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Cinq me répondent que oui. Le sixième s’abstient car il n’a que trois mois.

— Vous ne savez pas s’il est venu ici ce matin ?

Quatre m’assurent que non. Le sixième s’abstient toujours pour la même raison, et le cinquième parce qu’il vient d’attaquer une tartine de confiture.

— Vous êtes sûrs ?

Ils le sont. Ils s’amusent depuis huit heures du matin. Et personne n’est venu à côté.

Je rabats vers le Gros.

Naturellement il explore la cave et, ayant déjà l’habitude de ces visites extra-légales, s’apprête à déboucher une boutanche de Corton 1947.

— Viens, Gros, fais-je. On s’est gouré d’aiguillage. C’est pour cela qu’il était aussi sûr de lui, le bavard. J’ai voulu le bluffer en lui disant que le cadavre de Mme Coras se trouvait ici. Au lieu de l’abattre, ça lui a donné du mordant.

Il exulte en enfouissant délibérément le Corton dans sa poche admirablement extensible.

— Je sentais que tu avais envoyé le bouchon trop loin, Sans-A., qu’est-ce que je t’ai dit en venant, hmm ?

— C’est vrai. Maintenant, je me suis fait à l’idée que tu étais le génie du siècle.

— Alors on rentre ?

— En passant par l’Isle Adam !

— De quoi !

— J’adore faire le grand tour.

— Qu’est-ce que tu manigances encore !

— T’occupe pas.

Le soir descend en culotte de velours lorsque je stoppe à Montfort-l’Amaury. Nous avons bien roulé et je suis vanné. C’est un vrai bagne que ce métier, je vous le dis. N’achetez jamais à vos lardons une panoplie de matuche, ça risquerait de leur cloquer des complexes. Ils bicheraient la vocation. Et vous vous voyez, père ou mère de flic ?

Je retrouve la casba telle que je l’ai laissée la nuit dernière, avec, toutefois, un détail différent. Ce détail, c’est le cadavre de Geneviève qui gît en travers du tapis, devant la cheminée. Elle a une praline dans la tempe et le revolver, un 7,65 est encore dans sa main droite.

— M… ! dit le Gros, en utilisant poliment un point de suspension après le « M », comment que t’as su qu’elle était là ?

— Le rêve, quand on tue quelqu’un, c’est de le « suicider », Gros. Seulement, c’est le genre de truc qu’on ne peut pas faire n’importe où. Une maison tranquille convient parfaitement à cette besogne. Il ne pouvait pas la tuer dans son appartement de Paris puisqu’il savait que nous la recherchions. Alors il l’a amenée ici !

— T’es certain qu’elle s’est pas envoyée dehors elle-même ? objecte le bouffi.

— Elle serait venue ici comment ? À pied ?

— Elle a pu prendre un taxi ou…

Il se tait.

— Vise !

Un feuillet de papier est en évidence sur la cheminée. Il m’est adressé. Je lis :

« Monsieur le commissaire San-Antonio,

« Pardonnez mes folies de la nuit. J’ai menti. Je préfère disparaître…

Geneviève C… »

— Tu vois qu’elle s’est bel et bien suicidée ! triomphe le Gros.

Je me garde bien de lui répondre car je ne disperse pas mon attention dans les cas graves. Cette attention est exclusivement consacrée à l’étude de la lettre. Ne connaissant pas l’écriture de Geneviève Coras, je ne puis déterminer s’il s’agit ou non d’un faux. Ce que je sais, par contre, c’est que ceci a été écrit sur du papier vergé, au moyen d’un stylo empli d’encre verte. Je me mets à fouinasser dans la casba ; et je ne trouve ni papier vergé, ni stylographe, ni encre verte.

— Bon, préviens les services compétents et filons ! lancé-je à mon valeureux compagnon.

Le Gros ne répond pas. Un ronflement n’a jamais été considéré comme un acquiescement valable, n’est-il pas vrai ?

Il s’est endormi auprès du cadavre, et rêve si j’en crois les bruits qu’il émet, aux vingt-quatre heures du Mans.

Alban Désacusaix s’est forgé une défense pendant que je le laissais mariner dans la volière. Une défense qu’il croit d’éléphant, mais que je déchire comme une défense d’afficher.

— Alors, commissaire, satisfait de ces investigations ?

— Très satisfait, maître.

— Vous avez découvert ce que vous cherchiez ?

— La preuve…

Je lui colle sous le pif un mandat d’amener en bon uniforme, comme dit Béru, fraîchement rempli par le juge d’instruction. Alors là, si vous n’avez jamais vu d’Opéra de Verdi, vous allez voir mon client !

— Que… quoi… Vous m’arrêtez ?

— Sous l’inculpation de meurtre, parfaitement, et aussi de tentative de meurtre. Meurtre sur la personne de Geneviève Coras, tentative de meurtre sur celle de Gilbert Messonier. Et pour ce dernier, j’entends par tentative, celle que vous avez perpétrée ce matin en profitant de son inconscience pour lui cisailler les poignets, non de celle constituée par la façon dont vous l’avez laissé condamner à mort en le sachant innocent !

— Innocent, lui !

Il a encore la force de ricaner, le blablateur diplômé ! Alors je n’y tiens plus. La fatigue, les nerfs, l’occasion, l’herbe tendre et quelques diables aussi, me poussant, je lui file mes empreintes digitales sur le portrait Les cinq à la fois.

Vlan !

Ça lui stoppe l’hilarité.

— Suffit, mon salaud ! Tu vas te mettre à table, sinon je t’annonce une séance comme tu n’en as jamais imaginée, même au plus fort de tes cauchemars.

Les intellectuels redoutent les coups ! S’ils ne se dégonflent pas pour un oui, ils se déballonnent toujours pour un gnon.

CHAPITRE XX

— Il est lucide, mais ne l’interrogez pas trop longuement, recommande le toubib.

Je m’approche de Messonier. Le pauvre bougre est exsangue dans son lit. Je fais signe au planton de quitter la chambre, car je désire demeurer seul avec mon gars. L’agent hésite, mais il obéit. Il se dit qu’après tout, si j’ai envie de finir le condamné, ça me regarde.

— Je sais tout, Gilbert, fais-je en m’asseyant à son chevet.

— Comment ?

— J’ai tout découvert, suivant la promesse que je vous ai faite hier dans votre cellule. Et pour vous le prouver, je résume…

« Vous n’étiez pas l’amant de Geneviève Coras, mais seulement son fournisseur de drogue. Son véritable amant, c’était Alban Désacusaix, qui devint par la suite votre avocat. Le trop fameux samedi des meurtres, Geneviève est allée à Neauphle chercher sa drogue. Pendant qu’elle se trouvait en votre compagnie, un homme est arrivé chez vous, votre pourvoyeur, je suppose. Vous avez eu une discussion avec ce type et l’avez tué. Geneviève s’est affolée. Elle a eu peur du scandale. Elle a alors téléphoné à son amant, puisqu’il était avocat, afin de lui demander conseil. Désacusaix lui a dit de rentrer chez elle, et à vous, il vous a recommandé de ne rien faire. D’après lui, il fallait laisser l’homme dans la cave où il gisait. Vous deviez emmener l’auto de votre victime loin de chez vous, sur la route de Lille, revenir chercher votre propre auto et rentrer à Paris à votre domicile. Geneviève et vous avez obéi. Désacusaix est un homme sans scrupule qui vivotait à l’époque. Son cabinet ne marchait pas.

« Avocat sans causes, il était alors traqué par ses fournisseurs. Comprenant le parti qu’il pouvait tirer de la situation, il s’est rendu chez le mari de Geneviève Coras afin de le faire chanter. Sa femme impliquée dans une affaire de meurtre et de drogue, c’était la fin du diamantaire. Moyennant la forte somme, le cher maître lui a proposé d’arranger le coup. Seulement Coras n’était pas une lavasse, de plus il était, aux dires de sa domestique, très jaloux. Il s’est emporté, a accusé l’autre de chantage. Bref, Désacusaix a perdu la tête et a fracassé celle de son antagoniste, puis celle du père Coras qui radinait à la rescousse… Vous me suivez ? »