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— Vous n’êtes pas au courant ?

— Non.

— Avant son arrestation, il se droguait vilain. Une fois au gnouf, la farine lui manquait, on a dû lui faire un petit traitement à l’hosto de la maison. C’est depuis qu’il s’est lancé dans la bigoterie.

Je me dis que voilà un précieux renseignement. Je file un nouveau coup de sabord à ma tocante. Il est sept heures vingt. Ce que le temps passe !

— À la revoyure, dis-je au gardien.

— Vous venez demain matin à la partie de coupe-cigare ? demande-t-il en enfournant le solde de sa tartine.

— Non, je préfère les films de Fernandel.

Il se gondole.

— Pourtant y a des amateurs. La bécane à Chariot, ça faisait recette avant Petiot, quand on raccourcissait sur le Boulevard…

Je gamberge un chouïa avant de serrer la paluche fromageuse du gardien.

— Peut-être reviendrai-je avant, le préviens-je.

— Vous êtes tenace, M’sieur le commissaire, remarque-t-il. Je vois que vous n’avez pas dit votre dernier mot.

— C’est plutôt Messonier qui n’a pas dit le sien, rectifié-je en m’en allant.

CHAPITRE VI

Comme je m’apprête à passer le porche de la Grande Cabane, un fourgon noir y pénètre, m’obligeant à me plaquer contre le mur. Le frère portier me cligne de l’œil :

— V’là le massicot, annonce-t-il avec bonhomie. On en a un qui se fait opérer des amygdales demain matin !

Je lui rends son sourire, dans des tons un peu forcés, et je vais rejoindre Geneviève. La jeune femme semble plongée dans un état dépressif assez inquiétant. Je suppose que la proximité de la prison n’est pas étrangère à cette délectation morose.

— Vous l’avez vu ? demande-t-elle.

— Oui.

Elle a cette question machinale, qui en l’occurrence revêt un sens tout particulier :

— Comment va-t-il ?

— Pas mal, assuré-je en pensant au fourgon noir. Il donne dans la religion, ça le fortifie.

— Qu’a-t-il dit ?

Je coule mon index préféré sous son menton, ce qui fait qu’elle a le menton indexé, et je l’oblige à me regarder.

— Il assure que vous m’avez menti, madame Coras, et il réitère ses aveux.

— Mais c’est insensé !

— C’est ce que j’ai tâché de lui expliquer, mais il n’a pas voulu comprendre. Il m’a chargé de vous remercier pour cette courageuse tentative…

Elle échappe à mon doigt comme un faucon qui lâche le gantelet d’un fauconnier pour s’envoler.

— Alors tout est perdu ?

— Ça m’en a l’air, hélas.

Je reste un instant flottant derrière mon volant. J’évoque la figure triste de Messonier. Il est sympa, ce gars-là, dans le fond Son histoire, je la connais mieux que personne, du moins son histoire mentale. C’était le fils à papa-général qui s’em…nuyait chez ses vieux La troisième personne du subjonctif, les baise-pognes aux daronnes, les dîners avec Monseigneur Balandard et les vêpres du dimanche lui pesaient sur la tomate. Il a voulu s’esbaudir, ramasser du fric pour le claquer avec des nanas faites exprès pour ça. Il est devenu peu à peu un dévoyé. Il est sorti des rails, Gilbert. Une couennerie en amenant une autre, il est passé de l’autre côté de la barricade. Et total, maintenant il attend la tondeuse ! Pourquoi ? Parce qu’il n’était pas doué pour la mauvaise vie. Il restait fils de général dans son subconscient et quand la catastrophe lui a chu sur le naze, il s’est débrouillé comme un manche. Un vrai malfrat aurait réussi à se tenir au propre et à berlurer les guignols, mais pas lui.

Je coule un regard oblique à la pendule du tableau de bord. Ces aiguilles qui grignotent les derniers instants de Messonier me font mal.

— Dites-moi, madame Coras, qu’est devenue la jeune bonne qui se trouvait à votre service au moment du crime ?

Elle paraît surprise par ma question.

— Je l’ignore.

— Vous l’avez renvoyée ?

— Non, elle m’a quittée deux mois plus tard pour se marier.

— Il serait important que j’aie un entretien avec elle. Où peut-on la dénicher ?

Ma compagne réfléchit.

— Ses parents étaient épiciers à Montfort, ce sont eux du reste qui m’avaient casé Hélène.

— Alors, en route !

— Nous allons à Montfort ?

— Oui.

Elle n’objecte rien, mais je la sens pleine de réprobation. Naturlich, elle pense que les minutes sont comptées et ce petit voyage lui paraît superflu. Pour créer l’ambiance, je remets la radio que ma douce cliente avait stoppée en mon absence. On tombe pile sur les informations. Paraît qu’aux States ils viennent de lyncher un nègre qu’avait eu le toupet de faire de l’œil à une tapineuse de race blanche. Cette nouvelle n’est pas faite pour nous remonter le moral. Y a des jours où l’humanité est vraiment malade ! Ces Noirs amerlocks devraient venir s’installer chez nous, vu que les nanas de par ici s’en ressentent pour leur pomme. J’ai jamais compris qu’on fasse tant de giries pour un pauvre viol de rien du tout. N’est-ce pas la meilleure chose qui puisse arriver à une dame ? Il y a tellement de petites hypocrites qui hésitent à se faire composter par un colored man ; si le gars fait ça d’autor, l’intéressée a tout le plaisir de l’étreinte sans en avoir la responsabilité, non ? C’est tout bénef. Mais au lieu de remercier le bougnoul pour son esprit d’initiative, ces garces font du foin et appellent la garde. Conclusion ; les petits dessalés se retrouvent au bout d’une corde comme des glands style Louis XI, ce qui n’est pas fait d’ailleurs pour calmer leur ardeur si j’en crois la légende.

En effet, c’est inouï le nombre de messieurs qui aimeraient être pendus, du moins un petit moment !

Il est plus de huit plombes lorsque nous débarquons — à tombeau entrouvert — dans l’aimable localité de Montfort-l’Amaury.

Le patelin somnole dans la torpeur veloutée du crépuscule (c’est bath d’avoir du style).

— La petite rue à droite ! indique Geneviève.

J’oblique. L’épicerie est là, dans un renfoncement. C’est de l’établissement modeste, avec des bocaux de bonbons collés, des salades flétries, des oranges gâtées et des bouteilles d’eau de Javel.

Un timbre cristallin laisse tomber une note disloquée dans la pénombre du magasin où flottent des relents de frometon attardé.

Une vioque avec des cheveux blancs, des dents noires et un fibrome en bandoulière vient d’une arrière-boutique poussiéreuse encombrée de caisses et de cageots.

— Ces messieurs-dames ? qu’elle fait en dispersant des senteurs aillées.

Geneviève s’avance. La daronne l’identifie.

— Oh ! Madame Coras, susurre la marchande de flétrissures.

Poignée de pogne déférente, roucoulade, et comment-que-ça-va-moi-ça-va-sauf-mon-mari-qu’à-son-asthme-qu’empire. Je commence à me faire tartir.

— C’est votre nouveau monsieur ? demande la peseuse de denrées pas fraîches.

Geneviève est very choquée. J’interviens.

— Je ne suis hélas que l’homme d’affaires de Mme Coras. Nous voudrions voir votre fille afin de lui demander certains renseignements remontant à l’époque où elle était en service chez madame.

— Ah oui !

Ça lui paraît insolite sur les bords, mais elle rengaine ses objections et va les déposer dans le tiroir au gros sel.

— Où est-elle ? insisté-je en souhaitant de toute mon âme que cette dernière ne soit pas partie au Gratemoila ou à la Terre de Feu.

— Elle tient le café de la Place, sur la place, révèle la marchande de camemberts dédaignés.

— Merci.

— Vous allez la trouver changée, avertit-elle.