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Je réussis une moue qui impressionnerait un dur.

— Il n’y a que dans les romans d’avant quatorze qu’on apportait la grâce du condamné après qu’il ait bu le verre de rhum ! Pour sauver Messonier, il faudrait un élément nouveau !

— Mais n’en constitué-je pas un ? s’indigne mon interlocutrice.

— Oui et non. Supposez, madame Coras, que vous n’ayez pas été la maîtresse du condamné et que vous veniez déclarer : j’ai vu ce monsieur à Neauphle à l’heure du crime, alors peut-être ces messieurs réagiraient-ils. Mais vous reconnaissez qu’il était votre amant. Ils ne verront dans cette confession tardive qu’une ultime manœuvre pour sauver l’homme que vous aimez !

Elle approuve mon raisonnement d’un hochement de tête.

— Oui, je vois. Le cauchemar continue décidément. Est-ce que vous me croyez au moins, VOUS, commissaire ?

Je la regarde. Ce que j’aimerais lui mordre les lèvres et titiller ses paupières avec mes cils ! Mais si je lui proposais une séance récréative en ce moment, elle penserait que les perdreaux sont des rigolos !

— Je ne sais pas, avoué-je, loyalement.

— Alors vous pensez que je mens ?

— Je ne pense rien. Ou plutôt, je pense beaucoup trop de choses, ce qui revient au même. Mais peu importe, mon opinion personnelle ne change rien à la situation.

— Vous me déconseillez de répéter en haut lieu l’aveu que je vous ai fait ?

— Dans votre propre intérêt, oui. Tout ce que vous obtiendriez, c’est qu’on vous mette sur la sellette afin de voir dans quelle mesure vous avez pu participer aux meurtres !

— Mais c’est terrible !

— Ça l’est.

— Il n’existe donc aucun moyen de sauver la tête de Gilbert ?

— Si, un seul.

— Lequel ? Dites vite, monsieur le commissaire.

Je murmure à regret car j’ai conscience d’énoncer une énormité :

— Découvrir l’assassin avant demain et obtenir ses aveux.

Le silence qui s’établit alors n’est troublé que par la voix majestueuse comme une corne de brume de Béru. Repu de tripes, tripe lui-même, mon valeureux coéquipier laisse s’exhaler son contentement stomacal heureux, parce que plein. Lyrique parce qu’assouvi, le Gros chante un hymne altier dans lequel, puisque nous sommes dans une affaire de joaillier, il est question de trois orfèvres en visite chez trois de leurs confrères. Ces honorables visiteurs se comportèrent, assure le chant bérurien, avec beaucoup de délicatesse à l’endroit (et à l’envers) de la famille de leurs hôtes, ce qui leur valut une réclamation de la servante qui avait assisté à ces démonstrations. Ils souscrivirent d’emblée à la requête ancillaire, au grand dommage d’une table peu solide d’où ils chutèrent, sans que leur optimisme en fût pour autant affecté. Béru affirme de son timbre sonore qui appelle l’orage et fêle les vitres que les trois négociants en bijouterie montèrent sur le toit de la maison afin de prodiguer des caresses très poussées au chat.

Mme Coras ne paraît pas suivre les péripéties de l’odyssée en question. Le regard fixe, les narines pincées, elle murmure :

— Monsieur le commissaire, j’ai lu vos exploits dans la presse. Je sais ce dont vous êtes capable ! Il faut que vous découvriez les vrais coupables.

CHAPITRE III

Un type à principes, comme Archimède par exemple, demanderait à la veuve Coras si elle prend sa poire pour un quart de Brie et lui conseillerait d’aller cultiver le pois de senteur sur la tombe de son défunt. J’ai déjà vécu des moments pas ordinaires, vous le savez ; et si vous le savez pas il vous suffit de ligoter les tomes (de Savoie et autres) sortis de mes presses pour vous en convaincre (un convaincu valant un vainqueur). Mais des moments comme icelui étaient jusqu’à présent inconnus au bataillon. J’ai rencontré à travers le vaste monde (quarante mille kilomètres de tour de taille) et le long de ma vie bien des femmes exigeantes. Des qui me demandaient de remplacer leur mari au pied levé ; des qui exigeaient que je les tire d’une situation embarrassante ; des qui voulaient ceci et d’autres qui réclamaient cela et toujours je me suis ingénié à satisfaire à la demande. C’est mon côté S.V.J. mitigé Terre-Neuve. Retroussez vos manches, ça ira mieux ! Et en avant marche ! comme disent les pontonniers. Mais une souris déguisée en pin-up qui, à six heures du soir, vient vous avertir que le quidam qu’on doit raccourcir à cinq plombes du mat le lendemain est innocent et vous supplie de découvrir le vrai assassin dans l’intervalle, franchement les gars, c’est la première fois que j’en trouve une !

Si la peau d’un homme n’était pas en jeu, et si la quémandeuse était moins bien roulée, je l’inviterais à aller se faire prouver ailleurs que l’homme n’est pas seulement un roseau pensant. Mais voilà… Vous comprenez ? Deux yeux limpides et pathétiques frangés de longs cils comme on dit dans les romans pour jeune fille humide, ça vous chanstique la volonté, vous court-circuite la raison et vous donne envie de capturer l’Himalaya et de l’emmener promener en laisse.

— Je vous en supplie, monsieur le commissaire, essayez au moins…

Sa bouche entrouverte sur des dents éclatantes promet tout ce qu’on veut bien imaginer. Je gamberge un brin, manière d’étudier comment ça se présente. Une enquête éclair. Une enquête de nuit… Une enquête contre la montre. Une enquête en marche arrière, quoi ! façon écrevisse. Écrevisse polka !

Après tout, j’ai rendez-vous ce soir avec une charmante dame qui n’a plus rien à me donner, sinon l’heure de sa montre-bracelet (et j’ai déjà celle de Radio-Luxembourg). Je peux donc remettre à plus tard cette conversation au sommet ! Surtout que lorsque vous avez rencontré trois fois une dame comme c’est le cas, une première pour lui offrir l’apéritif, une seconde pour lui offrir votre cœur et une troisième pour lui faire réciter en javanais la liste des départements d’outre-mer, vous pouvez jeter votre dévolu sur une autre, à condition que ce soit un dévolu normalement constitué bien entendu. Et puis, le plaisir d’une soirée peut-il entrer en ligne de compte lorsqu’il s’agit de sauver la tronche d’un homme ?

— Très bien, madame, déclaré-je, magnanime, je vais essayer.

Elle a un geste, que dis-je : LE geste (en anglais the geste). Geneviève Coras quitte son siège et pose sa main fine sur mon poing. En même temps, son regard se branche sur le mien comme une fiche-banane dans une paire de douilles.

— Merci ! dit-elle, car elle joue sobre.

Je m’ébroue. Il me semble que je viens de dégringoler dans une flaque d’extase. Comme la mère Manon j’en suis tout étourdi.

— Seulement, fais-je, je vais vous demander de ne pas me quitter.

Croyez-moi, bande de lanturlus, c’est pas par salacité que je subordonne cette condition signée Cadum à mon acceptation, mais bien parce que la collaboration effective de Geneviève Coras m’est indispensable. Comprenez : elle est le dénominateur commun de l’affaire. Femme de la victime, maîtresse du condamné ! Ce sont des titres, ça, qui lui donnent droit, non pas à une place assise dans le métro ou à une réduction sur les chemins de fer, mais à m’assister.

— Je suis à vous ! rétorque-t-elle noblement.

Elle réalise la hardiesse de la réplique et la tempère aussitôt.

— … pour vous fournir tous les renseignements et toute l’aide qui vous seront nécessaires.

Je fais claquer mes doigts. C’est le coup d’envoi, les mecs. À moi de jouer ! Si vous craignez les émotions fortes, courez échanger ce livre contre les recettes végétariennes de tante Irma parce que je vous annonce que ça va barder !

— Voulez-vous m’attendre ici un moment, madame Coras ?

— Certainement.