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— Quoi ?

— Qu’elle soit allée à son garage, en pleine nuit, chercher son auto, et qu’elle abandonne celle-là en plein Paname ? À quoi ça lui a servi ?

— C’est vrai. Remarque qu’une fois à son volant elle a sans doute réfléchi et compris que ça ne servait à rien de fuir.

— À moins qu’autre chose ! dégouline le Gros.

Le voilà qui joue encore les chevaliers Mystère, troisième épisode.

— À moins que quoi ?

— Qu’elle ait eu quelque chose à récupérer dans sa brouette, gars !

Je lui refile mon regard admiratif numéro dix bis, celui que je ne réserve ordinairement qu’à la reine d’Angleterre et aux lolos de Sophia Loren.

— Dis donc, Énorme, tu t’es refait carrosser le cerveau par Capron, on dirait. Il a la ligne italienne maintenant.

Le Béru secoue sa tronche apoplectique.

— P’t’être ben qu’au royaume des aveugles les borgnes sont rois, déclare-t-il fort modestement.

Pinaud pousse un cri de souffrance. Il s’est arrimé un hameçon à truite numéro quatre dans la lèvre supérieure et son sang d’inspecteur principal glougloute dans ses moustaches qu’il ne teint habituellement qu’au jaune d’œuf.

Je laisse mon petit monde à ses occupations. Une envie de piloter la bagnole de Geneviève Coras vient de s’emparer de moi, aussi cruelle qu’une crise d’urticaire.

En homme déterminé, je mets le cap sur le Raspail. Mon vade retroviseur (un Satanas, le meilleur) me réfléchit une image désolante de moi-même. J’ai une barbouze de marchand de marrons.

Je fais plus gangster en cavale que flic émérite sur le sentier de la guerre. Je réalise un peu le mépris de Vermi-Fugelune tout à l’heure. Pour un mec qui se loque chez Lapidus et qui se fait friser les poils sous les bras, mon académie est profondément méprisable. Mon costar est plus fripé qu’une robe de mariée le lendemain matin, et j’ai les roberts rougis par l’insomnie.

Si j’avais le temps, je passerais à la baraque pour le bain qui s’impose et j’en profiterais pour revêtir d’autres atours. Mais voilà, dans ma situation ambiguë (voir sur les grands boulevards) on n’a pas le droit de distraire la moindre parcelle de son temps (même si elle s’ennuie) pour des questions superficielles.

Je file boulevard Raspail où je n’ai pas le moindre mal à trouver le cabriolet anglais de la belle Geneviève. Le zig qui le surveille, c’est Tadelestomak, un Polonais d’origine russe naturalisé français qui fait partie de nos services depuis relativement peu de temps. Il est blond, avec un regard intense et un naze crochu. Il ne fait pas flic, malgré son imper sombre à épaulettes ! et c’est là, je pense, son principal mérite. Avant que de monter dans le véhicule à essence de ma maîtresse d’un instant, je l’aborde. Il rectifie la position en reconnaissant son chef vénéré.

— Personne ne s’est approché de cette auto, Tadelestomak ?

— Non, monsieur le commissaire.

— Sûr ?

— Certain ! J’ai l’œil.

Il l’a même en double exemplaire, heureusement pour lui. Sans hésiter je prends place dans la petite bagnole sport en songeant in petto car il m’arrive je vous l’ai déjà dit, de penser en latin, qu’il me faudrait une petite chignole commak pour balader certaines bergères de ma connaissance dans les bois ombreux de l’Île-de-France !

Je commence par le commencement, à savoir que j’explore scientifiquement la boîte à gants. C’est bien une voiture de femme, les gars. Dans ce fourre-tout, elle a fourré les objets de première nécessité que doit posséder un automobiliste inverti, à savoir : un vieux poudrier de secours, un tube de rouge labial dans les tons cyclamen (pour les parties de campagne je suppose) ; un carnet de rendez-vous sur lequel elle n’a rien inscrit, un crayon à bille sans encre, un crayon à zyeux sans yeux, une savonnette à la glycérine (la marque Nitro, celle de l’élite) et enfin un numéro d’Elle plié en quatre. Je me dis qu’en cas de panne dans les steppes de l’Asie Centrale elle ne serait pas fauchée, même si elle avait Borodine comme coéquipier.

Je procède à une semblable vérification dans les poches à soufflets latérales, mais celles-ci ne contiennent qu’une carte routière de la France intégrale et une ficelle de petit paquet récupérée « à toutes fins inutiles ».

S’il y avait quelque chose de particulier, de compromettant, de dangereux ou de ce-que-vous-voudrez, dans l’automobile, ce quelque chose n’y est plus. Je me retire de la calèche. Armé de mon sésame, je tripatouille la serrure du coffre. Vide, le bahut ! Du moins si l’on excepte les deux roues de rechange et la trousse à outils ti-la-la-hi-ti ! Manque de bol !

Je m’apprête à me tailler lorsque je me dis que je n’ai pas regardé sous les coussins de la guindé. Aussitôt pensé, aussitôt exécuté. Bidon sous le premier coussin, bidon aussi sous le second. Je les replace convenablement et voilà qu’un minuscule détail retient à retardement mon attention. J’ôte le deuxième. Pas d’erreur, il y a sur le tissu de dessous une petite tache d’huile assez inattendue à cet endroit, convenez-en. Je puise dans mes vagues inépuisables une petite loupe grosse comme une pièce de cinq francs.

Je mate scientifiquement, plus Sherlock Holmes que le vrai. Et mon siège est fait, comme dit un gynécologue de mes relations. Pas d’erreur, il y avait un revolver à cet endroit. L’huile est de l’huile de graissage pour arme à feu. D’autre part, en regardant attentivement l’envers du coussin, on peut y découvrir, en creux, la silhouette de l’arme.

— Ça biche, pêcheur ? demande une voix familière, cependant que j’essuie une claque sur la partie postérieure de mon individu.

Volte-fesse du San-Antonio joli. Qu’aspers-je ? L’effrayant Béru, plus sanguin que jamais qui se marre comme trois portions de Brie entamées. À ses côtés le doux Magnin, l’air d’un instituteur qui reçoit M. l’inspecteur.

— Qu’est-ce que vous foutez là ? je demande, cérémonieux.

— Nous avons reçu une communication téléphonique de la gendarmerie de Neauphle, monsieur le commissaire, fait Magnin. Comme nous pensions que vous étiez ici…

— C’est moi que j’ai eu cette pensée, rectifie le Gros. Et, foudroyant Magnin de son regard violacé : « Monsieur a des pluriels qui me paraissent singuliers », renchérit l’obèse.

— Alors ? demandé-j e. La réponse.

— Aucun fumiste, aucun plombier n’est allé faire de travaux chez Vermi-Fugelune. Aucun marchand de charbon n’y a livré de combustible.

— Merde ! dis-je en toutes lettres. J’espérais beaucoup de ce côté-là. Les archers de Neauphle ont bien investigué ?

Magnin prend son air sentencieux 18 ter, celui qu’il avait à l’oral de son Brevet supérieur.

— Monsieur le commissaire, vous n’ignorez point à quel point les gendarmes sont des gens consciencieux.

— C’est vrai.

— L’adjudant de gendarmerie prétend que tous ses hommes et lui-même sont partis dans la région. En deux heures ils ont rayonné dans toutes les localités avoisinantes et ont prévenu leurs collègues des gendarmeries limitrophes pour leur demander de faire de même.

— Alors c’est mort, conviens-je.

Nouvelle intervention du Mahousse qui ne peut se confiner plus de quatre minutes vingt-deux dans un silence de bon aloi.

— Qu’est-ce qui est mort, monsieur le commissaire de mes Choses ?

— Un début de piste.

— Viens écluser un gorgeon, dit-il, je vais te prouver qu’au contraire c’est au poil que les bignolons n’aient pas repéré de marchand de charbon.

— Comment ?

— Viens, que je te dis, j’ai la pépie. Moi l’insomnie me donne soif !

Magnin et moi le suivons donc jusqu’à une brasserie néonée, plastifiée, formiquée et accueillante du boulevard Saint-Germain.