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Touché, blessé, mais pas encore mort.

— Tama hurlait, elle a même tenté de le cogner, de l’arrêter… Pourtant, elle tenait à peine debout. Tama, elle est incroyable… !

Gabriel avala un nouveau cognac. Ça l’aiderait peut-être à encaisser. À supporter l’insupportable.

— Il a été… Enfin, tu imagines, poursuivit Tayri. Il m’a frappée, il m’a insultée, il m’a fait des tas de choses, toutes plus dégueulasses les unes que les autres… Ensuite, il m’a ramenée dans la remise. Et c’est Tama qui m’a consolée.

Ses yeux de jade s’emplirent de larmes, elle cacha son visage entre ses mains.

— Tama ! sanglota-t-elle. Mon Dieu, Tama…

Gabriel hésita un instant puis caressa ses cheveux avant de l’attirer contre lui. Avec son bras valide, il la serra aussi fort qu’il put.

— Je suis là, maintenant, murmura-t-il. Je suis là…

— Jusqu’au matin, j’ai pleuré dans ses bras. Elle me disait qu’elle avait vécu la même chose, toutes les nuits depuis des semaines et des semaines. Qu’elle savait ce que je ressentais. Qu’il fallait que je sois forte. Qu’elle allait m’aider autant qu’elle le pourrait…

Gabriel ferma les yeux.

À cette seconde, Tayri avait la voix de Lana. Elle était Lana.

Elle était la voix de l’horreur, de l’indicible et de l’intolérable.

La voix des esclaves.

À cette seconde, terrible, Tayri était toutes les femmes blessées, torturées. Elle était leur douleur, leur souffrance, leur courage. Leurs larmes et leur désespoir.

Tayri était l’enfance bafouée, volée, abandonnée.

Elle était les échines courbées, les rêves brisés, les détresses silencieuses, les longues nuits de solitude.

Elle était les appels au secours qu’on n’écoute pas, les cris qu’on n’entend plus.

Tayri était le monde tel qu’il est, tel qu’on refuse pourtant de le voir.

114

Izri est arraché à son sommeil par des bruits étranges. Vêtu d’un simple caleçon, il traverse l’interminable couloir. Plus il avance, plus les bruits deviennent audibles. Il s’arrête devant la porte de la salle de bains, colle son oreille contre le bois.

Gémissements, râles de douleur… Il retient sa respiration, pousse doucement la porte qui s’ouvre dans un grincement sinistre. La pièce est plongée dans le noir, Izri pose la main sur l’interrupteur. Quand la lumière s’allume, sa respiration se coupe.

Du sang. Partout, du sang. Sur le sol, les murs et même le plafond.

La pièce est immense. Des douches à perte de vue.

Il marche entre les bacs de porcelaine, au milieu de l’odeur de sang, l’odeur de mort. Tout au fond, il voit Manu. Gorge ouverte, regard fixe. Lorsqu’il parle, un flot d’hémoglobine jaillit de sa bouche.

— Trop tard, fils…

— Non ! hurle Izri.

Une main attrape son bras. Il se retourne, se retrouve nez à nez avec Tama. Elle lui sourit avant de lui enfoncer une lame dans le ventre. Izri tombe à genoux.

— Tu croyais vraiment que je t’aimais ? murmure-t-elle.

Izri se réveille en hurlant.

Chaque nuit, affronter les mêmes cauchemars. Les mêmes rêves atroces.

Darqawi, Manu, Tama.

Chaque nuit, affronter ses démons.

Chaque nuit, pleurer comme un petit garçon.

* * *

Le jour se lève, Tama tient toujours la main de Tayri. Elle a cessé de pleurer mais tremble encore. Tama n’a aucun mal à imaginer ce que ce salaud de Greg lui a fait subir. Ce qu’elle-même a enduré depuis des mois, à l’insu de tous.

Elles ont froid, elles ont peur, elles ont soif.

— Je veux pas que cet homme vienne me chercher ! gémit Tayri.

Tama suppose qu’elle parle du proxénète et ferme les yeux. Comment empêcher Greg et Mejda de réaliser leurs ignobles desseins ?

— Maintenant, on est deux, chuchote-t-elle. Alors, on va essayer de se sauver. D’accord ?

Tayri se redresse légèrement et dévisage sa compagne.

— Se sauver ?

Tama hoche la tête.

— J’ai tout perdu, dit-elle. Et toi, tu n’as plus rien à perdre.

— T’as raison… Je préfère encore mourir !

Tama se remet debout et inspecte la remise à la maigre lueur de l’aube.

— Aide-moi, ordonne-t-elle.

— Qu’est-ce qu’on cherche ? demande Tayri.

— Une arme… On cherche une arme. Un marteau, une clef, n’importe quoi.

Toutes les deux se mettent à fouiller frénétiquement les cartons, les caisses, les sacs plastique.

— Merde, les outils doivent être dans le garage ! fulmine Tama.

Elles continuent leur quête, l’oreille aux aguets. Il est encore tôt, Greg doit dormir. Mais Mejda pourrait bien être réveillée.

Au bout d’un quart d’heure, Tayri pousse un petit cri de victoire. Tama la voit brandir une vieille bouteille vide, pleine de poussière.

— Y en a plusieurs ! dit-elle à voix basse.

Tama attrape l’une des bouteilles par le goulot, la cogne violemment sur la poutre. Puis elle admire son œuvre quelques secondes.

— Avec ça, on devrait pouvoir lui faire mal.

— Inch’Allah, murmure Tayri.

* * *

Tandis qu’il approche du but, sa tension artérielle grimpe en flèche.

Au volant de sa voiture, Izri essaie de rester calme et concentré. Les papiers de la Mercedes sont en règle, il a en poche un passeport plus vrai que nature et n’est pas encore l’homme le plus recherché du pays.

Il traverse Nîmes, une ville qu’il n’aime pas, qu’il n’aimera plus jamais. Il se remémore un week-end passé ici avec Greg, à l’occasion de la féria des vendanges.

Allez, viens Iz… Tu vas voir, c’est un truc de dingues !

Un truc de dingues, aucun doute.

La soirée avait tenu ses promesses. De l’alcool, beaucoup d’alcool. Boire, rire, danser.

Le lendemain, gueule de bois, nausée. Sa première corrida. La dernière, c’est certain.

Il se rappelle encore l’excitation de Greg, ses cris poussés en chœur avec le reste de la foule galvanisée par l’odeur du sang.

Ce peuple qui, depuis la nuit des temps, aime tant donner la mort par procuration.

Se salir les yeux, jamais les mains.

Izri se rappelle des cris, oui. Hystérie collective, tandis que lui, mourait d’envie de descendre dans l’arène pour massacrer la demi-portion que tous ovationnaient. Retirer les banderilles de l’échine de ce magnifique animal pour les planter dans celle de cet homme qui gesticulait dans un accoutrement ridicule.

— Un collant rose, putain ! se souvient Izri.

Il quitte Nîmes pour s’engager sur l’A9 où un panneau lui promet Montpellier à 52 kilomètres. Il se met sur la voie de gauche, appuie sur l’accélérateur sans toutefois dépasser la vitesse autorisée.

Tarmoni l’a appelé hier pour lui dire qu’il savait où se trouverait le Gitan ce soir.

Le chef du clan Santiago, un homme qui avoisine les soixante ans.

Un homme puissant et respecté.

Un adversaire redoutable.

Peu avant Montpellier, Izri quitte l’autoroute pour se diriger vers Vendargues. Il traverse le village suivant les indications de son GPS et emprunte une petite route traçant une ligne presque droite vers le nord. Il croise une manade sur sa gauche, puis des champs à perte de vue. Enfin, il s’engage sur une route plus étroite encore et aperçoit un mas imposant au bout d’une piste en terre. La maison de campagne du Gitan. D’après Tarmoni, Santiago aime y séjourner les week-ends pour des fêtes de famille ou des réunions plus professionnelles.