désœuvré (ami du club de Denis Coras) chez lequel on retrouva une partie des joyaux planqués dans la tubulure d’un lampadaire. Vous voyez, j’ai la mémoire qui phosphore ! Le gnace commença par nier, mais il fut incapable de produire un emploi du temps. Par la suite, il se mit à table d’assez bon appétit et admit que, endetté jusqu’au valseur, il était allé emprunter du flouze à Coras. Celui-ci lui en avait refusé, la discussion avait viré au moche et Messonier lui avait colloqué un coup de « repose-toi-rien-ne-presse » sur le cigarillo.

Là-dessus, le dabuche à Coras s’était annoncé inopinément et Messonier, perdant tout contrôle, avait administré à ces pauvres messieurs une infusion de coupe-papier. Grosso modo, voilà à peu près le topo. Ensuite Messonier avait fait main basse sur les diams car le coffre n’était pas fermaga…

Dans un éclair j’ai revu tout cela. Je me tourne vers ma voisine de banquette. Elle sent vachement bon : lilas et fraise sauvage, un parfum de chez Larenifle, rue du Saint-Honoré à la crème.

— J’y suis, madame, alors ?

Croyez-moi ou allez chez votre tripier favori vous faire mettre des bas morceaux sur le porte-bagages, mais cette personne a les yeux verts et bleus. Je n’ai jamais rencontré un phénomène pareil. Le centre de ses lampions est vert-bleu et le tour bleu-vert ; faut le voir pour le croire ! Quand on se paume dans cet infini, on pense à des trucs qui ne sont jamais mentionnés sur les manuels scolaires ni dans les catéchismes du diocèse de Pointe-à-Pitre.

— Alors, murmure-t-elle d’une voix à la Marlène, revue par Garbo et corrigée par Morgan, alors on va exécuter Gilbert Messonier demain matin.

— D’accord, c’est triste, dis-je, car personnellement, je suis contre la peine capitale, mais enfin…

— Messonier est innocent, monsieur le commissaire ! s’écrie la superbe créature aux yeux méditerranéens.

— Qu’en savez-vous ?

Elle baisse la tête. Le parfum de sa chevelure se fait plus obsédant.

— Il était avec moi au moment des meurtres.

Si vous ne tiquez pas, les mecs, c’est que vous avez les nerfs en fibrociment ; et si vous sursautez, c’est que vous les avez en pur lastex. Le gars mézigue, fils aîné préféré et unique de Félicie, ma brave femme de mère, se cantonne, lui, dans une prudente réserve. C’est pas la first fois qu’une nana qui s’en ressent pour un condamné à mort met le paxon afin de lui éviter d’y aller du cigare. Elle me fait un coup à la désespérée, la frangine ! Elle espère qu’on va tuber à M. de Pantruche de remiser sa bécane.

Un élément de la dernière heure, etc. Ça s’est vu, ça se voit tous les jours et ça se verra tant qu’il y aura de par le monde des mômes que des hommes expédient au septième ciel avec bagages accompagnés.

Hélas, elle se fait des berlues sévères, je ne sais pas comment le lui expliquer.

— Vous êtes la femme de Messonier ?

Elle secoue la tête.

— Non, monsieur le commissaire. Gilbert n’était pas marié.

— Alors…

C’est elle qui vole à mon secours :

— Je suis la femme de Denis Coras, monsieur le commissaire !

Fermez le ban !

CHAPITRE II

Un ange passe, je vous prie de le croire. Et à tire d’aile, encore ! Il faut mettre des verres teintés pour suivre sa trajectoire.

La femme de Coras ! C’est-à-dire la femme de la victime ! À ma connaissance, cette digne personne était restée tout à fait en dehors du circuit. On l’avait juste vue renifler à la barre dans des voiles de deuil. L’avocat de la partie civile avait tenu à ce qu’elle vienne montrer son désespoir au peuple. Elle ne savait rien, elle l’avait balbutié. Le président des Assises l’avait remerciée pour son courage et lui avait cloqué les condoléances du jury auquel on avait distribué des oignons à tout berzingue pour faciliter son émotion.

Du coup, je trouve que l’affaire vaut le dérangement.

— Allons bavarder de tout ça à mon bureau, décidé-je.

Elle consent. Nous retournons à la Villa Bourdille, côte à côte. Sa démarche est digne du reste. Elle a le contre poids qui se garde un coup à gauche, un coup à droite, Mme Veuve Coras. C’est émouvant comme quand le soleil va faire un coucher avec la mère Deglace.

« Ce que ça doit être rigolo de jouer à papa-maman avec cette personne », comme disait mon ami Jean Banlaire qui organisait des partys. Mais la question n’est pas là.

— Donnez-vous la peine d’entrer !

Je frémis en pénétrant dans le bureau.

Pinaud est occupé à recoudre les boutons de son pantalon qu’un séisme a dispersés. Bas-vêtu d’un calcif à rayures style Chéri-Bibi, son chapeau de feutre enfoncé jusqu’aux coquilles, ses lunettes en équilibre sur la pointe extrême de son naze, il tire l’aiguille avec autant de conscience que Jeanne of Arc en mettait à filer sa quenouille en bâton avant que des voix off ordonnent à la Pucelle d’ébranler les rosbifs et d’emmener Charlot number VII à Reims pour y sabler le champagne de la victoire.

Je reste médusé devant le spectacle. Malgré son émotion, Mme Coras a un haut-le-corps. Pinaud se découvre poliment devant l’arrivante.

— Tu tombes bien, fait-il, ça t’ennuierait d’enfiler mon aiguille ? Je suis de plus en plus presbytérien.

En guise de réponse, j’oriente la dame vers le bureau voisin. Manque de bol, Béru, qui assume la permanence, est en train de se faire cuire des tripes lyonnaises sur son réchaud et on a l’impression de pénétrer dans la cuisine d’une cantine scolaire.

En désespoir de cause, j’installe ma compagne dans la salle des témoins.

— Asseyez-vous !

Innocemment, je me place en face d’elle parce que c’est une position clé qui permet une vue imprenable sur la lisière de ses bas. Ayant constaté que ses jarretelles sont blanches et sa peau ambrée, je m’efforce de hisser mon regard noyé jusqu’à son visage.

— Madame, attaqué-je, je pense que nous devons avoir une conversation sans détour. Vous me dites que vous êtes l’épouse de la victime, M. Denis Coras ?