Выбрать главу

— Alors, les filles, on papote ? Je ne vous dérange pas, au moins ? ricane-t-il. Je suis venu vous réchauffer…

111

Gabriel se leva un instant pour remettre une bûche dans l’âtre. Ce qu’il venait d’entendre résonnait en boucle dans sa tête, tel un écho maléfique. Il revint près de Tayri, lui adressa un sourire rassurant. Un sourire pour l’encourager à continuer sa confession.

— Le type, il voulait coucher avec moi, que je devienne comme sa femme…

— Je vois, acquiesça Gabriel.

— J’ai refusé… Alors, une nuit, il a débarqué dans ma chambre pendant que je dormais et il m’a forcée.

— Tu t’es défendue ?

— Au début, non, avoua Tayri. Je sais, c’est…

— Tu n’as pas à te justifier.

— Il était beaucoup plus vieux que moi, mais il avait encore de la force ! Et puis j’étais comme… paralysée par la peur. Il pouvait peut-être me jeter dehors ou bien appeler les flics pour me dénoncer ! Avec le recul, je sais que c’est idiot, mais…

— Mais ça faisait des années que tu étais traitée comme une esclave, enchaîna Gabriel, et donc, tu as continué à te comporter comme une esclave.

Elle baissa la tête.

— Tu ne dois pas t’en sentir coupable, reprit Gabriel. Il faut du temps pour casser ses chaînes. Il faut du temps et parfois, il faut de l’aide.

— Ça a duré pendant des mois, poursuivit Tayri. Chaque nuit, il venait. Chaque nuit, ça recommençait. Je vomissais dès qu’il quittait la chambre. Je ne souriais plus, je ne mangeais plus, mais il s’en foutait, ce vieux salopard ! Et puis une nuit, j’ai décidé de me révolter. C’est dingue que ça m’ait pris autant de temps ! Quand j’y repense…

— Tu l’as tué ?

— Non ! Je… Je l’ai frappé. Du coup, lui aussi, il m’a frappée. C’était la première fois qu’il levait la main sur moi. Il a eu le dessus, je n’ai rien pu faire. Alors, le lendemain, j’ai piqué un couteau dans la cuisine et je l’ai planqué sous mon oreiller. Et quand il est venu, je l’ai menacé. Il m’a enfermée dans la chambre, il a appelé Mejda et il a dit qu’il ne voulait plus de moi, parce que je n’étais pas assez…

— Docile ? supposa Gabriel.

— C’est ça, oui…

Il hocha la tête.

— Tu as quel âge, au fait ? demanda-t-il.

— J’aurai dix-huit ans dans deux mois.

— Tu es plus jeune que je ne le pensais. Mais certaines choses font vieillir plus vite… Qu’a fait cette Mejda lorsqu’elle t’a récupérée ?

— Elle m’a obligée à travailler pendant quelques mois chez différentes personnes, différentes familles… Deux jours par semaine, j’étais employée dans un pressing tenu par une de ses copines. Je bossais, elle encaissait.

— Elle aussi, t’a maltraitée ?

— Cette femme, c’est une véritable ordure ! Si je faisais la moindre chose de travers, je me prenais des gifles, des coups. Elle me brûlait la peau avec des briquets, des allumettes… J’ai vite compris qu’il valait mieux que je me tienne à carreau. Pas de vagues, pas de rébellion… Juste le désespoir et la peur. Tous les jours, se dire que ça ira mieux demain. Que ça finira bien par s’arranger… Sauf que ça ne s’arrange jamais. Ça ne fait qu’empirer.

Tayri ne put retenir quelques larmes, qu’elle chassa bien vite de son visage.

— Tu dois me trouver pitoyable, non ?

— Pitoyable ? répéta Gabriel. Tout sauf pitoyable… Si tu es là aujourd’hui, c’est que tu as réussi à te sortir des griffes de cette femme !

— C’est un peu plus compliqué que ça… il faut que je refasse ton pansement, non ?

Il la dévisagea avec un petit sourire.

— Ça attendra. Et je suis content que tu me tutoies de nouveau, répliqua-t-il en allumant une cigarette.

Il lui en proposa une, elle refusa d’un signe de la main.

— Il y a quelques semaines, Mejda a disparu pendant quatre jours. Elle m’avait enfermée dans sa loggia… Quand elle est revenue, elle m’a dit qu’elle était allée à Montpellier et m’avait trouvé un nouveau travail là-bas. Ça m’a angoissée, mais je me suis dit que j’allais enfin être débarrassée d’elle… Et puis, Montpellier, c’est plus près du Maroc, plus près de chez moi. J’allais peut-être avoir une solution pour rentrer dans ma famille ! Alors, j’ai pris mes affaires et on est parties toutes les deux dans sa voiture…

112

Greg tourne autour d’elles, prêt à fondre sur sa proie. Mais qui sera sa proie, cette nuit ?

Il a verrouillé la remise avant de glisser la clef dans la poche de son jean. Simple précaution.

Il se poste devant les deux jeunes femmes, laissant son regard aller de l’une à l’autre.

Tayri connaît cet homme au travers des paroles de Tama. Elle sait de quoi il est capable.

— Tama t’a raconté qui je suis ? lui demande Greg.

— Non, murmure-t-elle.

— Vraiment ? s’exclame Greg. Ça m’étonne d’elle ! Elle n’a jamais su fermer sa grande gueule…

— Elle ne m’a rien dit, jure Tayri. Qui êtes-vous ?

— Un ami de Mejda, prétend-il.

— Les porcs aiment frayer avec les porcs ! crache Tama.

— Tu vois, je t’avais bien dit qu’elle ne savait pas fermer sa gueule, soupire Greg en dévisageant Tayri. C’est quoi, ton nom ?

— Tayri.

— C’est joli… Ça veut dire quoi ?

— Amour, répond la jeune femme.

— Oh… Voilà un bon présage ! rigole Greg. Tu sais pourquoi tu es là, mon amour ? Dans trois jours, quelqu’un viendra te chercher. Quelqu’un viendra t’acheter, pour être plus précis. Pas très cher, mais il paraît que tu ne vaux pas grand-chose…

Les muscles de Tayri se contractent.

— C’est un pote à moi. Devine ce qu’il fait dans la vie ?

Elle commence à trembler légèrement, Tama prend sa main pour lui insuffler du courage.

— Il achète des filles et les fout sur le trottoir. On appelle ça un proxénète, un proxo, un mac… Bref, tu vas faire la pute à Marseille ou à Nice. Il va t’acheter quelques milliers d’euros. Ça nous fera un peu d’argent de poche à Mejda et à moi. Ça tombe bien, fallait que je fasse changer les pneus de ma bagnole…

Le visage de Tayri se décompose, Greg esquisse un sourire féroce.

— T’es vraiment qu’un fumier ! balance Tama.

Il tourne la tête vers elle, mais Tama ne baisse pas les yeux.

— T’as pas assez dérouillé tout à l’heure ? la menace-t-il. T’en veux encore ?

— Va te faire foutre ! hurle Tama.

Le jeune homme regarde leurs mains jointes, son sourire s’élargit. Il s’intéresse de nouveau à Tayri.

— Tu veux bien que je sois ton premier client, mon amour ? lui demande-t-il d’une voix mielleuse. Faut que tu t’entraînes à tailler des pipes pour ton futur boulot !

— Non ! gémit Tayri. S’il vous plaît…

— Non ? répète Greg en fronçant les sourcils. Je déteste qu’on me dise non, tu sais…

Il approche sa bouche de l’oreille de Tayri et murmure :

— Soit tu acceptes, soit je défonce la tronche de ta nouvelle petite copine. Tu ne voudrais pas ça, non ?

113

— Alors, j’ai accepté, avoua Tayri. J’ai accepté de le suivre jusque dans la maison, puis jusque dans sa chambre…

Gabriel jeta sa cigarette dans la cheminée. Lui qui se croyait à toute épreuve… Lui qui dans les forges de la douleur, pensait s’être façonné une armure inaltérable… Lui, en train de vaciller. Lui, touché plein cœur.