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— Non, c’est « Salmon et Olida » réfléchit Béru. Et brusquement, c’est le gros éblouissement façon Wonder. Sa mémoire fait tilt.

— J’y suis, « Samson et Dalida » !

Triomphant, il extirpe de sa poche sa pipe en écume de mer et la bourre à crever.

— La fumée ne vous dérange pas ? demande-t-il galamment en frottant une allouf.

Geneviève Coras esquisse un petit signe peureux.

— Celle de la pipe, si, dit-elle.

— Eh ben, ma pauv’dame, je vous plains, conclut le Gros en tétant son tuyau d’ambre et en soufflant un nuage derrière lequel trois contre-torpilleurs et deux dragueurs de mines pourraient se dissimuler.

— Inspecteur Bérurier, tonné-je, je vous prie de décamper !

Le Gros me décerne une œillade vénéneuse et se retire en proférant des vœux de malheur.

Me revoilà seulâbre avec la ravissante.

Je mate ma montrouze. Elle dit catégoriquement six heures dix et en chiffres romains s’il vous plaît.

— Vous paraissez désolé, remarque la jeune femme en se tapotant délicatement les narines avec son mouchoir en boule.

— Ma foi, préféré-je avouer, il n’y a pas de quoi se montrer optimiste, je viens d’en référer au grand patron et il m’a reçu plutôt fraîchement.

— Il ne veut pas que vous vous occupiez de l’affaire ?

— Il refuse d’intervenir pour faire remettre l’exécution. Or, soyons tout de même réaliste, madame. Je ne puis faire une contre-enquête cette nuit avec des chances de succès !

Il y a soudain comme du désespoir dans l’air. La poitrine de Geneviève pilpate. Charmant ballet laitier auquel pourtant je n’ai pas le cœur d’accorder trop d’intérêt. Nous vivons un peu les affres du condamné à mort qui moisit dans sa cellote. Pourquoi a-t-il chanté sa grande sérénade de la carpe à mes potes, au lieu de se défendre ? De deux choses l’une : ou bien il est coupable et la môme me bourre le mou ; ou bien il est innocent et son mutisme incroyable cache quelque chose de pas banal.

Le bigophone intérieur grelotte. Je vole à son secours et réchauffe l’écouteur contre mon oreille. La voix métallique du Vieux me dégouline dans le tout-à-l’égout.

— San-Antonio ?

— Oui, patron.

— Mes zèbres viennent de partir. J’ai réfléchi à votre histoire. Si vous y tenez, vous pouvez rendre visite au condamné, j’ai donné des instructions en conséquence.

Je l’embrasserais en plein sur sa calvitie, le Dabuche, s’il se trouvait à portée. C’est tout lui, ça. Le genre impitoyable, le style grincheux, et puis pas mauvais bourrin dans le fond.

— Si vous avez un élément vraiment nouveau et très important, vous pourrez me prévenir chez moi.

— Merci, patron, vous êtes un…

Il ne me laisse pas le temps d’achever et raccroche.

— Un… vieux fumelard, terminé-je, en posant à mon tour le passe-sirop sur son râtelier.

Excité, je me tourne vers la môme.

— Je vais essayer de faire quelque chose pour lui, madame Coras, mais ne vous réjouissez pas trop vite !

— Oh ! mon Dieu, est-ce possible !

— Venez !

— Où allons-nous ?

— À la Santé pour commencer, dis-je, je vais dire un mot à Messonier.

Elle frissonne, blêmit, et murmure d’une voix inaudible :

— Moi aussi ?

Qu’est-ce qu’elle croit, la chérie, que l’administration va lui offrir une dernière nuit d’extase avec son ancien Jules ? Elle se fait des berlues ! Je vois d’ici le tableautin : M. de Paris s’annonçant demain matin pour réveiller Messonier et trouvant le condamné à mort dans les bras d’une pépée carrossée par Chapron.

— Hélas, vous devrez m’attendre dans la voiture, déclaré-je. Car vous devez bien comprendre que…

Elle branle le chef.

Oui : elle comprend !

CHAPITRE V

— Dites-lui… Dites-lui…

Elle a les yeux humides et sa voix se bloque. Je lui pose la paluche sur le genou, cordialement.

— Allons, madame Coras, du courage !

Elle a un adorable petit mouvement de menton, très lieutenant de Saint-Cyr saluant son général. Elle est crâne, cette môme. Je déhote de ma tire après avoir branché la radio de manière qu’elle ait son taf de publicité Monsavon pendant mon absence.

Les fortes lourdes de la Santé (à la bonne vôtre !) s’entrouvrent sur ma personne. Je déboule mon ausweiss au préposé et j’ai droit à une entrée gratuite pour la manufacture des portes et serrures. Un gardien-chef qui méprise son foie, si j’en juge à la coloration de son tarin, me conduit dans le quartier des condamnés à mort.

L’endroit est assez déprimant lorsque l’on songe à ce qui attend les locataires du coinceteau. Mon guide aborde un de ses collègues et l’affranchit sur mon identité. L’autre cligne de l’œil.

— Vous voulez essayer d’obtenir des confidences avant qu’il y aille du cigare, m’sieur le commissaire ?

— Y a de ça !

Il secoue sa bouille de méduse blafarde.

— M’étonnerait que vous y arrachiez une broque. J’ai jamais vu un client aussi silencieux ; lui, c’est la muette sur toute la ligne !

— Que fait-il ?

— Il bouquine, des livres pieux surtout. On dirait qu’il est touché par la foi. C’est souvent que ça arrive à nos pensionnaires. Quand ils réalisent que c’est scié pour eux en bas, ils se tournent vers en haut. Vous pouvez pas savoir ce qu’on Lui envoie comme clients, au Barbu !

Et de rire. Je le mate tristement en songeant qu’il y a des zigs qui gagnent leur vie bizarrement. Ainsi ce monsieur. Il garde des suppliciés en puissance avec un optimisme délirant, et ça ne lui donne même pas à réfléchir. Il vit dans une agonie générale en faisant des calembours. Je sais bien qu’il en faut, mais tout de même j’aime mieux ma place que la sienne bien que dans le fond ce soit moi qui l’approvisionne en matière première.

Seulement, si mon turbin c’est l’épopée, le sien c’est Borniol.

— Alors, je vous annonce ? plaisante l’escogriffe au teint d’endive.

— Oui.

— Vous voulez voir le client avant d’entrer ?

Il fait coulisser le volet d’un judas.

Je m’approche de l’ouverture et je fais un plan au Pancinor sur la cellule. L’endroit est aussi folichon qu’un caveau de famille un jour de pluie. Messonier, vêtu de bure comme il se doit (pourquoi ce carnaval macabre, grand Dieu !) est assis à une petite tablette scellée dans le mur. Il lit. Je ne le vois que de profil et je trouve icelui émouvant. Il a un beau visage triste et résigné, des cheveux blonds, un nez harmonieux. La façon dont il tient sa tête dans sa main est élégante. On sent le garçon racé. Je suis fasciné par sa nuque délicate. Demain à l’aube…

— Je vous ouv’ ?

— Allons-y !

La porte grince légèrement. Ce bruit rouillé éveillera sûrement Messonier au petit jour car il doit avoir le sommeil fragile comme du cristal de Bohême, le pauvre chéri.

Il détourne la tête pour faire face à l’arrivant. Les yeux sont bleus, calmes, attentifs.

— Une visite pour vous ! annonce le porte-clés.

Gilbert Messonier referme son bouquin après avoir toutefois regardé le numéro de la page.

Nous voilà en tête à tête. Il a l’air surpris. Évidemment, excepté ses gardiens et l’aumônier, il ne reçoit pas bézef de visiteurs.

— Monsieur ?

Je lui souris gentiment.

— Commissaire San-Antonio, annoncé-je.

Il se lève et me désigne le tabouret qu’il vient de quitter.

— Si vous voulez vous asseoir, je n’ai que cet escabeau à vous proposer et encore est-il enchaîné au mur.